Société

jeudi, 21 février 2019 21:11

Chlordécone : le débat qui empoisonne la vie aux Antilles

Le président de la République, Emmanuel Macron, lors du débat avec les élus de l'Outre-mer, le 1er février. Le président de la République, Emmanuel Macron, lors du débat avec les élus de l'Outre-mer, le 1er février.

On n’a jamais autant parlé de chlordécone que durant ce mois de février. La molécule responsable d’une augmentation du taux de cancer chez les Antillais a été la star du mois. Retour sur les principaux temps forts de ce succès médiatique, avec notamment le dernier fait : une lettre ouverte de la Coordination des associations d’Outre-mer au président de la République.

Vendredi 1er février. Lors du débat national avec les élus de l’Outre-mer,  le président de la République, Emmanuel Macron, déclare : « Il est établi que ce produit n’est pas bon. Il y a des prévalences qui ont été reconnues scientifiquement, mais il ne faut pas aller jusqu’à dire que c’est cancérigène parce qu’on dit quelque chose qui n’est pas vrai et qu’on alimente les     peurs ». Ces propos créent le buzz.  Le président semble dire que le chlordécone n’est pas cancérigène quand plusieurs études scientifiques indiquent le contraire. C’est le cas notamment de celle du professeur des universités, chef du service d’urologie du CHU de Pointe-à-Pitre, Pascal Blanchet, et de l’épidémiologiste, directeur de recherche à l’Inserm, Luc Multigner. Cette position répond à une question du sénateur socialiste de la Guadeloupe, Victorin Lurel, et du maire de Capesterre Belle-Eau, Joël Beaugendre, médecin de profession. Présente au débat, la ministre des Solidarités et la Santé, Agnès Buzyn, ajoute que des études sont en cours pour démontrer le caractère cancérigène « probable » du chlordécone. L’échange est très soutenu entre Emmanuel Macron et Victorin Lurel, ancien ministre des Outre-mer, qui demande à ce qu’on lui fournisse les études démontrant que le chlordécone n’est pas cancérigène. C’est un des temps forts de ce débat. Plus tard, les services de l’élysée diront que c’est « un malentendu ».

Samedi 2 février. Pascal Blanchet et Luc Multigner ripostent dans un communiqué de presse. Ils rappellent les différentes études qui ont été menées depuis 1979 pour démontrer le lien entre le chlordécone et la prévalence du cancer de la prostate chez l’homme. Ils indiquent notamment qu’en 2010, ils ont publié dans la littérature médicale internationale, à comité de lecture indépendant, des travaux de recherche menés auprès des populations antillaises, qui montraient que « l’exposition au chlordécone est associée à une augmentation de risque de survenue du cancer de la prostate ». Et d’ajouter : « Ces conclusions pourraient susciter — c’est légitime — de la controverse dans la communauté scientifique. Mais force est de constater qu’à ce jour elles n’ont pas été contredites par des recherches publiées dans la littérature internationale, selon les règles habituelles d’évaluation et de transparence. »

Lundi 4 février. Le sénateur Victorin Lurel n’a pas digéré cet échange du 1er février avec le président Emmanuel Macron. Conjointement avec la députée, Hélène Vainqueur-Christophe, il publie une lettre ouverte adressée à l’Élysée. Dans ce courrier, les deux parlementaires rappellent le président aux obligations de sa fonction s’agissant de ses prises de position « surtout lorsqu’elles touchent à des sujets aussi complexes scientifiquement qu’humainement.» Ils écrivent : « Comme vous, nous ne disons pas qu’il existe un lien strictement direct entre exposition au chlordécone et la survenue de pathologies, mais refusons que vous puissiez certifier que la chlordécone n’est pas cancérogène. » Et d’ajouter : « À bout d’arguments, vous avez préféré balayer les interrogations légitimes des élus les renvoyant à leurs responsabilités passées tout en vous défaussant de la vôtre.» (…) « Ni vous, ni nous ne pouvons nous substituer aux scientifiques : c’est pour cette unique raison qu’affirmer que le chlordécone n’est pas cancérogène est non seulement déplacé mais dangereux. » Enfin, ils indiquent que « nous considérons que l’indemnisation devra aller plus loin que le champ que vous avez délimité. » C’est-à-dire les ouvriers agricoles ayant été exposés.

Dimanche 10 février. Jessica Oublié, originaire de Guadeloupe et de la Martinique annonce sur les médias avoir créé une BD sur le chlordécone aux Antilles, dans la culture de la banane entre 1975 et 1993, sous le titre Tropiques toxiques. Elle veut mettre en lumière, sous cette forme d’écriture illustrée, une série d’éléments liés notamment aux effets de cette molécule sur la santé de l’homme, aux conséquences économiques de la catastrophe, ou encore à la recherche épidémiologiques. Pour concrétiser son projet elle lance une campagne de financement participatif sur internet (www.jesoutienstropiquestoxiques.com). 

Dimanche 10 février. Sur la télévision publique Martinique 1ère, le député martiniquais Serge Letchimy, invité de l'émission Politique Hebdo, conteste l’annonce faite par le député guadeloupéen Olivier Serva, sur une radio privée, de la création d’un fonds d’indemnisation. Selon le parlementaire martiniquais : « Il n'y a aucun fonds proposé pour indemniser les 750 000 personnes touchées par le chlordécone ».

Mardi 12 février. À l’occasion de la séance des questions au gouvernement, Olivier Serva, député de la Guadeloupe, demande à la ministre des Solidarités et la Santé, Agnès Buzyn, de confirmer les points suivants :
- qu'un fond d’indemnisation verra le jour et concernera les victimes du chlordécone (…) ;
- qu’il y a un lien entre cancer et chlordécone,
- que vous allez renforcer les contrôles des circuits de distribution des produits alimentaires formels et informels, 
- que, quelle que soit la surface cultivée, l’ARS pourra effectuer gratuitement le relevé de pollution au chlordécone de toute parcelle à la demande des particuliers
- que vous comptez bien mettre en place un plan de dépistage gratuit, afin que Guadeloupéen et Martiniquai connaisse son taux de chlordécone, dans un objectif de zéro chlordécone
- et qu’enfin, Mme la Ministre, vous soutiendrez une proposition de loi reprenant l’ensemble de ces éléments ».

Mardi 12 février. En réponse à Olivier Serva, la ministre rappelle les propos du président, prononcés lors de sa visite aux Antilles au mois de septembre 2018, qui « a reconnu publiquement que c’était un scandale environnemental et que l’État devait prendre sa part de responsabilités et avancer sur le chemin de la réparation. » Elle indique qu’une feuille de route 2019-2020 sera publiée en complément du Plan chlordécone 3. Et de préciser : « Un Plan chlordécone 4 est en cours de préparation et prévoit, entre autres, de renforcer le contrôle des denrées alimentaires, de tendre vers le zéro chlordécone dans l’alimentation, de compléter la cartographie des sols pollués, de mettre en place une indemnisation pour les travailleurs agricoles, de poursuivre les travaux de recherche. » La ministre a précisé « les propositions de loi sur la création d’un fond spécifique n’ont pu aboutir faute de temps mais qu’un consensus s’est dégagé pour les victimes de produits phythosanitaires, qui concernera aussi le chlordécone ».

Jeudi 13 février. Une lettre ouverte au président de la République signée par une cinquantaine d’associations et une dizaine de personnalités, réunies au sein d’un collectif baptisé Coordination des associations d’Outre-mer,  vient s’ajouter au débat. Les signataires demandent « en premier lieu une attitude plus respectueuse et républicaine vis à vis de ces territoires de la République ». Ils exigent ensuite « des mesures urgentes afin que les maladies liées à l’intoxication au chlordécone soient reconnues comme maladies professionnelles et que des mesures d’indemnisation soient prises rapidement ». Ils demandent aussi « la mise en place d’une campagne de dépistage d’ampleur des populations afin qu’elles puissent faire valoir leurs droits devant la justice ». Ce courrier ne devrait pas être la dernière contribution à ce débat qui empoisonne les Antilles.

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