Certains ont accroché un ruban vert à leur chemise, d’autres ont enfilé un gilet jaune. Ils sont une centaine sur la place centrale du bourg de la commune de Sainte-Anne, en Guadeloupe. Ils se sont donné rendez-vous, au crépuscule ce samedi 8 décembre, jour de mobilisation mondiale contre le réchauffement climatique. Le sujet est majeur pour l’avenir de la planète. Ils en sont tous convaincus. Cela n’empêche pas Jean-Marie Flower, écologue réputé, de s’adresser à eux pour expliquer l’enjeu de cette lutte qui ne doit pas être désespérée.
De COP EN COP, ON TOURNE EN ROND
Ceux qui sont sur cette place, même s’ils ne sont pas nombreux croient qu’ils peuvent encore changer quelque chose à cette tournure dramatique annoncée de Cop en Cop, de traité en traité : la remontée du niveau des mers, consécutive à la fonte des glaciers, elle-même résultante du hausse des températures sur l’ensemble de la planète. Après avoir harangué la petite troupe, l’écologue invite ses camarades militants à prendre la route en direction de la plage du bourg, qui pourrait disparaître dans quelques années, puisque déjà confrontée à l'érosion qui lui a fait perdre plusieurs dizaines de mètres, ces dernières décénies. C’est un enjeu concret de cette lutte contre le réchauffement climatique.
Jean-Marie Flower explique le sens de l’action des manifestants : « On est à la moitié de la Cop 24 c’est-à-dire la 24e réunion des Nations unies pour essayer de se mettre d’accord pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Partout dans le monde, on manifeste pour montrer que ceux qui sont en train de négocier ne sont pas tout seuls, qu’il y a des citoyens qui sont conscients des gestes qu’il faut faire, même si ceux-ci sont douloureux au quotidien. »
OSER UNE PÉRIODE DE SEVRAGE
Ces gestes nécessitent une utilisation réduite des énergies fossiles, c’est-à-dire moins d’électricité, moins de carburant. Et forcément, c’est du confort en moins. Cependant le jeu en vaut la chandelle puisque, souligne l’écologue, « c’est pour le bien de nos enfants, c’est comme une période de sevrage pour un drogué ».Ça c’est l’action que peut mener le citoyen, mais qu’en est-il des décideurs ? Selon Jean-Marie Flower « en Guadeloupe, les politiques publiques ne sont pas à la hauteur. »
DES SOLUTIONS EXISTENT
Pour étayer ses propos, il donne un exemple d’actions à mener concrètement aux Antilles et en Guyane : « revoir les statuts de la Sara, la seule porte d’entrée des hydrocarbures et donc des émissions de gaz à effet de serre. Or, personne ne contrôle combien elle importe d’une année à l’autre. Nous proposons donc des solutions en accord avec ce que la science nous dit. Depuis la Cop 21 de Paris, depuis trois ans, la science nous dit qu’il suffit simplement de réduire de 5 % les émissions de gaz à effet de serre durant les 40 prochaines années, pour rester sur l’objectif des 2 degrés. Or, qu’est-ce qu’on observe sur la production pétrolière mondiale : on aura cette baisse de 5 % si on ne remplace pas les champs qui sont en train de s’éclater. Il suffit donc de ne pas remplacer les champs épuisés, de faire un moratoire sur l’exploration pétrolière pour que tout de suite la production pétrolière baisse. Avec cette contrainte sur l’économie, les constructeurs pourront construire des voitures différentes ».
UNE LUTTE POUR LE POUVOIR DE VIVRE
Evidemment cette réduction de la production entraînera aussi une contrainte pour le consommateur qui devra également réduire sa consommation. « En Guadeloupe par exemple, il est possible, selon l’écologue, de réduire sa facture d’électricité de 30 %, rien qu’avec des gestes de bon sens. On a donc des marges de manœuvres et on est là pour rappeler, que ce soit aux politiques, aux entreprises ou à la population d’une manière générale, toutes les marges de manœuvre dont nous disposons et qui pourraient à la fois réduire les émissions et en même temps l’impact sur le budget des familles. Et c’est là qu’on se rejoint avec les Gilets jaunes, qui voudraient avoir non pas le pouvoir d’achat mais le pouvoir de vivre. Or, justement, ce pouvoir de vivre on ne l’obtient qu’en partageant mieux les ressources qui sont limitées, en gaspillant beaucoup moins. »
« LA CROISSANCE EST DEVENUE TOXIQUE »
Une démarche qui semble parfaitement contraire aux politiques des pays industrialisés, tournés vers la croissance économique, puissance chaque fois qu’on gagne en croissance on perd en émissions de gaz à effet de serre. Cela fait dire à Jean-Marie Flower que « la croissance est devenue toxique, en particulier dans les pays riches ». La solution, c’est donc de s’organiser différemment, de mieux répartir les richesses. C’est la seule condition pour se trouver sur un chemin de transition écologique.
« CE QUI EST DANGEREUX, C’EST LE DENI »
Dans les régions d’Outre-mer qui sont pour la plupart des îles — à l’exception de la Guyane dont le littoral est malgré tout baigné par l’Atlantique — on peut penser que les effets risquent de se faire ressentir bien avant les zones continentales. « Ce qui est dangereux, c’est le déni, c’est surtout ne pas se rendre compte de ce qui est en train de se passer », indique l’écologue. Et d’ajouter : « Davantage de croissance, cela ne fait que scier la branche sur laquelle la civilisation est assise et on prend le risque qu’elle s’effondre. Or, justement pour que ça n’arrive pas, il faut qu’on prenne volontairement un certain nombre de décisions sur notre consommation personnelle et cela se résume en un slogan très simple : dépenser moins pour ne pas avoir besoin de gagner plus ». Pas sûr que ça aille vraiment dans le sens des revendications des Gilets jaunes, mais bon… Le risque est là, il faut agir d’une manière ou d’une autre.
Certains manifestants n'avaient pas hésité à enfiler leur gilet jaune.