De Luc Saint-Eloi à Greg Germain, des Frères Martial à Félicité Wouassi, entre Afrique et Antilles. Ils s’accordaient à dire combien ils n’étaient pas reconnus dans le vivier du théâtre français, alors qu’ils y avaient depuis longtemps apporté leur contribution.
Dans le N°172 de la revue Théâtre/Public, dans un dossier de Sylvie Chalaye intitulé « Ombres de la rampe, les comédiens noirs de la scène française », on peut lire ceci : « Les acteurs noirs ont participé à l’histoire de la scène française depuis l’époque des avant-gardes dans les années 20, jusqu’aux temps de la décentralisation avec Jean Vilar, Jean-Louis Barrault, Pierre Debauche, Roger Blin ou Jean-Marie Serreau. Et dans les années 70-80, l’engagement d’Antoine Bourseiller, de Peter Brook, d’Antoine Vitez, de Gabriel Garran, de Daniel Mesguich ou Richard Demarcy a été déterminant dans l’aventure des comédiens noirs sur les plateaux de France. »
Pas besoin de dire que de toute part on l’a souvent oublié.
En lisant ce numéro qui m’avait profondément bouleversé, j’y ai retenu combien les mémoires sont courtes. J’ai réalisé combien des rencontres exceptionnelles ont rythmées mon parcours professionnel et personnel.
Où en est le temps de ce « Théâtre Noir » dont rêvait Benjamin Jules Rosette dans les années 80/90, théâtre niché dans une rue du 20ème arrondissement, servi par des - Marie-Line Ampigny (journaliste et metteur en scène, qui avait alors monté une adaptation de Carmen, Carmen la Matadore en 1983 avec Claudy Siar, Laure Moutoussamy ou Daniely Francisque). Dans ce premier espace où sévissait musiciens, comédiens, danseurs, on a pu rencontrer Myriam Makéba, et de nombreux artistes dont la notoriété n’était pas vaine. Il y eut quelquefois Carole Alexis revenue de sa formation à Cuba où Césaire lui-même l’avait envoyée. Danseuse, chorégraphe et fondatrice de la compagnie « Ballet des Amériques, » elle passait saluer quelques amis avant de s’envoler pour New-York, où elle réside.
Mais le « Théâtre Noir » fut aussi un tremplin pour des comédiens d’excellence comme Théo Légitimus, Darling Légitimus, Mariann Mathéus, Marie-Noëlle Eusèbe ou encore Martine Maximin et de nombreux autres.
Ce fut encore le rôle de la compagnie « Théâtre de l’A.I.R. » (Artistes Immigrés Réunis) fondé en 1983 par les comédiens Luc Saint-Eloi de la Guadeloupe et Marie-Line Ampigny de la Martinique. J’ose dire que le théâtre y a perdu beaucoup lorsque madame la journaliste Ampigny prit le pas sur le metteur en scène du même nom. Après quelques belles créations, Luc Saint-Eloi reprend le flambeau et rebaptise cette troupe « Théâtre de l'Air Nouveau », c’était en 1986. Le metteur en scène nous y offre une de ses plus belles pièces, « Trottoir Chagrin », créée à Fort-de-France, au Théâtre Municipal. Une pièce qu’il interprète ensuite à Paris avec une de nos meilleures comédiennes et metteur en scène, Mylène Wagram. Cette piièce qui sera d’ailleurs légitimement récompensée.
De cette formation théâtrale sont nés des artistes incontournables du « Théâtre Noir » comme : Ghyslaine Décimus, Harry Baltus ou Max Diakok (comédien, danseur traditionnel émérite).
Il y a dès lors une émergence d’un théâtre caribéen dans l’hexagone, pour ne citer que ceux-ci parce qu’à la Martinique particulièrement sont nés depuis la création du SERMAC, différents courants théâtraux, celui de Césaire joué par des troupes comme le « Théâtre de la Soif Nouvelle » créé en 1985, dirigé par Annick Justin Joseph puis Elie Pennont, il disparaitra en 1995. Des comédiens telles que José Alpha, Aurélie Dalmat, José Exélis et Sylviane Enéléda en faisaient partie. L’immense Wole Soyinka y créera La Métamorphose de frère Jéro en 1986.
Depuis les années 70/80 le théâtre caribéen s’est métamorphosé, il s’est laissé poussé des ailes et Michèle Césaire actuellement Directrice du Théâtre Municipal Aimé Césaire à Fort-de-France le disait déjà en 1999 lors d’un interview accordée à Alvina Ruprecht (Université Carleton) qu’il serait bon que ce théâtre soit étudié dans les Universités Antilles-Guyane. Il faut rappeler que Michèle Césaire fut la directrice artistique de la troupe Théâtre Racines dès 1982 ce pendant 15 ans. Elle a été à l’origine de la création du premier diplôme d’études théâtrales de l’Université Antilles Guyane en 1996, ceci disparu malheureusement en 1998. Elle fut également et responsable de la mission du Centre dramatique régional de la Martinique.
A cette même période, en hexagone on a vu naître également le TOMA (Théâtres d'Outre-mer en Avignon). Une belle institution vouée au théâtre, dirigée par Greg Germain et Marie-Pierre Bousquet. Une plateforme qui au Théâtre de La Chapelle du Verbe Incarné a vu, en 10 ans :
- "52 pièces de théâtre, 16 spectacles de danse, 1 film
- 1484 représentations jouées sur les planches de la Chapelle
- plus de 60 000 spectateurs à s’être assis dans les fauteuils
- 328 comédiens ou danseurs applaudis (très longtemps),
- 51 auteurs contemporains
- 272 metteurs en scène, techniciens, et professionnels du spectacle vivant accueillis dont de nombreux caribéens."
Pour ma part, il me semble qu’il y a différents théâtres émergeant d’un imaginaire prédominant aux Antilles-Guyane, Réunion où encore Haïti comme la troupe « Kouido » qui a vu naissance à New-York, dès 1960 et fondée par l’incontournable artiste qu’est Syto Kavé . Il y aussi le travail colossal d’un non moins grand, auteur, comédien et peintre, Frankétienne.
Et pour conclure simplement, je nommerai des gens de théâtre contemporains qui mettent en lumière nos mémoires vives, nos mondes littéraires et scéniques comme Gerty Dambury, Laëtitia Guédon, Gaël Octavia, Alain Foix, Hervé Deluge, Fabienne Kanor, Bérard Bourdon, Elie Stephenson, José Jerdinier, Thierry Desroses, Jacques ou Jean-Micchel Martial, D’de Kabal entre autres.
Nous avons entamé des petites histoires de nos gens de théâtre, et nous continuerons à sillonner des chemins d’hier, d’aujourd’hui, qui font sans doute les lendemains meilleurs de notre scène théâtrale.
Force est de constater que malgré tout, la présence de comédiens noirs sur les scènes théâtrales a quelques peu évolué même si selon certains pas assez au sein de pièces qui ne soient pas du cru « Théâtre Noir ».