Outremerlemag : - Qui se cache derrière cette voix qui nous fait encore danser en 2013 … ?
Claudy Siar : - Un afro caribéen de la Guadeloupe né à Paris, militant pour l'affirmation de mon identité piétinée par les épisodes de l'histoire. Une identité également née de ces crimes contre l'humanité que constituent l'esclavage et la colonisation. Mais ne croyez pas que je sois enfermé dans ce passé même si il est encore très présent à travers toutes les formes de discrimination.
Les premières années du Zouk furent pour moi des moments extraordinaires de libération par le biais de la musique. Kassav´ a su créer une sonorité « intergénérationnelle » porteuse d'une affirmation de ce que nous sommes devenus et de nos ambitions légitimes de réussite sans trahir la mémoire de nos parents...de nos ancêtres.
Le premier album de mon groupe (Salines), sorti en 1990, était doux et violent à la fois. Les chansons "Bondié" et "Unity" sont à l'image de cette génération consciente ... (ce sera d'ailleurs le nom de mon deuxième album avec Valérie "Kephren" Volet, sorti en 1992).
Votre parcours est atypique vous êtes chanteur compositeur, animateur, chef d’entreprise, directeur de radio ; homme des médias, leader charismatique de la communauté antillaise jusqu’à devenir leur représentant dans un gouvernement de droite.
Outremerlemag : - Qu’avez vous retenu de cette aventure ?
Claudy Siar : - Je n'appartiens à aucun appareil politique je m'y suis toujours refusé et on ne me l'a jamais proposé. Cette liberté me coûte chère. Néanmoins elle est respectée par mes interlocuteurs politiques. Les français, dans leurs votes, ne sont-ils pas tantôt à gauche tantôt à droite (surtout en Outre-mer...) vous n'avez pas oublié les années Pompidou, Giscard, Mitterrand, Chirac)
La règle veut qu'après le second tour d'une élection présidentielle, la personne élue devienne le Président de tous les Français.
Patrick Karam (Guadeloupéen comme moi) fut à l'origine de la création de la Délégation interministérielle pour l'égalité des chances pour les français d'Outre-Mer. Il avait défriché le terrain, apporté des solutions aux problématiques que nous connaissons tous. Lorsque j'ai fini par accepter la proposition qui m'était faite, je n'ai pas enlevé mes vêtements de militant ! Dans mon dernier rapport public "les 10 exemples flagrants d'inégalités de traitements envers l'Outre-Mer et ses originaires", je n'ai pas hésité à écrire " la France traite l'Outre-mer comme les confettis de son ancien empire colonial" en démontrant ainsi que si rien ne changeait, mes compatriotes seraient fondés à aller au-delà d'une évolution statutaire (article 73/74). C'était une question de dignité. Ce n'était pas une provocation mais bien l'expression de l'estime de soi et la dénonciation d'un système inégalitaire. Je suis très heureux d'avoir ouvert le dossier de la "téléphonie mobile". J'ai été suivi au plus haut niveau de l'Etat. Je suis sorti du jeu "les méchants opérateurs" en affirmant que l'Etat était responsable de la situation. Les réunions furent parfois difficiles. Depuis mars 2012 il y a eu des avancées comme les forfaits illimités…
J'ai été heureux de recevoir les « Black Panthers » représentés par Kathleen Cleaver et cela sous les "ors de la république"...une belle revanche. C'était dans le cadre du « Black history month » organisé par l'association de Maboula Soumaoro.
J'ai initié : les premières "Assises des professionnels des musiques d'Outre-Mer", le "Club Medias Outre-Mer" qui aujourd'hui est une association avec leur bureau à Paris. Le premier forum consacré à l'égalité des chances entrepreneuriales baptisé "Pourquoi pas moi". Un grand projet, conçu, porté et mené à bien par Alain Dolium.
Mais le projet, dont je suis le plus fier est le programme "Solidarité" qui a permit d'aider les plus démunis. Distribution de colis/repas, hébergement provisoire et gratuit, réinsertion... Nous avons mis en place des billets d'avion gratuits pour les plus nécessiteux. Sophie Elizeon, l'actuelle Déléguée, a renforcé ce dispositif. Pour moi, la véritable insécurité c'est la précarité. Toutes mes actions de Délégué sont répertoriées sur mon blog: claudysiar.fr
Mon but était d'aider notre communauté à s'organiser et dans tous les domaines.
Et pour finir, je suis également fier d’être à l’initiative de la diffusion des bulletins météorologiques de l’ensemble des collectivités de l’Outre-mer sur TF1 et France 2 … Ce n’est peut être rien, mais ce sont des arguments forts pour le développement touristique de nos territoires mais surtout dans le fait d’appartenir à la Nation…

Outremerlemag : - Que vous a –elle apporté ?
Claudy Siar : - J'ai mieux compris le fonctionnement des 2 machines étatiques ; le gouvernement et la haute administration. J'ai surtout mesuré nos difficultés à savoir parler d'une seule voix. Nous avons une incapacité chronique à ne pas comprendre que les défaites des uns sont les défaites de tous ! Mais que les victoires des uns rejaillissent sur le groupe. Mais pour cela il faut l'unité, de l'abnégation, du respect et de l'action. Je connais bien celles et ceux qui intriguent en coulisses, déstabilisent les leurs. Postures violentes qui ne leur apportera rien. A ces gens (très souvent de grands talents) je tends la main et je leur dis " je suis à votre service si vous avez besoin de moi, mais sachez en faire autant pour celle et celui qui feront appel à vous". Les frustrations, les échecs de certains, engendrent parfois des comportements peu constructifs. C'est parce que j'en comprends les raisons que je les pardonne.
Outremerlemag : - Quel est votre vrai bilan à part ce que vous avez publié quand vous avez quitté la délégation interministérielle ?
Claudy Siar : Il n'y a pas de vrai ou de faux bilan ! Il faut juger si les pierres que j'ai posées sont importantes pour l'édifice que nous contribuons tous à construire lorsque l'on est engagé pour sa communauté.
Outremerlemag : - Etes-vous déçu d’avoir vu et vécu l’envers du décor ?
Claudy Siar : -Non ! La réalité ne doit pas nous décevoir. Nous en sommes toujours un peu responsables. Cependant, un autre monde est possible. Le nôtre est déjà différent de celui de nos parents.
Outremerlemag : - Que deviendront les grands dossiers qui vous préoccupaient durant votre mandat, je veux parler de la téléphonie mobile en Outre-mer, du véritable lieu pour l’Outre-mer, du premier club des médias (CNMOM) ?
Je ne suis plus Délégué et n'ai pas souhaité le rester. Sophie Elizeon a une vision qui me semble très claire pour notre communauté. Il faut lui faire confiance.
Je voudrais quand même vous annoncer que je vais m'investir dans les actions de la "Case Sociale Antillaise" Gaston Calife voudrait me voir lui succéder. Lorsque nous l'avons évoqué, j'en avais les larmes aux yeux. Être auprès de ceux qui souvent ne votent plus, « les laissés pour compte » est pour moi la meilleure façon d'honorer la mémoire de ma mère qui a sacrifiée sa santé, sa vie pour élever ses enfants. Mes frères et sœurs et moi avons eu une enfance difficile, des moments très durs mais nous avons reçu tellement d'amour grâce à maman...
Les discriminations vous ont toujours insupportées, vous n’avez pas hésité à organiser un meeting devant France 2 après les propos racistes de Charles Trenet, 3000 personnes vous ont rejoint… Un seul appel d’à peine 30 secondes, a suffi pour mobiliser les personnes contre cette injustice…
Outremerlemag : - Pourquoi n’avez vous pas autant mobilisé suite aux propos tout aussi racistes de Monsieur Guerlain ?
Claudy Siar : - La manifestation contre la diffusion des propos de Charles Trenet par Antenne2 c'était le 21 septembre 1991, le jour de la mort de Eugène Mona.
Pour Guerlain. Tropiques FM a joué son rôle en alertant la communauté. J'étais dans mon bureau lorsque qu' Elise Lucet a ri de l'énormité raciste de la phrase de Guerlain (très semblable a celle de Trenet). A 13h45 j'ai demandé à mon technicien de copier les propos nauséabonds du parfumeur. Nous en avons fait une bande annonce pour l'émission spéciale de "Laisse-parler les Gens" du soir même ! Ce fut le point de départ de la mobilisation...
Vous êtes un homme engagé dès 1993, bien avant Jacques Chirac vous organisez la première commémoration de l’esclavage en métropole qui interviendra officiellement le 10 mai 2002. Vous mettez 10000 personnes dans la rue qui parcourent la Place de la République à la Place de la Nation …

Outremerlemag : - Avez-vous dans votre botte secrète des projets politiques pour faire bouger véritablement les lignes en faveur de l’Outre-mer ou plus largement en faveur de la France de la diversité ?
Claudy Siar : - Merci de rappeler cette "marche des Nègres Marrons"... Une première pour laquelle j'ai essuyé les attaques des miens ! Convaincu de mon action, j'ai accepté les coups. Lorsque vous êtes habité par votre combat, rien ne peut vous détourner de votre objectif.
Oui j'ai quelques projets mais aucune ambition politique personnelle. Je veux pousser des femmes et des hommes en place ! Pour cela, je ne dois pas brûler les étapes et je veux, je dois travailler avec les personnes les plus engagées ...les plus convaincues.
C'est bien pour cela que j'ai voulu créer Tropiques FM ... Une radio communautaire au service des Français d'Outre-mer.
Le concept de diversité a échoué ! Il marginalise. En France, la diversité est incarnée par tous les "non-blancs"...le petit racisme se niche partout.
Vous êtes non seulement un homme charismatique mais votre rayonnement dépasse largement les frontières de la France. En Afrique vous êtes cité en exemple par plusieurs chefs d’Etat, vous lancez le concept « Génération consciente » en faveur de la jeunesse africaine ?
Outremerlemag : - Quels sont vos projets pour ce continent ?
Claudy Siar : - Permettez moi de dire que se sont avant tous les gens des peuples d'Afrique à qui je dois ma notoriété en Afrique. Je connais bien certains chefs d'état africains mais ce ne sont pas mes intimes... La nuance est importante. Depuis des années, je tente, peut-être avec prétention (j'assume) de convaincre ces dirigeants à adopter des politiques plus favorables au bien-être de leurs peuples et des aspirations de la jeunesse. Force est de constater que je n'y suis pas encore parvenu. Mais ce n'est pas un sprint mais une course de fond. J'ai de beaux projets pour 2014/2015 avec une volonté d'associer des originaires d'Outre-mer à ces grands projets.
Outremerlemag : - Quels sont vos projets en faveur de la jeunesse d’Outre-mer sans frontières ?
Claudy Siar : - Je veux leur dire que l'Afrique est un continent sur lequel ils peuvent se réaliser. Si je n'avais pas eu le continent, terre de mes ancêtres, j'aurais probablement tourné comme un lion en cage dans une France qui a souvent fait des Français noirs, des Français avec les mêmes droits mais juste dans l'esprit ! La continuité territoriale s'applique pleinement pour la Corse (pays d'Outre-Mer) et pas pour nos régions ! Je sais que Victorin Lurel a mis cet ouvrage sur l'établi. Nous devons tous être à ses côtés pour qu'il réussisse. " Nos jeunes ont des talents " pour reprendre le nom d'un dispositif que j'ai lancé lors de ma mission de Délégué. En jeune chef de cabinet, Fabrice Devaed, s’était très investi dans ce dossier. Le monde est trop vaste pour que des vagues de jeunes talentueux brisent leur énergique jeunesse sur les côtes d'une France aveugle, préférant son glorieux passé à un présent à construire avec tous ses enfants.
Nous avons assisté à votre retour avec brio sur France-Télévision avec une grande émission Ô SHOW, et nous savons que la rentrée nous réserve le meilleur de l’animateur CS.
Outremerlemag : - Qu’en est –il ? Dites à Outremerlemag vos projets …
Claudy Siar : - "ÔShow" était un one shot comme on dit à la télévision. A partir du jeudi 10 octobre je reviens sur France Ô avec le " Claudy Show". Je produis cette émission avec Charlotte Delachaux. Nous avons notre propre société de production ; RTT (Regarde Ta Télé). Toutes celles et tous ceux qui font l'actualité seront sur mon plateau. L'Outre-Mer sera au cœur du programme et pas seulement (le monde afro....). Nos invités seront passés à la moulinette ...avec toujours la même exigence chez moi ; mettre en valeur nos invités. Ce sera un grand moment de divertissement et de lien indispensable pour la communauté par le truchement des médias.
Outremerlemag : - Est ce que ça vous parle ? « Toi même tu sais » ! Dites nous plus …
Claudy Siar : - J'ai popularisé cette expression dès le 13 mars 1995 dans mon émission "Couleurs Tropicales" sur RFI que je produis et anime depuis 18 ans. Écoutez "Couleurs Tropicales" du lundi au vendredi de 22h à 23h et vous comprendrez l'esprit du "Toi même tu sais" que tout le monde a repris ...
…
Outremerlemag : -Vous êtes revenu à votre priorité : « la radio Tropiques FM. Nous savons que vous rencontrez quelques turbulences … avec votre associé ? Comment envisagez-vous l’avenir ?
Claudy Siar : - Le point le plus important pour moi est que Tropiques FM reste la radio de notre communauté.
Défendre cet acquis est nécessaire pour nos auditeurs, il ne faut surtout pas que l'on perde notre espace de liberté médiatique !
Il faut, peut être appartenir à cette frange de la population pour comprendre d'où nous venons et les combats que nous avons mené pour obtenir le peu que nous possédons.
Ce droit ne se trahit pas, cette liberté ne s'achète pas!
Tropiques FM ne doit pas se résumer qu'à des programmes musicaux... Bien sûr, la musique joue un rôle majeur dans notre vie, elle fait même partie de notre culture et j'en suis le premier défenseur depuis tant d'années, mais notre histoire ne se raconte pas uniquement par cet art.
Ce n'est pas l'unique image que nous devons projeter aux autres et encore moins à nos enfants. Ouvrons leur le champ de tous les possibles. Transmettons leur aussi notre histoire, notre langue, notre héritage et la possibilité de mieux grandir.
Ceci est une obligation pour laquelle, je me battrai jusqu'à mon dernier souffle.
Tropiques FM est essentielle dans la construction identitaire, intellectuelle et sociale de notre communauté. C'est bien sur cette définition radiophonique que j'ai élaboré en 2006 le programme de notre radio et, c'est à ce programme clairement énoncé, que le CSA a attribué la fréquence. Cette définition devenue le cahier des charges de Tropiques Fm.
Je souhaite donc, que le respect et le besoin de servir notre communauté priment sur toutes autres préoccupations personnelles.
J'ai confiance dans la capacité de chacun à faire le bon choix ; celui de la raison et du respect.
C'est encore dans ce but que je suis entrain de finaliser le programme de rentrée de Tropiques FM.
Beaucoup de surprises attendent nos auditeurs et toute l’équipe sera au rendez-vous pour leur offrir le meilleur de " LEUR "radio.




