

Avant le début de ce débat, Mme Elizéon a d’abord transmis aux participants le message de Christine Kelly, la fondatrice de K d’urgences*. Elle leur a transmis son soutien, mais aussi son profond respect pour leur engagement auprès des familles monoparentales. « Je tenais à venir vous rencontrer compte tenu de votre activité. Trop souvent on a définit à tort les sociétés antillaises comme matriarcales. Votre démarche éclaire véritablement nos sociétés». Kristine Kelly et la CAFAM envisagent de se rencontrer prochainement. En effet, ce sujet préoccupant fait écho à notre dossier sur sa Fondation “ K d’urgence ”.
Avec peu de moyens, les femmes de la CAFAM ont pris à bras le corps la mission bien lourde qu’est la famille antillaise au sein de la société. Après bien des recherches, Viviane Rolle-Romana a pu d’identifier et bien cerner la notion de « matrifocalité ».
En effet, la directrice de l’association avait constaté, dans le cadre des consultations ethno-cliniques de son service hospitalier situé à Saint-Denis, que la majorité de ses patients antillais étaient des femmes. Pendant des années « je n’ai vu que ça. Même si elles n’étaient pas en situation de monoparentalité, elles prenaient seules en charge des troubles psychiatriques importants. Pourquoi les pères, les maris étaient-ils absents ? Eux aussi étaient pourtant en état de souffrance évidente. C’est seulement à partir de 2000, que j’ai pu rencontrer des hommes qui ont accepté de parler de leurs difficultés, de la famille grâce aux groupes de paroles du CM98*. »
« Ce sont mes lectures qui m’ont menée à mettre l’accent sur ce type de famille. Grâce à ces recherches, j’ai compris que dès les années 50, cette famille était identifiée par les américains comme des "familles maternelles". C’est seulement en 1956 que le sociologue caribéen Raymond Thomas Smith a mis un mot sur cette spécificité : la matrifocalité. On dit à l’époque d’une famille matrifocale qu’elle a été construite dans un univers esclavagiste. Toujours selon le sociologue, les enfants qui grandissent dans une famille matrifocale sont issus de pères différents. Ils ne sont pas reconnus par leurs pères et, par conséquent, ils sont exclusivement élevés par leurs mères ».
A cette époque, les auteurs sociologues soulignent beaucoup l’absence des hommes. Ces familles sont aussi décrites comme pathogènes, anomiques, éclatées, morbides. Bref, des familles qui ne tiennent pas la route. Les africains-américains des années 50/60 pensaient que les familles matrifocales ne pourraient devenir conjugales qu’a condition d’obtenir des droits civiques et des aides sociales appropriées.
Selon les écrits d’Edward Franklin Frazier, ce n’était pas une simple caricature. C’est une situation historique qui a entrainé chez les hommes, cette incapacité d’être un « mari » ou un « père ». La fonction paternelle n’étant pas une fonction fondamentalement naturelle parce qu’étant construite de manière sociale et psychologique. On ne peut pas exiger d'un homme qu'il assume pleinement son rôle de père si il n'a jamais connu de figure paternelle.
S'ajoute à cela la question de la fonction parentale, sujet épineux qui a fait débat tout au long de la mise en place du Mariage Pour Tous : quel est le rôle du père, et quel est le rôle de la mère?
Revenons au groupe de parole de notre association. Les femmes témoignent de leurs situations de victimes, de femmes abimées. Et si elles évoquent aussi leur détresse affective liée à une sensation d'abandon, elles ne parlent que très peu des difficultés liées à l'éducation de leurs enfants. Quant aux hommes d’Outre-mer, ils ne révèlent pas grand chose à propos de leurs vies conjugales. Ils ne disent rien de leurs enfants, ni de leurs femmes. Leurs seules paroles sont celles de leurs fils, qui nous confient leurs rapports à une mère qu’ils ont parfois vu souffrir d'une solitude qui les ronge. Beaucoup d’hommes choisissent néanmoins de faire alliance avec leurs femmes et décident de gérer la famille comme dans beaucoup d’autres sociétés.
Laure Bottius (Trésorière du CAFAM - Cadre de Santé) a beaucoup accompagné des femmes en difficulté. Elle a développé l’importance de leurs identités, de leurs caractères physiologiques au sein de la famille.
La CAFAM met en avant le fait qu'il est important que les femmes antillaises donnent une place à leurs hommes au sein de la famille qu'elles envisagent de construire. Les femmes antillaises, fortes et déterminées, ont souvent l’habitude de tout endosser. Pourtant, cette attribution est d'une importance cruciale. Les hommes doivent pouvoir sentir qu'ils ont un rôle à jouer dans la construction d'un modèle familial.
Les échanges que permettent ces groupes de paroles permettent aux femmes de mettre des mots sur des comportements qui façonnent leurs vies personnelles et professionnelles. Bien sûr, il n’est pas question d’excuser, mais de mieux analyser.
Madame Eliane Pomier (Secrétaire du CAFAM & conseillère en économie sociale et familiale, spécialiste en victimologie) a parlé de son indépendance totale, comme beaucoup de femmes antillaises qui vivent la monoparentalité. Ce qui importe, c’est que trop souvent, les enfants non reconnus souffrent terriblement. Même si la femme s'adapte, force est de constater qu'un enfant a besoin de modèles.
Au terme de ce débat, les femmes prennent conscience de leurs héritages, de leurs histoires. Il est évident que la solitude a pris le pas dans certaines vies. Pour les membres de la CAFAM, il est important que ces familles se portent mieux, que les femmes et les hommes entretiennent une relation équilibrée, en vue d’un meilleur épanouissement. Il y a aussi dans le travail des membres de la CAFAM, la volonté que la force des femmes s’harmonise à celle des hommes et que comme le « zouk », elle devienne notre médicament. « Ce qui est en jeu, c’est que cette force est revendiquée et l’on se rend compte que c’est une femme qui la détient. Cette force fait que l’on ne sombre pas, c’est une résilience » rajoute Madame Rolle-Romana.
En conclusion, Madame Elizéon a félicité ces dames pour cet échange enrichissant, regrettant de devoir partir et a déclaré : « Ce qui vous anime, c’est cette Foi, qu’elle soit religieuse ou pas. C’est elle qui vous a fait ouvrir les portes du CAFAM et je souhaite qu’elle vous porte longtemps. Je reviendrai volontiers à une de vos conférences, j’ai été ravie de cette rencontre, Merci ».
*Le CAFAM (Centre d'Aides aux Familles Matrifocales) a été créée suit aux « groupes de paroles » initiés par CM98 (Comité de Marche du 23 Mai 98)
CAFAM - 3, villa Dury Vasselon - 75020 "http://www.net1901.org/ville/Paris,75056.html" Paris - Tel : 01 43 61 39 11
Plus d’infos - www.cm98.fr
*Fondation K d’urgences – www.kdurgences.org




