Société

jeudi, 25 juillet 2013 04:36

Exhibit B fait recette, polémique en Avignon

Sur la place devant la Chapelle des Célestins la queue devant la billetterie ne cesse de s’allonger. Efforts louables mais vains, Exhibit B joue à guichet fermé. Enfin joue ! Une façon de dire puisqu’il s’agit d’une performance composée de fascinantes « pièces à conviction », traduction littérale du mot anglais exhibit.



Munis d’un billet, nous entrons dans un sas et devenons un numéro en attente d’appel. Ensuite c’est seul, un par un, et une première impression de malaise. Dès l’entrée dans la Chapelle fraîcheur, recueillement et  obscurité. Avec une violence reposant sur le contraste s’impose le premier tableau vivant de deux pygmées mis en vitrine, habillés de pagnes et mètre ruban de couturier autour des bustes et bras comme ornement et la Vénus hottentote qui tourne sur un podium " étrange spécimen de la nature". Le film que beaucoup ont vu s’impose avec douleur aux esprits. C’est à partir d’histoires semblables à celle de Saartjie Baartman que Brett Bailey a réalisé Exhibit B.
 

Processus de déshumanisation en cours
Ici, l’artiste sud africain Brett Bailey, qui a grandi pendant l’apartheid, offre à voir des hommes et des femmes en chair et en os, mais qui pour la plupart évoquent la mort : physique, sociale, psychique. Une performance qu’il inscrit dans un projet plus vaste qu’il mène sur les « zoos humains », pratique courante au début du 20ème siècle en Europe et aux Etats Unis, d’exhibition de "sauvages" venus d'Afrique. Est-ce avec la même curiosité malsaine que nous entrons dans cette église ? A priori non : la curiosité n’est plus de mise, les regards ont changé, nous ne pouvons plus être surpris par ces témoignages qui nous sont connus et par leur récit devenu Histoire.
Alors que sommes nous venus faire ici ? Nous nous sentons malgré tout voyeur. D’autant qu’un panneau nous conseille « prenez votre temps » et que les chaises installées en face de chaque tableau vivant restent pratiquement vides. Nous sommes peu à oser nous asseoir face au regard fixe et troublant de l’homme ou de la femme qui nous regarde droit dans les yeux. Même si nous savons qu’il s’agit d’acteurs, de volontaires, puisque  Bailey fait appel à des performers d’origine africaine installés en Belgique .
Les situations sont terribles, mais la mise en scène superbe. Malaise, culpabilité ? A coup sûr, mais l’esthétisation de la situation finit-elle par nous rendre la situation acceptable ? Protégé par la démarche esthétique et conduit par les stéréotypes mettons-nous le réel à distance ? Ainsi le tableau de cette femme superbe dont le visage se reflète dans un miroir, assise nue de dos sur le lit de la chambre d’un officier français à Brazzaville au début du XXème siècle, chaîne au cou, trophée de chasse parmi d’autres. Des larmes mouillent certains regards. Naissent-elles du rappel de situation d’hier ou d’aujourd’hui ? Distance esthétique aussi, quand la musique, magnifique, inspirée au compositeur namibien Marcellinus Swartbooi par des chants de lamentation traditionnels nous incite à  « admirer » ces quatre têtes coupées qui dépassent de quatre boîtes blanches.



Chaque tableau est la reconstitution exacte d’une situation qui a existé. On penserait pouvoir développer des approches plus froides, parce qu’entrées dans l’histoire. Mais l’émotion renaît à cause du vivant, comme avec cette femme Herero assise derrière un fil barbelé, un crâne à la main, du verre et des crânes partout alentour. Elle représente un peuple de l’Afrique du Sud-Ouest exterminé par l’administration coloniale allemande. Le carton raconte, ici, comment la colonisation a été le laboratoire du génocide des Juifs dans  les camps de concentration allemands d'Afrique du Sud-ouest, où les femmes faisaient bouillir les têtes décapitées de leurs codétenus avant de les curer avec des tessons de verre pour qu'ils soient expédiés dans des instituts de recherche européens, ou cette autre femme qui porte un panier de mains coupées en latex. La légende explique que dans ce coin de l’Afrique de l’Ouest toute personne qui ne remplissait pas son quota de caoutchouc avait droit à une mort par balle, et pour l’usage de chaque cartouche il fallait un reçu : la main droite coupée de l’esclave. Date 1895-1908. Lieu : Congo belge. Propriétaire  des plantations: le roi des Belges, Léopold II, qui ne mit jamais les pieds en Afrique. Bouleversant.

Exhibition B ne nous permet pas de nous réfugier dans l’Histoire et l’irresponsabilité.
Les tableaux s’ancrent dans la violence d’aujourd’hui où racisme ordinaire, domination et maltraitance perdurent. Ainsi le tableau « Objet trouvé 1 » désigne un refugié congolais, trouvé près d’Avignon,  t-shirt noir et jean, a un numéro (0435766) collé sur le torse. Plus loin, un Somalien, du ruban d’emballage sur la bouche, est attaché sur un siège d’avion. On apprend qu’il évoque la mort d’une femme asphyxiée par des  agents de la police française des frontières à l’aéroport Roissy Charles de Gaulle. A la sortie  nous replongeons dans un réel rassurant : les acteurs ont donné leur avis sur leur travail, ils disent en avoir fait une sorte de traitement du mal par le mal, leur fierté d’être là... Mais nous restons secoués avec l’impression qu’il reste un sacré chemin à parcourir pour que l’homme accepte l’Autre. D’autant que le réel, c’est aussi ce lieu qui n’a pas été choisi par hasard puisque le cloître accueille les sans abris.

Le festival d’Avignon était cette année consacré à l’Afrique. Avec 21 créations et 12 premières en France sous le signe d’Afrique, avec Dieudonné Niangouna qui revient sur le devant de la scène avignonnaise et conduit la programmation sur une voie tout africaine. La présentation des festivités de 2013 met fortement en échos la violence, la mort, l'oppression, l'humiliation, l'engagement et fait perdurer des problématiques maintes fois dénoncées. Il vous reste quelque jours pour en profiter.
Un festival qui a posé beaucoup de questions,
 cf Pénélope Dechaufour in: http://www.africultures.com/php/?nav=article&no=11517#sthash.Y5jguEZP.dpuf

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