jeudi, 25 avril 2013 05:15

Béatrice Mélina, artiste-peintre

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"Je veux que ma peinture milite pour la cause noire"

Restaurant Les Orchidées à l'hôtel Hyatt
Une adresse chic pour un déjeuner léger, coloré et raffiné, une salade de pousses d'épinard et des tomates cerises, le vert et le rouge, deux  couleurs que Béatrice Mélina, peintre coloriste, adore associer.
Le plaisir des yeux et le ravissement des sens aiguisés par une palette de douceurs sucrées que stimule le café noir et gourmand...L'artiste peintre guadeloupéenne est une esthète épicurienne qui traduit dans sa peinture son amour de la vie, son angoisse de la mort et son militantisme.


VP: Petite, savais-tu déjà que tu deviendrais peintre?
BM: Ce n'était pas aussi clair dans ma tête d'enfant mais ce qui est sûr, c'est que j'y étais prédestinée.
Je devais avoir 6 ans, je vivais en Guadeloupe. Je me souviens que lorsque ma mère se fardait les lèvres devant son miroir, je l'observais et ce que je voyais, c'était le geste de la main qu'elle faisait se maquiller, les couleurs qu'elle utilisait, comme un dessin sur une toile.
Dès qu'elle avait le dos tourné, je récupérais son rouge à lèvres et je dessinais avec sur du papier craft. J'utilisais même la poudre du chocolat Nesquik mélangée à de l'eau pour peindre. Seul problème, les fourmis envahissaient et dévoraient mes dessins... 
Paradoxalement, je ne faisais pas de dessins à l'école. Sans doute parce que, de nature réservée, je craignais de m'exprimer en peignant et qu'on sache tout de moi.
C'est d'ailleurs pour ça que je ne peins jamais devant les gens.


VP: Quel a été le véritable détonateur de ta vocation artistique?
BM: Un drame personnel terrible! J'étais agent de voyage à Paris et je peignais pour le plaisir.
J'accrochais mes tableaux dans mon bureau. J'ignore pourquoi mais j'étais inspirée par des portes bleues que je reproduisais sur des petites toiles. Mes collègues et mes clients appréciaient beaucoup ce que je faisais. Certains me proposaient de les acheter. Ils aimaient le style de ma peinture et ma maîtrise des couleurs. C'était pour moi un simple loisir.
Jusqu'au jour où mon compagnon Louis avec qui je vivais depuis 10 ans est décédé. Il était atteint d'une grave maladie, la spondylarthrite et le jour où il semblait aller le mieux, il est mort. Ça a été un choc terrible. L'hôpital m'a appelée pour me dire :" votre père est mort". Il s'agissait bien de mon compagnon mais il était plus âgé que moi et la maladie l'avait ravagé. Quand je l'ai rencontré, il mesurait 1m80 et à la fin de sa maladie, il ne mesurait plus que 1m69. Ses membres étaient complètement déformés.
Quand Louis est parti, j'ai ressentie une furieuse envie de peindre. Je me suis enfermée pendant 3 ans chez moi et je me suis mise à peindre sans savoir ce qui se passait.


VP: Qu'est-ce que tu représentais sur tes toiles?
BM: Des visages déstructurés, des mains déformés...Je peignais sans relâche.
Par chance, j'avais tout le matériel nécessaire car un de mes clients de l'agence de voyage était le PDG d'une société de matériel pour artiste. Il croyait en moi et m'avait donné carte blanche pour récupérer des toiles, des pinceaux, de la peinture.
Je peignais du matin au soir et du soir au matin, il y avait des toiles dans toutes les pièces, dans la salle de bain, sur mon lit, partout.
À l'époque, je ne comprenais pas pourquoi je faisais des personnages destructurés avec des yeux décalés, les épaules déformés...Il m'a fallu des années pour comprendre que c'était la maladie de Louis que je racontais dans mes tableaux.


VP: Pourquoi peins-tu la nuit?
BM: Parce que je suis une angoissée. Depuis l'enfance, je suis hantée par la mort. J'ai été traumatisée par le décès accidentel d'une cousine qui avait mon âge et dont j'étais très proche. La disparition de ma sœur et de mon père m'ont également beaucoup perturbée. Le décès de mon compagnon m'a achevée.
La mort est présente dans ma tête 24h/24. Quand je fais quelque chose, je me dis toujours que c'est pour la dernière fois. Quand je peins un tableau, je pense toujours que je n'en ferai pas d'autre. Peindre de nuit est une façon d'apprivoiser mes angoisses.



VP: Malgré la souffrance que tu exprimais dans ta peinture, tes tableaux ont toujours été très colorés...
BM: Oui, parce que je suis une fille très joyeuse au fond de moi. Mes personnages déstructurés baignaient dans la couleur, le vert, le jaune, le rouge. C'est l'amour de la vie qui m'a rattrapée. Ma peinture est optimiste car ma nature profonde est gaie.


VP: A quel moment as-tu décidé de vendre tes tableaux?
BM: En fait, au début, je n'avais pas vraiment envie que mes toiles soient vues par d'autres, je peignais pour moi. Le problème, c'est que je marchais dessus. L'appartement débordait de tableaux. J'ai cherché des espaces de vente sur internet et j'ai trouvé le Salon des artistes indépendants à l'Espace Champerret. Je me suis inscrite. C'était la 1ère fois depuis le drame que je sortais de chez moi.
Une fois installée sur mon stand, ma joie de vivre est revenue. Les visiteurs étaient nombreux à s'arrêter devant mes tableaux, ils me demandaient les prix mais je ne savais pas quoi répondre. Alors, je leur donnais une petite carte de visite et leur conseillais de faire le tour des autres stands puis de revenir me faire une offre en fonction de la valeur à laquelle il estimait le tableau qui les intéressait. Ils n'allait quand même pas sous-estimer leur coup de coeur...J'ai eu des propositions auxquelles je ne m'attendais pas. Parfois la somme était si importante pour moi que j'offrais une toile en plus.


VP: Tu es donc devenue ce jour-là une artiste à part entière...
BM: Ce jour-là, j'ai compris que ma peinture plaisait. Je suis l'artiste qui a le plus vendu.
Si bien qu'à la clôture du Salon des Indépendants, la Présidente est venue avec son avocat me proposer de participer à une exposition au Grand Palais en 2009 aux côtés notamment du peintre Lapicque. Je ne me suis pas démontée, j'ai beaucoup travaillé pour présenter mes tableaux dans ce lieu mythique. Tout s'est super bien passé.
J'étais l'artiste peintre "antillo-bretonne" dont on découvrait le talent. Un joli souvenir mais ce type d'expérience ne m'émeut pas plus que ça. Mes aspirations sont ailleurs...Ma plus grande satisfaction, c'est de voir un de mes tableaux accroché sur le mur d'un appartement ou d'une maison. Ça me touche parce que ça signifie que cette personne a aimé ma peinture, qu'elle est entrée dans mon univers.


VP: Les femmes sont récurrentes dans ta peinture,  pourquoi t'inspirent-elles autant?
BM: Les femmes ont beaucoup plus à raconter.
Aux Antilles, c'est la mère qui existe avant tout. Dans les familles, elle est souvent le pilier (poto-mitant).
Mon père, je ne l'ai pas beaucoup fréquenté. C'était un homme politique...Il n'a pas vécu avec nous...L'histoire de mes parents est compliquée...elle noire, lui blanc (béké).. Tout ça s'est fait un peu en cachette.
Ma mère a joué les 2 rôles, elle a toujours été très présente, ma grand-mère aussi est une femme que j'adore, sans oublier mes tantes. Je n'ai dans ma vie que des modèles de femmes seules, indépendantes, solides.


VP: Les chiens, souvent dénigrés aux Antilles, sont au contraire pour toi une source d'inspiration...
BM: J'aime les chiens. J'en ai deux qui ressemblent à des renards. Les chiens que je peins sont presqu'humains et très bien habillés.
J'essaye de comprendre pourquoi...Je l'ignore. C'est vrai que les chiens sont arrivés dans ma peinture juste après ma rupture avec un homme que j'ai beaucoup aimé et qui m'a terriblement fait souffrir. En peignant des chiens, c'est peut-être lui que j'ai reproduit...(rires) Les chiens de mes tableaux étaient mégalos et égocentriques souvent de couleur rouge, sanguins, tout ce qu'il était...Je pense que la page est bien tournée car j'ai abandonné les chiens. Je peins des femmes, de plus en plus réalistes, de moins en moins déstructurées et je suis de plus en plus attirée par la peau noire, la carnation noire.


VP: Tu as décidé de militer à travers ta peinture, cet engagement est-il en lien avec ton inspiration du moment, la peau noire?
BM: Oui! Je constate qu'il n'y a pas assez de personnages noirs dans la peinture. Aux États-Unis, la situation est différente. Les noirs existent dans l'art pictural. Ce n'est pas le cas ici. Pourtant, les noirs font partie de l'histoire de France. Où sont-ils dans ces peintures anciennes et contemporaines? Aux siècles derniers, les peignait-on en blanc pour que les tableaux se vendent mieux?
Je souhaite leur redonner une place , car leur absence de la peinture me choque.
Je m'intéresse de plus en plus aux peintres orientalistes du 16e et du 17e siècles, j'ai envie de reprendre leurs tableaux, de repeindre leurs personnages en changeant leur carnation. Je n'en ferai pas des serviteurs car je veux redonner aux noirs que je vais peindre une position sociale, un statut.
Le noir, c'est la couleur de peau la plus difficile à reproduire mais comme je travaille à la loupe, je peux affiner mes portraits, les traits de mes personnages, la couleur et le grain de leur peau avec une grande précision et dans le moindre détail. Un vrai travail d'orfèvre!


VP: Ce militantisme pictural n'est-il pas en lien avec ta propre quête identitaire?
BM: Certainement! J'ai grandi avec ma mère noire et je me sens très noire, black, belle négresse. Dans ma manière de raisonner, de penser, je suis noire et je l'ai toujours été. Je prends partie. Je ne fonctionne pas d'un point de vue idéologique mais j'ai tendance à vivre de façon émotionnelle ce que ressentent les noirs. Ils ont toujours été méprisés, exploités. Je veux les réhabiliter dans ma peinture. J'en envie de faire ressortir dans mes tableaux la fierté d'être noir. Je veux que ma peinture milite pour la cause noire.


VP: Es-tu sensible au travail d'autres peintres?
BM: Picasso, Modigliani, Manet, Raphaël, Léonard de Vinci, Matisse, Ingres et bien d'autres m'inspirent. La peinture, c'est juste merveilleux. J'observe leurs œuvres à la loupe car je recherche le détail. Moi, je pleure devant un tableau, je peux passer des heures à le regarder. Je n'ai pas fait d'école, la peinture, c'est ma passion. Je collectionne les livres sur les peintres que j'aime. Tout le monde peut apprécier la peinture. Ce n'est pas une question de culture mais de sensibilité.
Quand on baigne dans cet univers, on comprend qu'il y a quelque chose de divin dans l'art. Parfois, quand je peins, je ressens Dieu si fortement que j'ai des palpitations. Je suis en transe, je sens que ce n'est plus moi qui dicte mon geste et je sais qu'il faut que j'aille jusqu'au bout de cette impulsion. Souvent le matin, quand je découvre le travail que j'ai fait la nuit, je suis surprise de ce que j'ai été capable de réaliser.


VP: As-tu fait beaucoup de sacrifices pour pouvoir vivre de ta passion?
BM: Oui, c'est très cher de vivre de cette passion . J'ai vendu mon appartement pour avoir ma propre galerie à Denfert-Rochereau. Ça marchait très bien mais les charges d'un local à Paris sont trop élevées. Ma galerie BÔKAZ se trouve maintenant sur internet.  www.bokaz.fr
Mes tableaux se vendent bien mais avec la crise, la situation est difficile pour tout le monde. J'ai une nature généreuse, je peux m'adapter au portefeuille d'un client si je sens qu'il a vraiment un coup de cœur pour un de mes tableaux.


VP: Après avoir exposé au Salon des artistes indépendants, au Grand Palais, dans les Salons VIP du Stade de France, quels sont tes projets?
BM: Il est possible que j'expose prochainement à la Résidence départementale du Gosier. J'en serai très heureuse car je n'ai jamais exposé en Guadeloupe. Je suis également en pourparler avec la galerie d'art de Madame Peugeot pour une exposition sur le thème de la femme en juin ou juillet prochain. Je continue à travailler avec une société d'imagerie qui a réalisé des posters de certains de mes tableaux pour Roche-Bobois. Je suis également très fière d'avoir une soixantaine de mes peintures dans le hall de l'hôtel Majestic and Spa à Paris.
Je rêve maintenant de voir mes toiles exposées dans un musée en France ou aux USA. Je ne suis jamais allée à New York mais plusieurs de mes tableaux ont été vendus là-bas par une de mes amies.
Je n'ai pas d'enfants, je pense que je suis faite pour créer, c'est ma manière d'enfanter.
A ma mort, j'aimerais léguer toutes mes œuvres à la Guadeloupe.
A la fin de cette conversation, Béatrice Mélina réaffirme son amour pour cette vie si belle et si cruelle tout en précisant qu'elle ne se retrouve pas dans cette époque trop violente. Elle rêve d'une île paisible où elle vivrait avec des toiles et de la peinture...La Guadeloupe?

 

Les 7 péchés capitaux de Béatrice Mélina


La Gourmandise: Le chocolat, ça me rend malade mais je ne peux pas m'empêcher d'en manger.
L'envie: Je ne suis pas envieuse car l'argent ne fait pas le bonheur.
L'orgueil: Mon ex-meilleure amie l'était. Nous ne nous voyons plus.
La colère: Être insensible à une personne âgée ou diminuée me met très en colère.
La paresse: Se lever à midi et rester affalé devant une télé, c'est tout ce dont j'ai horreur.
L'avarice: Je suis d'une nature très généreuse. Dans la vie, il faut donner pour recevoir.
La luxure: Je n'aime pas ça. Je suis pour la pudeur, la réserve. J'aime la suggestion. Moi, on peut me faire jouir avec des mots.


 

Le clin d'œil vidéo de Béatrice:  le tableau qu'elle ne vendra jamais...

Lu 12269 fois Dernière modification le jeudi, 25 avril 2013 09:17

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