Outremerlemag : Depuis l’âge de 6 ans, vous avez été initié à la danse de couples. Avez-vous été tout de suite passionné par cette discipline ?
Franck Arnaud-Lusbec : Dès le départ, j’ai été intéressé et subjugué par la danse, c’était aussi un moyen de partager des moments avec ma mère, qui tenait à faire de son fils un bon cavalier (et pour être honnête ce n’était pas gagné d’avance).
Outremerlemag : A 10 ans, quelle était cette comédie musicale qui vous a engagé ?
Franck Arnaud-Lusbec : J’ai eu la chance d’être recruté dans la première édition de la comédie musicale pour enfants « Ti Kréol », créée par Danielle René-Corail, dans laquelle j’avais un rôle secondaire, mais je m’y suis totalement dévoué. Tant et si bien que pour la 2e édition du spectacle, j’ai été choisi pour être le personnage principal ! C’étaient mes premiers pas sur scène, et je pense que cela m’y a donné goût.
Outremerlemag : Qu’elle est la part qui vous attirait dans la danse ? Est-ce l’esthétique ou la technique ?
Franck Arnaud-Lusbec : Ce qui m’a attiré dans la danse c’est le concept d’expression corporelle de la musique. J’ai toujours été passionné par la musique et grâce à la danse je pouvais exprimer les émotions que ces chansons créaient en moi. Dès que j’étais introduit à une nouvelle discipline (j’ai par exemple pris des cours de bèlè à l’âge de 11 ans), toute occasion était bonne pour pratiquer et montrer mes capacités.
Outremerlemag : Quelle est la danse qui était pour vous la plus abordable entre la biguine, la mazurka, la salsa ?
Franck Arnaud-Lusbec : Je dirais qu’à l’époque la salsa était plus facile pour moi, pour la simple et bonne raison que pendant longtemps, je ne connaissais que des pas de base et que j’improvisais le reste à mon gré. Je voyais un peu plus de structure dans les deux autres, notamment la mazurka, pour laquelle il fallait que je garde un certain rythme et que je sois à même de mener mes partenaires. J’ai réalisé, bien des années plus tard, que la salsa était en fait plus difficile à exécuter correctement, et il a fallu réapprendre, et refaçonner près d’une quinzaine d’années de pratique. Cela étant chacune de ces danses a son propre charme.
Outremerlemag : En découvrant le Hip-Hop, était-ce un passage à une autre culture ou pour vous une simple continuité identitaire ?
Franck Arnaud-Lusbec : A l’époque où j’ai découvert le hip-hop, je venais de déménager à Paris, l’environnement était différent, la culture musicale était différente, et j’étais à un âge (11 ans) où on commence à façonner ses goûts de manière plus prononcée. De ce fait je pense que c’était un peu des deux. Mon identité artistique et musicale a évolué du fait de mon environnement et cela m’a amené à apprécier la musique Hip-Hop. La danse restant mon moyen d’expression corporelle de la musique, mon style de danse a évolué en même temps que mes goûts musicaux.
Outremerlemag : Que représentent pour vous des leaders de la danse noire comme Rick Odums ou Alvin Ailey ?
Franck Arnaud-Lusbec : Ces deux grands danseurs et chorégraphes ont énormément contribué au monde de la danse, noire ou autre. Ils ont été des précurseurs dans le monde du Jazz et de la danse Modern. Aujourd’hui, la compagnie Alvin Ailey est mondialement reconnue et est la compagnie de Modern qui se produit le plus, internationalement. Ces deux hommes ont mis en avant les racines noires, aussi bien dans leurs choix de musiques que dans l’élaboration de leurs chorégraphies. Ils ont de plus créé chacun leur école afin de pouvoir transmettre cette culture et ce savoir aux nouvelles générations de danseurs, noirs ou autres.
Outremerlemag : Comment avez-vous entamé ce parcours à New-York ?
Franck Arnaud-Lusbec : New York a toujours été la ville de mes rêves. Après avoir décidé de me lancer dans une carrière de danseur, cette ville a très vite été un objectif à atteindre. Après ma 2e année d’études à l’institut Rick Odums à Paris, alors que je m’interrogeais pour la suite, sur les bons conseils de ma mère, j’ai décidé de m’y rendre à titre exploratoire et afin de me familiariser avec les écoles et de pouvoir choisir celle qui me conviendrait le mieux. J’ai immédiatement été séduit, par la ville et par la danse. Après mon 1er cours de Jazz, j’ai su qu’il fallait tout faire pour m’y installer le plus vite que possible. Je me suis rendu dans plusieurs écoles, mais c’est Peridance qui a retenu mon attention. En effet c’était la seule école qui offrait un programme contenant, à la fois des disciplines classiques (Ballet, Contemporain, Modern…) et urbaines (Hip-Hop, House, Voguing, Dancehall…). De plus le programme inclut des cours de chant, de théâtre et des matières académiques. L’audition n’a pu être programmée que quelques heures avant mon départ (j’ai dû courir pour ne pas rater mon avion, juste après avoir fini). Les deux semaines qui ont suivi m’ont parues interminables, mais pour mon grand bonheur, j’ai eu une réponse positive et j’ai démarré la formation quatre mois plus tard.
Outremerlemag : Pas si aisé d’ailleurs puisque New-York reste le vivier de tous les danseurs et tous les genres confondus ?
Franck Arnaud-Lusbec : Il y a une très grande diversité culturelle à New York, et c’est d’ailleurs pour cela que j’avais hâte de m’y installer. L’ouverture d’esprit et le mélange des styles sont très attirants et intéressants. Mon but a très tôt été d’être un danseur polyvalent. J’ai toujours voulu avoir plusieurs cordes à mon arc, et c’est une ville dans laquelle cela est possible et très accessible. J’ai eu la chance de faire beaucoup de rencontres extraordinaires. Notamment, deux Martiniquais très reconnus à New York dans leurs domaines : Djoniba Mouflet, qui m’a initié à la danse africaine, et m’a recruté dans sa compagnie-Franck Muhel avec qui j’ai pu me perfectionner aux danses latines et aussi avoir la chance de redécouvrir les danses traditionnelles de mon île (Mazurka, biguine, Bèlè). Il m’a demandé de rejoindre sa compagnie et ses membres étaient encore un exemple de la richesse et de la diversité culturelles de New York. En effet, nous avons présenté une chorégraphie de bèlè à l’occasion du « NewYork international SALSA Congress » de 2013 avec une compagnie composée de 12 personnes ne contenant que 3 antillais. Les autres membres venant d’un peu partout dans le monde (Togo, Grèce, Japon, Espagne, Suisse…).
Outremerlemag : Parlez-moi un peu de ce nouveau monde ? Quelle sensation lors de cette première réussite ?
Franck Arnaud-Lusbec : Aujourd’hui, je suis fier d’avoir la chance d’être un ambassadeur antillais à New York. Je revendique constamment mes origines et je prends plaisir à faire découvrir la Martinique à mon entourage. Je prends aussi plaisir à pouvoir exercer ma passion, enseigner, auditionner, danser mais aussi chorégraphier pour faire grandir ma notoriété ainsi que mon talent.
Outremerlemag : Quelles sont les difficultés premières à exercer cet art tant sur le plan physique que sur le plan émotionnel ?
Franck Arnaud-Lusbec : La danse est un domaine très compétitif ! Il faut toujours être au top de sa forme et ne montrer aucun signe de faiblesse, aussi bien physique que mentale. Et ce n’est pas toujours facile, car le corps est soumis à des conditions rudes, et les blessures sont vite arrivées. Un danseur doit pouvoir se reposer pour être opérationnel, mais les horaires ne le permettent pas toujours. Emotionnellement il faut pouvoir encaisser les critiques, la compétition, savoir se regarder dans une glace pour s’évaluer, sans pour autant constamment se comparer aux autres. Pour être danseur et réussir, il faut avoir une force mentale, et un minimum de confiance en soi, pour continuer à se battre et avancer en surmontant tous les obstacles. Et quand on a les résultats, on se rend compte que le jeu en valait vraiment la chandelle.
Outremerlemag : La danse pour un jeune martiniquais est-ce aujourd’hui facile à choisir ?
Franck Arnaud-Lusbec : Pas toujours. Les métiers artistiques ne sont déjà pas toujours évidents à choisir, mais la danse est malheureusement parfois victime de préjugés. De nos jours, la réussite sociale passe par l’obtention du baccalauréat puis d’un diplôme académique. La danse peut être perçue comme un sous métier, du fait de sa précarité et du concept de « divertissement » auquel elle est rattachée. Pour ma part, j’ai beaucoup hésité avant de me lancer pleinement. Par ailleurs, en tant qu’homme, dire qu’on pratique des danses classiques, ou contemporaines, avoir un peu de souplesse, peut être considéré comme être efféminé. Heureusement les mentalités évoluent, et les esprits s’ouvrent peu à peu, je pense que nous allons vers une ère où il sera de plus en plus facile de choisir une voie artistique et d’être à la fois pleinement intégré dans la société.
Outremerlemag : Nutrition, danse et santé : que pouvez-vous nous en dire ?
Franck Arnaud-Lusbec : J’ai eu la chance au cours de mon cursus d’avoir, des cours et des séminaires sur la nutrition et la santé. En tant que danseur, notre corps est notre outil de travail. Comme un pilote de course automobile, il faut prendre soin de notre machine, c’est-à-dire, bien se nourrir et se reposer. Malheureusement, cela est plus facile à dire qu’à faire. A moins d’avoir un bon contrat et des revenus réguliers, il n’est pas toujours facile de bien se nourrir (avec des produits de qualité), et parfois, avoir suffisamment de revenus, signifie travailler beaucoup, donc avoir peu de repos. C’est un équilibre difficile à obtenir, mais tout à fait possible, la clé est de savoir parfois dire stop, et de trouver son rythme et enfin on apprend à trouver des astuces pour des produits de qualité à moindre coût.
Outremerlemag : Alors peut-on dire de vous que vous êtes un artiste riche de toutes ces expériences, quel est à ce sujet votre sentiment, vous ont-elles fait mûrir ?
Franck Arnaud-Lusbec : Vivre à New York apprend à se battre pour ses convictions. Rien n’est donné, rien n’est gratuit, pour gagner de l’argent, il faut sacrifier son temps, son énergie, et parfois travailler gratuitement pour pouvoir être rémunéré dans un deuxième temps. On apprend la valeur du travail, et le fait qu’il paye toujours même s’il faut parfois en fournir plus qu’on ne l’a imaginé au départ. J’ai aussi pu développer mon esprit critique et mon ouverture d’esprit sur beaucoup de styles de danses. J’ai donc effectivement beaucoup mûri grâce à cette expérience
Outremerlemag : Quel homme êtes-vous aujourd’hui ? Que gardez-vous de vos premiers cours de danse à la Martinique ?
Franck Arnaud-Lusbec : Aujourd’hui je suis un homme créatif, un artiste avant tout, caractérisé par sa grande sensibilité et son ouverture d’esprit. J’ai pris la décision de mener une vie conduite par la passion, et je m’y tiens autant que possible, afin d’aller jusqu’au bout de mon rêve et de voir mes projets se réaliser. Je suis très content d’avoir été exposé à la danse si tôt. Je n’ai pas eu le parcours typique de danseurs qui ont commencé les cours de danse très jeunes et pour qui ce métier a toujours été une évidence. J’ai dû prendre conscience de mes capacités, assumer mes rêves. Cela m’a permis d’être un homme plein de convictions, et avec le courage de les défendre.
Outremerlemag : Avez-vous l’intention de poursuivre votre carrière à New-York ou envisageriez-vous de la vivre ailleurs ?
Franck Arnaud-Lusbec : Aujourd’hui mon cœur est à New York, c’est une ville qui m’a beaucoup apporté du point de vue artistique et humain. Néanmoins, j’ai soif de découverte, et je veux parcourir le monde pour continuer à apprendre, m’enrichir mais aussi pour partager ma passion et mon savoir. J’ai une passion pour New York, mais je ne sais pas où ma carrière m’emmènera, je suis jeune, je garde l’esprit ouvert.
Outremerlemag : Le chorégraphe prend-il le pas sur le danseur ?
Franck Arnaud-Lusbec : A vrai dire, dans mon cas, le danseur prend souvent le pas sur le chorégraphe ! J’ai commencé à développer mon identité de danseur, avant de recevoir une formation, je suis ce qu’on appelle un « freestyler », je brille plus quand j’improvise et me laisse porter par la musique. J’aime créer une chorégraphie, et je prends beaucoup de plaisir à enseigner et voir mon style et ma gestuelle prendre vie sur d’autres danseurs, mais parfois le processus de chorégraphie est perturbé par mon envie de suivre mes émotions. Quand je suis livré à moi-même, mon corps prend souvent le pas sur mon esprit, et mes envies changent au fur et à mesure que je recherche de nouveaux mouvements.
Outremerlemag : Quel est le rêve en tant que danseur que vous souhaiteriez réaliser ?
Franck Arnaud-Lusbec : Je voudrais être un danseur reconnu, que mon nom attire et incite à vouloir travailler avec moi en tant que danseur ou chorégraphe. Je voudrais inspirer les futures générations, notamment les jeunes antillais qui aspirent à une carrière artistique. J’espère un jour pouvoir être un exemple et les guider.
Outremerlemag : Que vous apporte New-York et que vous n’avez pas trouvé ailleurs ?
Franck Arnaud-Lusbec : Une liberté d’expression… une liberté artistique et la chance de pouvoir rencontrer des danseurs venant du monde entier, avec leur savoir, leur culture, leur différence et leur vision artistique. New York est aussi un endroit qui offre beaucoup d’opportunités aux artistes qui démarrent, beaucoup d’événements permettent de présenter son travail, et donc d’être vu et repéré par d’autres artistes, voire de futurs employeurs.
*Bèlè : danse traditionnel de la Martinique. Le bèlé désigne à la fois la danse et le tambour qui porte son nom - tanbou bêlé.
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