jeudi, 02 mai 2013 04:10

Laura Flessel-Colovic, Championne olympique

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"Aujourd'hui, je me bats contre les injustices"

Le Mak Boucané, Charenton le Pont.
Un petit restaurant créole qui ne paye pas de mine...
Et pourtant, cette enseigne bien connue de la diaspora antillaise attire les sportifs de haut niveau inscrits à l'INSEP tout proche et les cadres supérieurs qui travaillent dans les grosses entreprises avoisinantes. Un beau symbole de mixité sociale et culturelle!
Un choix patriotique et gastronomique pour Laura Flessel-Colovic, Championne olympique d'escrime qui a toujours faim de sa Guadeloupe natale.
Au menu, petit punch coco consommé avec modération et colombo de cabri dégusté avec appétit. Laura Flessel-Colovic est plus en forme que jamais pour mener son combat contre toutes les formes de discrimination.


VP: Tu as pris ta retraite de sportive de haut niveau mais as-tu abandonné définitivement le sport?
LFC: Pas du tout! Je ne peux pas manger sans penser à transpirer. C'est vrai qu'après 35 ans d'entraînement intensif et de sacrifices, j'ai éprouvé le besoin de faire un break. Pendant 4 mois, je ne me suis privée de rien, je n'ai pratiqué aucune activité physique. Maintenant que j'ai laissé mon corps se reposer, j'ai retrouvé le goût de l'effort. J'ai besoin d'une pratique sportive à plusieurs, je cours avec des amies ou avec mon mari. Le sport est indispensable à la santé car il permet de freiner la maladie.


VP: Le sport en prévention du cancer?
LFC: LFC: Oui, c'est le message que je souhaite délivrer à toutes les femmes en tant que marraine de la Rochambelle 2013. C’est une course pédestre en faveur de la lutte contre le cancer du sein à laquelle participeront 18.000 femmes, le week-end du 15 juin. Ce type d’événement est idéal pour véhiculer les bonnes informations. Je citerai également les actions réalisées par l’association Les Givrées, dont je suis marraine. Dans un cas comme dans l’autre, le plus important est de poursuivre la lutte contre ce fléau qui touche près de 10% de la population féminine française. Personnellement, je suis concernée à divers titres ; il y a eu plusieurs cas dans ma famille, des amies sont actuellement touchées et je travaille à la mise en place d’un module de rééducation spécifique réservé aux femmes relevant de ce cancer, au sein de ma future académie d’escrime. C'est une cause pour laquelle je m'investis à 200%, comme pour tous les autres combats que je mène.


VP: Tu soutiens également le programme " Stand Up for Africa"...
LFC: Oui, je suis une des ambassadrices de l'AMREF (Flying doctors), ONG qui favorise la formation des sages-femmes africaines pour lutter contre la mortalité infantile.
Je suis sensible à tout ce qui peut toucher les enfants, la maladie, le manque d'hygiène, la sous-alimentation, le handicap, la maltraitance.
Dans le cadre de ce programme " Stand Up for Africa", nous soutenons la candidature au Prix Nobel 2015 d'Esther Madudu, une sage-femme ougandaise qui pilote efficacement ce projet. Je reviens d'Ouganda où j'ai pu constater le travail effectué sur le terrain par  l'AMREF. www.amref.fr

Photo B.Tocaben


VP: Pourquoi un tel attachement à l'Afrique?
LFC: Parce que, chaque fois que je vais en Afrique, je me sens comme chez moi. La terre ocre, la végétation, les habitations me rappellent les Antilles et la Guyane. Je suis touchée par la gentillesse de ces gens qui n'ont rien et qui donnent tout. Mes ancêtres maternels venaient du Sénégal et quand j'y suis allée pour la 1ère fois, j'ai vécu avec émotion ce retour aux sources, comme un pèlerinage. Quand on prend de l'âge, les racines ressurgissent. Nos ancêtres avaient les chaînes aux pieds, nous, nous avons la chance d'être maîtres de notre Histoire et nous avons un devoir de mémoire.

Photo B.Tocaben


VP: Dans quelle type de famille as-tu grandi?
LFC: Dans une famille aimante. Mes parents étaient divorcés mais je n'ai pas connu la souffrance de cette séparation car ils ont toujours fonctionné en bonne intelligence. J'ai été chanceuse. Je vivais chez ma mère mais j'allais chez mon père, sportif lui aussi, aussi souvent que je le souhaitais. Ma mère nous élevait mes 2 frères, ma sœur et moi avec une main de fer dans un gant de velours. Enseignante de métier, elle nous a donné une éducation enrichissante basée sur des valeurs solides pour favoriser notre épanouissement personnel. L'année où je me suis retrouvée dans sa classe, je devais l'appeler maîtresse la journée et maman à la maison. Elle était sévère mais juste.
Je tiens de mon père mon côté pacifique et de ma mère mon tempérament de battante.


VP: Étais-tu prédestinée pour ce sport, l'escrime?
LFC: Sans doute car j'ai toujours aimé me battre avec mes frères. On jouait avec des bâtons dans la savane. J'étais un vrai garçon manqué! Je voulais toujours gagner. La 1ère fois, que j'ai vu une épreuve d'escrime à la TV, j'ai tout de suite su que ce sport de combat élégant et précis était fait pour moi. Grâce à mes performances, j'ai été détectée à l'âge 14 ans par la Fédération française d'escrime. Sur les conseils de ma mère, j'ai négocié avec la Fédé de rester 4 ans de plus en Guadeloupe pour passer mon bac, c'était le minimum syndical. Une fois le bac en poche, j'ai quitté la Guadeloupe. Cette séparation a été très dure!!! Je passais d'un cocon familial et sportif chaleureux pour me retrouver à l'INSEP dans un système élitiste où on favorisait l'individualité pour la performance. Je m'étais donné 2 ans pour m'adapter. J'ai tenu le coup parce que j'avais le dos large...


VP: A ton arrivée dans l'équipe de France, tu as été victime de discrimination...
LFC: Oui! Je savais en arrivant que je pouvais déranger par mes origines antillaises et ma couleur de peau, dans un sport où on avait rarement vu des noirs. À plusieurs reprises, on m'a fait ressentir que je posais problème. Heureusement, j'ai été briefée par Marlène Hauterville, 1ère escrimeuse noire française. Elle m'a mise en garde contre les coups pendables dont elle-même avait été victime, comme la rétention d'informations pour qu'elle rate certains regroupements, les exclusions de l'équipe sous prétexte qu'elle n'avait pas l'esprit collectif

Photo Bardot


VP: Comment Marlène Hauterville a t-elle réagi à ce comportement raciste?
LFC: Elle a eu l'intelligence d'organiser un stage en Guadeloupe pour que ses co-équipières découvrent et comprennent notre mentalité. Et c'est vrai qu'après cette immersion dans la culture antillaise, le comportement des filles a changé. Elles ont compris que notre attitude altière n'était pas du mépris mais la résultante de notre éducation et que nous n'étions tout simplement pas des sauvages. Marlène s'est sacrifiée pour que les escrimeuses noires qui lui ont succédé ne subissent pas le même sort. Grâce à elle et à mon insolence naturelle, j'ai subi mais je n'ai pas souffert. Après cet épisode, la rivalité a été beaucoup plus saine, essentiellement liée à la compétition.


VP: Comment as-tu réussi là où d'autres avaient échoué?
LFC: J'étais armée et j'ai tout fait pour prouver à ceux qui dans les instances sportives ne croyaient pas en moi qu'ils avaient tort. J'ai appris à anticiper, à valoriser mon travail et à m'entourer de professionnels. J'ai bénéficié d'un soutien sans faille de ma famille. Ça m'a permis d'éclore en 1996 et là, j'ai enchaîné les victoires (Double championne olympique, six fois championne du monde et 1 fois championne d'Europe).
Et même après ma grossesse, j'ai réussir à revenir au plus haut niveau (vice-championne du monde à Nîmes en 2001, 4 mois après la naissance de sa fille). Mon programme d'entraînement a été réadapté pour me permettre de surmonter la fatigue. Je mettais à profit la moindre minute passée loin de ma fille Leïlou car il était hors de question que je perde ce temps précieux sans obtenir de résultats. J'ai privilégié le qualitatif au quantitatif: 3 heures d'entraînement dense au lieu de 5. J'ai accepté de souffrir car je m'étais engagée auprès de la Fédération à retrouver mon meilleur niveau après ma grossesse. C'était une question de fierté. Cela dit, la plus belle victoire, c'est la vie: celle que nous avons donnée, mon mari et moi à notre fille Leïlou et la nouvelle vie que Leïlou nous a offert en venant au monde.


VP: Dans l'affaire de dopage dont tu as été victime en 2002, y a t-il eu une volonté délibérée de te nuire?
LFC: C'est un épisode très douloureux de ma vie de sportive, mais il en fait partie, je l’accepte. Beaucoup de choses ont été dites, souvent fausses à ce sujet. Cela a permis à quelques esprits jaloux et acariâtres de jeter leur fiel, donné l’occasion à la majorité des journalistes de faire leur travail d’investigation et, en ce qui me concerne, de faire le tri entre vrais et faux amis. Pourtant, quand on connaît l’histoire, on se rend vite compte que j’ai été victime d’un incroyable concours de circonstances malheureuses.
Pour rappel : un nouveau kiné est nommé par la FFE pour nous accompagner à la coupe du monde de Barcelone, en juin 2002. Il fait la check-list de la trousse médicale et se rend compte qu’il manque des pastilles de sel, utilisées pour la réhydratation en cas de forte chaleur. Il consulte un pharmacien, lequel lui donne des pastilles de Coramine Glucose en lui certifiant qu’il s’agit de la même chose. A aucun moment, le kiné ne prend l’avis du médecin fédéral. Mais la Coramine Glucose contient de la nicéthamide, substance présente sur la liste des produits dopants depuis plus de 50 ans. Le kiné donne des pastilles de Coramine Glucose à l’ensemble des filles de l’équipe de France. Je termine 3e de la compétition, fait le contrôle anti-dopage comme c’est l’usage, lequel s’avère positif à la nicéthamide. Et là, la stupeur!

Photo Bardot

 

VP: Comment a réagi la Fédération Française d'escrime?
FLC: Le président de la FFE de l’époque m'a demandé de me taire, de ne rien dire. Avec l’aide de mon mari, au contraire, j'ai fait front car nous n’avions rien à cacher. S’en est suivi un déchaînement médiatique qui a pourtant révélé une chose : la Coramine Glucose n’est pas le médicament idoine pour une vraie conduite dopante. La courbe du tracé de mon contrôle montrait parfaitement qu’il s’agissait d’une prise unique, dans les circonstances décrites plus haut. J'ai tout de même été suspendue 3 mois par la Fédération internationale d'escrime et le kiné ne s'est jamais remis de cette affaire, dévoré par la culpabilité. J'ai donc été victime d’un incroyable concours de circonstance et j'ai dû assumer seule cette erreur, car le sportif est toujours responsable de ce qu'on lui administre. 
                                                                   

VP: Comment as-tu supporté une telle injustice?
LFC: C'est une blessure profonde. Je n’étais pas coupable et pourtant jugée comme telle. J’ai perdu une partie de mes partenaires à cause de cette affaire. Mais au terme de l'enquête diligentée pour l’occasion, la Fédération française d'escrime a reconnu sa propre responsabilité et m’a remboursée des préjudices financiers et moraux subis, montrant par là-même les failles et les incompétences de son système de suivi médical des escrimeurs en compétition.
Bien sûr, cela n’enlèvera jamais cette ligne inscrite à l’encre indélébile dans ma biographie et j'ai mis 2 ans pour m'en remettre psychologiquement. Mais une fois la pente remontée, j'ai décidé de faire de cette épreuve une force. Je raconte cette expérience aux jeunes sportifs pour les inciter à plus de vigilance.


VP: Dans cette épreuve, as-tu été soutenue par les autres sportifs?
LFC: Oui et je veux remercier la grande majorité des sportifs français, tous sports confondus, qui n’ont jamais douté de ma sincérité. C’était le plus important pour moi : savoir qu’ils et elles me croyaient. Mes pairs ont d’ailleurs choisi de me confier le drapeau de la France aux derniers JO de Londres. Ce n’est franchement pas le genre de mission que le mouvement sportif français a envie de confier à une sportive à la conduite dopante avérée.
Quand Chantal Jouanno, ex Ministre de la jeunesse et des sports m'a demandé de présider le Comité de lutte contre les discriminations dans le sport, j'ai accepté sans hésitation. Le racisme, l'homophobie, le sexisme sont inadmissibles dans le sport comme dans la société civile et doivent être combattus.
Tous les ministres qui lui ont succédé ont conforté notre mission. Bientôt, tous les comités sportifs seront fédérés au sein d'un Haut Conseil du Sport.

Photo Stéphane Kempinaire


VP: Au terme d'une carrière sportive exceptionnelle, couronnée de médailles et de titres olympiques, les JO de Londres n'ont-ils pas été la compétition de trop?
LFC: Non, je n'ai aucun regret même si je n'ai rien gagné. J'ai tout fait pour être qualifiée et participé à ces jeux dont je savais qu'ils seraient les derniers de ma carrière.
Je suis allée chercher une qualification aux forceps, à Bratislava, dans un tournoi de la mort qui porte bien son nom ! Et puis j'avais de bonnes raisons d’être à Londres: d'abord pour mon frère qui est décédé d'une crise cardiaque à 38 ans, 6 mois avant les JO. Il devait m'accompagner à Londres et n'aurait pas apprécié que je renonce. J'ai également voulu faire les JO pour ma fille Leïlou qui rêvait en bleu-blanc-rouge de vivre cet événement avec moi et puis, j'en avais personnellement très envie. J'avais commencé ma carrière par des JO et je tenais à la clôturer par des JO. J'y suis venue à double-titre, sportive et porte-drapeau. C'est un souvenir inoubliable!
Quand la cérémonie de clôture s'est achevée, je suis restée au milieu du stade, j'ai respiré profondément. Je savais que ma carrière de sportive se terminait mais j'étais heureuse, apaisée. Les escrimeuses équipières et adversaires ont suivi la scène...elles se sont toutes levées et m'ont applaudie...certaines pleuraient...et là, je n'ai pas pu m'empêcher de verser quelques larmes.


VP: Aujourd'hui, bien plus qu'une championne, tu es une star. Comment vis-tu cette médiatisation?
LFC: Très bien! L'escrime n'est pas un sport très médiatisé donc il est toujours intéressant pour moi d'être sollicitée par les médias. Comme j'ai toujours été très respectueuse des journalistes, ils sont également respectueux de mon intimité. C'est un échange de bons procédés. Je leur ai accordé des photos, par exemple celles de mon mariage avec Denis. De ce fait, ils ont toujours été bienveillants à mon égard. Je suis très coopérante du moment qu'on ne porte pas atteinte à mon intégrité. Par exemple, j'ai refusé de poser nue pour un magazine. En revanche, quand on m'a proposé de participer à l'émission de TF1, Danse avec les stars (photo TF1/Christophe Chevallin), j'ai accepté volontiers parce que ça m'amusait. J'ai fait de belles rencontres, notamment celle de Chimène Badi pour laquelle j'ai eu un vrai coup de cœur. Je vis toutes ces expériences à 200%.


Laura Flessel-Colovic savoure pleinement sa liberté retrouvée pour profiter de sa famille mais la guêpe  infatigable travaille activement sur un projet d'Académie de l'escrime et sur l'organisation de voyages touristiques en Guadeloupe pour valoriser son île natale auprès de décideurs économiques via la pratique du Golf. Affaires à suivre!

 



Les 7 pêchés capitaux de Laura Flessel-Colovic


La gourmandise: Je suis une épicurienne. Je craque sans culpabilité pour un sorbet coco !
L'avarice: C'est tout le contraire de moi. Quand il y en a pour 4, il y en a pour 10 !
L'orgueil: Il en faut pour être un athlète de haut niveau.
La colère: Je suis un volcan (la Soufrière) en sommeil... Quand j'éclate, ça fait mal !
L'envie: Je préfère l’envie à la jalousie…
La paresse: Interdite de séjour chez moi !
            Pour réussir, il faut travailler.
La luxure: C'est quand on a perdu ses valeurs. La fin est toujours tragique.


Le clin d'œil vidéo de Laura : "A vos baskets! Courez pour être en bonne  santé!"

 

 

 

Lu 10987 fois Dernière modification le mardi, 30 avril 2013 14:25

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