jeudi, 11 avril 2013 14:03

Marijosé Alie: "Je suis une vraie femelle!"

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Paris 16ème
Le Zébra Square, un des restaurants prisés des stars de l'audiovisuel et des artistes en vue ( on y croise, ce jour là, Béatrice Schöenberg et Rokia Traoré), à quelques encablures de la maison de la radio, ex ORTF où a commencé la grande Histoire de la télévision.
Dans cette ambiance très cocooning, Marijosé Alie, figure de France Télévisions, journaliste rebelle et chanteuse bouleversante se révèle dans toute sa vérité et sa féminité.
Au menu, un tartare de thon et de l'eau minérale, une alimentation saine, un des secrets de la plastique irréprochable de Marijo.


 


VP: Artiste, journaliste-présentatrice de l'émission "A nous deux" sur France ô, directrice chargée de la diversité à France Télévisions, qu'est-ce qui te correspond le mieux professionnellement?
MA: Dans ma tête, je suis journaliste. Et ce, depuis 40 ans. C'est très important pour moi car je me suis construite avec ça. Être journaliste, c'est avoir un regard de curiosité sur tout, le désir de savoir et de faire savoir. L'envie permanente de connaître l'autre pour ce qu'il est. C'est une liberté de penser et d'agir dans le but d'informer le plus grand nombre. C'est peut-être obsolète comme définition quand je regarde ce qui se passe aujourd'hui autour de nous...L'information, c'est le plus bel outil de la démocratie.

VP: Quel regard portes-tu sur la crise politique, sociale et économique que traverse la France actuellement?
MA: Du fait de mes composantes culturelles orientales, africaines..., j'ai un regard sur la longueur du temps et j'ai conscience que la roue tourne. Je m'interroge: " Comment se fait-il que toutes les richesses minières, énergétiques, maritimes de la planète sont  localisées dans les pays qui comptabilisent toutes les misères du monde (Afrique, Asie, Amérique du Sud)?"
Les pays non riches sont allés puiser dans ces richesses selon le schéma colonial. Il était donc évident que tôt ou tard, la situation basculerait. C'est ce qui se passe aujourd'hui. C'est le concept de la "mondialité" d'Edouard Glissant. Le savoir et l'information circulent donc il y a un moment où les équilibres se rétablissent. Aujourd'hui , ce sont les pays prédateurs qui sont les plus inquiets. Ils ont virtualisé des économies pour qu'elles continuent de fonctionner et le système s'écroule. La crise, c'est ça! C'est un retour à la réalité.

VP: Cette crise est donc un mal nécessaire?
MA: C'est quelque chose d'inéluctable! Mais je fais confiance à l'Homme pour se sortir de cette situation comme il a su le faire dans le passé. À chaque crise grave, l'Humanité disparaît, l'Homme devient son propre prédateur, la violence explose. On est actuellement dans une période de totale déshumanisation. Mais, il y a toujours une renaissance après le chaos, une reconquête de l'humanité.

VP: Tous ces bouleversements ne te font pas peur?
MA: Personnellement non, parce que je suis journaliste et que je porte un regard analytique sur la situation. J'arrive à comprendre ce qui se passe.
Mais je suis impliquée, je m'inquiète pour nos enfants mais sans céder à la panique. Je sais qu'on change d'époque et qu'une telle mutation se fait toujours dans la violence. On ressent cette tension dans le travail, dans la rue, elle est omniprésente. On va traverser une période extrêmement difficile. Ce changement de société nécessite une réadaptation totale pour repartir sur autre chose. Et il y a suffisamment d'individus de bonne volonté pour créer des pare-feux et sauver ce qui peut encore l'être. Je reste confiante dans la capacité de l'espèce à rebondir. L'être humain ne va pas disparaître.

VP: Est-ce que le fait d'être une femme conditionne ta façon de travailler?
MA: Je ne sais pas, je n'ai jamais été un homme. À 5 ans, j'étais persuadée que grandir, c'était pouvoir choisir entre être une femme ou être un homme. Mes parents étaient des artistes, mère musicienne, père architecte. Tous deux, très peu conventionnels, ne m'ont jamais conditionnée pour être ceci ou cela. Pas de nœuds roses dans les cheveux, aucun impératif! J'avais un petit frère avec lequel nous partagions toutes sortes de jeux sans distinction. J'ai grandi loin des stéréotypes d'une famille classique, avec l'impression que le monde était vertigineux et que tous les choix étaient possibles.

VP: Tu t'es élevée toute seule?
MA: Oui parce que mes parents étaient de grands enfants. À l'époque, je remarquais qu'on demandait beaucoup aux hommes et très peu aux femmes. Dans ma tête, j'avais choisi d'être une femme parce que je me sentais la capacité de faire 10 fois plus que ce que la société demandait aux femmes. Je me suis inventée des choses qui me permettaient d'avancer, des béquilles, un moteur turbo. Je me suis construite de sorte à canaliser mes frayeurs et toujours aller de l'avant. Je suis devenue une femme totalement autonome et indépendante, c'est dans mes gènes, dans mon caractère, dans ma solitude aussi.


Rencontre inattendue au Zébra Square avec Rokia Traoré, artiste qui sera prochainement l' invitée de Marijo dans l'émission À nous deux!


VP: Est-ce que le fait d'être une femme t'a desservie dans l'audiovisuel?
MA: Bizarrement, pas à mes débuts, pas sur le terrain. En tant que journaliste-reporter, tu peux risquer ta vie mais tu te sens protégé par la caméra et par ton micro. Là, je n'ai pas ressenti de sexisme. À partir du moment où j'ai accepté de grimper dans les sphères du pouvoir, j'ai senti qu'on me renvoyait à ma condition de femme.
Si j'avais couché, des portes se seraient certainement ouvertes. Mais je ne couche pas.

 

VP: Si ça avait été le cas, aurais-tu eu une meilleure carrière?
MA: Je n'aurais pas eu de carrière du tout car j'aurais tué quelqu'un... Personne ne décidera pour moi avec qui je dois coucher et sûrement pas pour faire carrière.


VP: Ton caractère a dû te valoir des déboires...
MA: Oui, dès le début de ma carrière...Je gênais à FR3 Martinique. Je contestais la manière institutionnelle de faire les journaux, le manque d'objectivité de certains journalistes. J'étais souvent en crispation au sein de la rédaction car je voulais faire bouger les lignes.
On a refusé de m'intégrer sous prétexte qu'il n'y avait pas de poste disponible, on m'a mutée en Bourgogne (C'est à cette époque, dans le froid et la solitude que j'ai écrit la chanson Caressé mwen). A ce propos, après mon départ de la Martinique, 2 personnes ont été recrutées... Je ne suis pas docile et ça m'a souvent desservie. Un directeur régional m'avait dit: "Vous êtes comme un pur-sang, on ne peut pas vous tenir en laisse" . Effectivement, je ne suis pas "domestiquable" et j'ai une grande gueule.
Ce qui me révolte le plus, c'est l'injustice, transmission de mon grand-père, Marius Larcher qui fut le 1er magistrat noir.


VP: N'y a t-il pas un paradoxe entre la femme de caractère que tu es et l'artiste sensuelle qui chante sur scène "Caressé mwen"?
MA: Ce n'est pas incompatible, je crois que je suis une vraie femelle. Je ne suis pas une femme de pouvoir mais je sais me faire respecter. J'ai du caractère et je suis très combative.
Regarde les lionnes, c'est elles qui chassent. Elles n'attendent pas sur les mâles pour nourrir leurs petits. Je suis indomptable mais pas dominatrice!
Dans mes relations amoureuses, il n'y a ni dominant, ni dominé. Quelqu'un que je domine, je ne l'aime plus et quelqu'un qui me domine, c'est impossible. Je suis une passionnée totale, je donne ma vie, je donne tout à la personne que j'aime. En amour, je suis en empathie totale, dans le désir de faire plaisir, dans la recherche de toutes les émotions que je peux provoquer. Et en retour, j'attends la même chose. J'aime tout en amour, la conquête, la complicité.
Je n'idéalise pas, j'aime l'autre comme il est, tout en étant autoritaire et exigeante.

VP: Journaliste et artiste, ces deux métiers sont-ils compatibles?
MA: Dans mon petit corps à moi, ça fonctionne. Le lien entre les deux, c'est l'écriture et pour moi, l'écriture, c'est une jubilation. Mais écrire, c'est aussi beaucoup de solitude. On est déjà seul à la naissance, on vit seul, enfermé dans un corps, une pensée même quand on est entouré. On est seul à décider, on est souvent en perspective de soi-même.
J'aime aussi me produire sur scène, une fois que j'ai dépassé mes angoisses et que je rentre en communion avec le public, c'est un moment de bonheur total.
Juste avant de chanter, il faut que je me botte le cul, que je me jette à l'eau. C'est une prise de risque totale car si je me plante, je ne peux pas recommencer. A cet instant, je sens que je vais mourir. C'est extrêmement intéressant d'être au bord de la mort. En fait, c'est ce qu'on fait tout au long de notre vie, frôler la mort, jouer avec elle, lui échapper.

Dans les coulisses de la répétition du concert de Malavoi au Zénith de Paris...

 

VP: Tu n'as pas peur de mourir?
MA: Mourir, on n'a pas le choix. Je n'ai pas peur de mourir mais j'ai peur d'être morte, peur de ne plus exister du tout. Il y a eu beaucoup plus de morts sur cette terre que de vivants.
Qui se souvient d'eux?
Je trouve passionnant que les hommes réussissent à faire de ce court passage sur terre, un moment d'une telle intensité, avec des avancées et des réalisations incroyables dans tous les domaines. On fait tous comme si on était immortels et on continue de créer pour   nos enfants et pour les générations futures. La mort fait partie de tout ce qui nous construit.


VP: Et tu n'es pas angoissée par le temps qui passe?
MA: Quand je m'emmerde, je trouve que le temps est trop long (rires)... Au fond, je n'ai pas peur de vieillir parce que c'est inéluctable. Depuis l'âge de 25 ans, j'ai conscience de vieillir. J'avais appris en sciences naturelles qu'à partir de cet âge, la croissance est terminée, donc on décélère, on repart dans l'autre sens.
Je vis bien le fait de vieillir parce que mon corps ne me trahit pas. Pas de problème de santé! J'ai la chance d'avoir hérité d'une bonne génétique grâce à ma mère et ma grand-mère...Je m'entretiens en faisant du sport en salle et en mangeant sainement. Frites-hamburgers, je n'ai jamais aimé ça.
Je suis très à l'écoute de mon corps car il sent ce qui n'est pas bon pour lui. Je lui fais plaisir en le nourrissant bien. Je suis une fille de la mer, native du Diamant en Martinique, je mange beaucoup de poisson. J'aime aussi le chocolat mais mes repas sont toujours équilibrés.


VP: Jamais d'excès?
MA: Si! Dans le passé, j'ai commis des folies que j'assume et que je regrette.  La cocaïne! Il y a 30 ans, j'ai failli en crever et faire crever de chagrin tout le monde autour de moi. Sachant de quoi il s'agit, je suis devenue une grande militante du NON à toutes les drogues.


VP: Tu milites également contre les injustices au sein de France Télévisions, en quoi consiste ta mission "Diversité"?
MA: Dans cette mission, je me rends compte qu'il y a bien plus que la diversité. Il y a la compréhension de l'autre. Édouard Glissant disait: " N'oublie pas que je te parle dans ta langue mais que je te comprends dans mon langage." Chaque personne, en fonction de son vécu,  entend une musique différente même si le message est le même. Il faut donc trouver un langage commun pour une meilleure compréhension entre hommes et femmes, entre jeunes et vieux, entre valides et non valides, entre blancs et non-blancs...Si la France est cosmopolite, c'est en raison de son passé colonial et ça, il faut qu'elle l'assume. Je participe au sein de France Télévisions à ce travail d'information pour une meilleure compréhension de ces problématiques et pour davantage de visibilité des minorités. C'est un combat contre l'intolérance. Il faut expliquer et convaincre et si ça n'avance pas, il faut imposer. Je suis pour les quotas.

VP: De quoi es-tu le plus fière?
MA: De mes filles, elles sont géniales, magnifiques. Ce sont de belles personnes, des amazones. Je leur ai inculquée 3 valeurs: l'honnêteté, la sincérité et l'empathie avec ceux qui souffrent. J'ai également un petit mec dans ma vie, il a 8 ans, c'est le fils de mon aînée. Et puis, j'ai mes deux maris, que j'ai eu l'un après l'autre, mais les deux font partie de ma vie.

 

Vous pouvez retrouver Marijosé Alie et ses invités "people" dans l'émission "A nous deux" sur France ô tous les samedis à 12h.
En projet: un album avec sa fille musicienne et un roman dont l'action se déroule dans la forêt amazonienne.

 

Les 7 péchés capitaux de Marijosé Alie

La gourmandise: mon appétit pour l'autre...
L'orgueil: C'est un handicap...Trop d'orgueil tue l'orgueil! Je ne suis pas orgueilleuse mais je suis fière.
L'envie: Je ne sais pas ce que c'est.
L'avarice: Je n'ai pas ça dans ma boîte à outils. Je donne même  ce que je n'ai pas.
La paresse: Je me bats contre mais j'adore la position du hamac. C'est salvateur pour moi.
La colère: C'est moi. C'est l'expression de mes chagrins et de ma déception.
La luxure: C'est quoi ça? Je viens d'une génération qui a écrit sur les frontons de sa pensée profonde, " il est interdit d'interdire". Donc l'amour à plusieurs, l'homosexualité...,chacun fait ce qui lui plait. Moi, je préfère partager un espace de tendresse avec une seule personne, ça m'occupe déjà énormément (rires)...

 

Le clin d'œil vidéo de Marijo, un poème philosophique de Lord Byron.

 

Crédit Photos France Télévisions

Dans ma tête, j'avais choisi d'être une femme parce que je me sentais la capacité de faire 10 fois plus que ce que la société demandait aux femmes

Lu 9627 fois Dernière modification le vendredi, 12 avril 2013 03:01

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