Pour l’opération tout se passa bien, cependant il y eu un bémol : l’enfant naquit dans le coma et fut transporté ailleurs dans un autre hôpital spécialisé dans ce genre de situation, en réanimation. La combativité, l’acharnement des médecins ont ramené mon petit garçon à la vie. Quel beau bébé, encore une fois, Dieu nous avait comblés. A la fin de l’été 1992, ce vendredi matin, j’étais seule à la maison avec mon TAYLOR, c’est son prénom. Ce jour- là, comme si la sonnerie du téléphone résonnait plus fort que d’habitude, au bout du fil, une voix, une voix féminine : je suis désolée… m’entendis-je dire ! La doctoresse venait de m’apprendre que mon fils était atteint de la forme la plus grave de la drépanocytose, il est SS. J’ai hurlé comme jamais. Toute ma vie, toute celle de ma famille, de mon TAYLOR venaient de s’effondrer. Et puis, plus tard, on m’apprend que c’est une maladie génétique transmise par les deux parents, RAGE , CULPABILITE, COLERE, DECEPTION, tous ces sentiments ont fait de moi une loque humaine. Cependant, le grand combat de ma vie commençait, la chair de ma chair était atteinte d’une tueuse sanguinaire, une bête immonde, d’autant plus qu’on m’affirma par la suite que ces enfants n’atteignaient pas l’âge de 5 ans. Je déclarai la guerre à la maladie, mais je me suis vite rendue compte que ce n’était pas seulement la maladie qui nous épuisait, mais l’inertie, le laxisme voire la désinvolture, des uns et des autres. Et puis, petit à petit les crises commencèrent, Taylor était trop jeune pour dire où il avait mal. Alors, la maison où l’hôpital étaient rythmés par des cris de douleur, les nuits blanches et les journées noires aussi faisaient partie de notre quotidien. Mon enfant était plus souvent à l’hôpital qu’à la maison et traité de tous les noms : petit négro drogué à la morphine, le petit drépano de la chambre d’à côté. Il avait même perdu son identité. Notre vie était devenue un tableau composé de douleurs, de pleurs, de chagrin et, de temps en temps, de bonheur quand mon fils avait la chance de ne pas être hospitalisé :
De jour en jour, mon fils diminuait, il était squelettique, son ventre ressemblait à un ballon de basket, ses beaux yeux étaient devenus jaunes à l’instar du vitellus d’œuf, mais il restait pour moi, le plus bel enfant au monde. Il commençait à s’exprimer : « Maman, j’ai mal comme si on me cassait les os avec un marteau piqueur, comme un tremblement de terre, comme un cyclone qui dévaste tout dans mon corps ». Et quel corps, Taylor n’en avait plus, son corps appartenait à la drépanocytose, cette maladie du sang qui lui avait spolié sa petite vie. « S’il te plaît maman guéris-moi ou tue-moi, je veux mourir ! Quand on est mort, on ne sent plus rien et ça se peut que je serai un ange qui aidera les autres enfants malades ». Mais moi, je voulais que mon fils vive, je ne voulais pas faire le deuil de la santé de mon fils, mais celui de la mort annoncée, non ! Je devais me battre telle une lionne et comme une sentinelle aux yeux de lynx, il fallait que je sois à l’affut pour sortir mon Taylor de cet abyme de douleur, de cette chose morbide qui l’entrainait petit à petit dans la tombe. Et d’autres déceptions vinrent s’ajouter à celles qui y étaient déjà. Certains sont sourds et aveugles : très peu entendaient mes appels « au secours » même si mon combat s’était élargi à tous, en dehors de l’hexagone ! Même si tous se rendaient compte que j’avais sacrifié ma vie pour aider les autres. Certes, j’ai toujours une épée de Damoclès suspendue au-dessus de ma tête et qui risquait de tomber et de me la trancher. Mais, je ne baisserai pas les bras ! tant qu’e je serai en vie et qu’il restera sur cette terre des drépanocytaires, je me battrai et advienne que pourra ! Ce sont des êtres humains, vivants qui ont le droit d’avoir un peu de répit, le droit de vivre, le droit d’être soigné. Après avoir parcouru des dizaines de pays, je ne suis pas lassée, même si je suis lasse, la lutte est éprouvante et je ne dois jamais baisser la garde !!! Mais il faut que tout un chacun sache que cela n’arrive pas qu’aux autres ! Nous sommes tous concernés, la drépanocytose ne fait pas de distinction d’origine…elle est galopante, elle arrive et quand elle frappera encore des peuples, si on ne fait rien, il ne nous restera plus que les yeux pour pleurer.
Jenny Hippocrate




