En Guadeloupe, les conclusions de la recherche du désormais célèbre laboratoire Phytobokaz montrent à quel point les plantes médicinales du pays Guadeloupe peuvent non seulement soigner mais aussi créer des emplois de haut niveau pour des jeunes diplômés. Bref le vivant de la Guadeloupe constitue des débouchés extrêmement intéressants. On sait que des plantes telles que « le semaine contrat », le « thé pays », « le tabac à jacot », « le manzè marie » ont soigné des générations et des générations de guadeloupéens.
Mais la médecine occidentale avec ses produits chimiques a pris le dessus pendant un très long moment. On semble vouloir revenir aujourd’hui aux fondamentaux non seulement de la part des gens du pays même, mais aussi d’investisseurs extérieurs aux ambitions économiques qui nous dépassent parfois. La Guadeloupe ne possède ni pétrole, ni or, ni argent dans ses sous-sols mais elle possède un espace maritime regorgeant de ressources aussi immenses qu’inexploitées. Sur son sol vivent des insectes, des animaux et des plantes qui n’ont pas encore livré tous leur secret. Pour le moment toutes ces richesses appartiennent aux guadeloupéens constitutives de leur patrimoine et de leur identité ancestrale. Pour combien de temps encore ?
En effet, il existe un projet de loi relatif à la biodiversité qui fait peser des menaces réelles sur notre capacité future à exercer notre droit de propriété sur tout ce que nous possédons. Le projet de loi poursuit l’objectif noble de protéger la biodiversité dans la droite ligne de la convention sur la diversité biologique de 1992 et du Protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation du 29 octobre 2010, (Protocole de Nagoya, Japon).
L’exposé des motifs du projet de loi dit tout de même la chose suivante : « la biodiversité est aussi une force économique pour la France ». On comprend donc aisément qu’il ne s’agit pas simplement de protéger et de préserver mais aussi d’exploiter. Exploiter quoi et où ? Exploiter les richesses de la biodiversité essentiellement localisées dans la France d’outre-mer, y compris donc en Guadeloupe. Longtemps, a été véhiculé à tort et sciemment que les outre-mers étaient davantage un poids qu’un atout pour la République. La vieille technique est connue. Vous ne pouvez prendre la mesure de votre décisive présence dans un jeu global s’il vous est répété à longueur de temps que vous êtes inutile et que l’on vous garde uniquement par charité chrétienne et pour des raisons ayant trait à des liens historiques et affectifs.
Le Comité français de l’UICN a publié il y a onze ans un rapport dans lequel il est dit ceci : « Malgré une superficie réduite (0,08 % de la surface terrestre totale), 3450 plantes et 380 vertébrés sont strictement endémiques aux collectivités françaises d’outre-mer, soit plus que dans toute l’Europe continentale. Le milieu marin outre-mer, vaste de plus de 10 millions de km2, abrite environ 10 % des récifs coralliens et lagons de la planète ». Le projet de loi relatif à la biodiversité concocté par le Gouvernement concerne tout particulièrement les outre-mers, sans les nommer. La Guyane, exemple encore très parlant, en étant située en Amazonie permet à la France et à l’Europe de faire partie du cercle très fermé de 17 pays appelés « les mégadivers ».
Autrement dit, ces pays possèdent à eux seuls plus de 50% de la biodiversité de la planète. Autre exemple, la minuscule île de la Désirade fait l’objet d’un décret n° 2011-853 du 19 juillet 2011 « portant création de la réserve naturelle nationale de La Désirade (Guadeloupe) » en raison de sa richesse géologique hors du commun. La biodiversité constitue une très grande richesse aujourd’hui et davantage demain. L’exposé des motifs du projet de loi relatif à la biodiversité indique l’existence de « plusieurs études qui ont montré l’importance de la biodiversité en tant que capital économique extrêmement important. D’autre part, la biodiversité est une source d’innovation (biomimétisme, substances actives ...) et représente dès une lors une valeur potentielle importante ». A l’heure où la canne et la banane risquent de trépasser en raison des changements de règles qui interviennent dans le commerce international, il est plus qu’urgent que la Guadeloupe pense son développement sur les réalités porteuses du XXIème siècle, sans abandonner ses productions traditionnelles qui garantissent à bien des égards sa souveraineté et sa sécurité alimentaire.
Le projet de loi relatif à la biodiversité est de nature à susciter de réelles inquiétudes dans la mesure où elle tend à vouloir priver les collectivités territoriales guadeloupéennes des ressources de leur sol et de leur sous-sol en étatisant la biodiversité au travers d’une « agence française pour la biodiversité » et un « comité national de la biodiversité ». S’il est vrai que le projet de loi évoque la dimension décentralisatrice dans le cadre d’une stratégie dédiée à la biodiversité, elle reste à confirmer par un travail actif des parlementaires des outre-mers en général et guadeloupéens en particulier, dès lors que le texte viendra en discussion au Parlement. C’est ainsi que les régions de Guadeloupe, Guyane et Martinique dans le cadre d’un front commun réclament :
- « une décentralisation pleine et entière du dispositif en faveur des Outre-Mer ;
- une amélioration de la définition des « Communautés d’habitants » ;
- l’importance de la structuration de filières locales (Recherche et Développement, PME et TPE) comme avantages pour les territoires ».
Les enjeux sont tels que les parlementaires guadeloupéens seraient bien inspirés d’asseoir leur stratégie, qui doit être forcément gagnante, sur ce qui est contenu dans la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l'environnement, à l’article 1 aux 6ème et 7ème alinéas :
« Pour ce qui concerne les régions, les départements et collectivités d'outre-mer, compte tenu de leurs caractéristiques environnementales et de la richesse de leur biodiversité, l'Etat fera reposer sa politique sur des choix stratégiques spécifiques qui seront déclinés dans le cadre de mesures propres à ces collectivités. ?Ces choix comporteront notamment un cadre expérimental pour le développement durable, au titre d'une gouvernance locale adaptée, reposant sur les dispositions du troisième alinéa de l’article 73 de la Constitution3.
Pierre-Yves CHICOT
Maître de conférences de droit public, Habilité à Diriger les Recherches
Laboratoire CREDDI-LEAD