Culture

jeudi, 25 avril 2013 05:32

Fransisco, le gentlemen Tambouyé

Probablement était-il né de la fusion volcanique, des sons des mornes et des cités. Des notes sublimées de la biguine classique et des chants arrachés des entrailles. Fils de mulâtres bourgeois, il a flâné jusqu'au fond des campagnes pour aller à la rencontre des tambours profonds et des airs ancestraux du bèlè. Et ce fut là sa force et la preuve de sa générosité artistique. Francisco était un alchimiste de la musique. Il a puisé  dans la sauce salsa toutes les essences qu'il a magiquement conjuguées à la langue créole. Francisco est un "label" Martinique. Quelles que furent ses destinations d'Asie en Europe, il revint toujours vers sa terre natale nichée entre la mer des caraïbes et l’Atlantique océane.



Le mois d’Avril nous laisse encore en deuil. Un jour après le cinquième anniversaire de la mort du grand poète Aimé Césaire, Francisco, un autre « Grand devant l’Eternel » a fait son ultime révérence. Le gentleman de la scène martiniquaise est décédé le 18 avril à l’âge de 81 ans. Chanteur, compositeur, animateur et chorégraphe. Tantôt pianiste, d'autres fois danseur, et souvent tambouyé.


Il est certainement l’un des artistes martiniquais qui a reçu le plus grand nombre de surnoms, tel celui d’Apito Papito, parce que fervent amoureux de la musique d’Amérique du Sud. Né dans une famille bourgeoise de Saint-Pierre, fils de mulâtres qui fréquentaient le cercle « Le Fort-Royal » où seuls ceux de la haute société pénétraient, Francisco était celui auquel on se référait et dont on admirait la force de caractère. Très jeune, il perturbe la quiétude de ses parents. Initié au piano classique à Saint-Pierre, il se tourne par passion vers le jazz et convainc père et mère de l’expédier à Paris pour… des études de vétérinaire.  Mais il parvient à exaucer son vœu secret, celui de s’inscrire au cours de l’émérite danseuse afro-américaine Katherine Dunham.
Désormais apprenti danseur, il forme son premier groupe, Miyo. Ils animent des soirées dans un Club en Corse et effectuent des tournées en province. A la fin de la seconde guerre, avec une joyeuse bande estudiantine, il écume les boites à la mode et les cabarets parisiens comme le Bal Blomet* dans le quizième arrondissement de Paris ou la Cabane Cubaine*,  rue Fontaine, non loin du Moulin Rouge. De ces soirées naissent des amitiés avec des musiciens cubains très appréciés pendant ces nuits folles. A cette époque-là, les musiciens caribéens influençaient énormément leurs collègues artistes.

Francisco retournera à la Martinique quelques mois plus tard. C’est qu’il s’est déjà bâti une solide réputation! Le vent de sa renommée le précède et tous souhaitent le rencontrer. L’homme  a un atout  premier, c’est un véritable séducteur, doué de divers talents. En plus de ses qualités artistiques, il est champion de France de judo. D’une élégance physique qui ne laisse pas indifférent, percussionniste, animateur, compositeur, qui peut lui résister ? Il charme les  bourgeois comme les gens du peuple, et ce sera sa force. Francisco devient animateur radio et n’hésite jamais, lors d’émissions ou de colloques à rappeler l’importance et la nécessité du tambour traditionnel dans notre patrimoine musical, pour lequel il s’est pris de passion. Il part à la recherche du bèlè dans les campagnes les plus reculées. C’est ainsi qu’il rencontre Ti-Emile, à Saint-Marie.
 Imaginez que  dans ses compositions il introduit et anoblit le tambour des « nègres des mornes »! Alors, les Bourgeois, gentilshommes de la Martinique, crient à la trahison. Cela ne l’effrayera pas le moins du monde. Il persévère et signe en organisant en 1960, le premier festival de tambours à Fort-de-France.

Pour rencontrer Francisco, il suffisait d’emprunter un itinéraire dont témoignaient ses amis de ce temps-là. En voilà le détail : « Bar de la Rotonde, hôtel l’Impératrice, hôtel de l’Europe, kiosque de la Savane, le Fort-Royal ou la Renaissance, Route de Moutte (chez Man Sido) ». Là vous pouviez le voir, boire un petit verre avec lui, l’entendre chanter, jouer du tambour. On pouvait aussi le voir exécuter quelques enchaînements à son école de Judo. De nombreux jeunes s’y retrouvaient. Des salles de judo, il en a aussi fondées en Guyane, à Paris, au Surinam et en Amérique du Sud.
Francisco, l’amoureux de la culture, était un compositeur hors pair. A la faveur de ses nombreux voyages à Porto Rico où il  a fait escale pendant quatre ans, il a intégré les sons de la salsa dans ses créations. Certaines de ses chansons furent aussi reprises au Japon.
En matière de mode, il était une référence. D’une originalité sans pareille que de jeunes Foyalais (hommes et femmes) copiaient allègrement. Avec sa « belle gueule » d’hidalgo cubain moustachu, le cinéma s’intéressa vite à lui. Il tournera dans le film de Mervyn LeRoy en 1956, The Bad Seed (la Mauvaise Graine) et plus tard (1983) dans Rues Cases Nègres d’Euzhan Palcy.

Devenu légendaire, Francisco est l’auteur de chansons qui auront fait danser des générations de Martiniquais. Qui n’a pas fredonné : Fanm Matinik dou, Manmay la lévé ou Caroline, et des centaines d’autres ? Francisco c’est l’influence de bonnes références pour de nombreux artistes et jeunes sportifs du Péyi Martinique entre autres. C’est celui, le premier, à qui le Bèlè doit ses lettres de noblesse. Celui qui a osé le faire jouer dans les salons. Et il avait cette particularité de le jouer avec le pied gauche, ce qui était pour les « pro-tanbouyè », une particularité majuscule.
Francisco était un « People » bien avant la vague des VIP. Il a, entre autres, inauguré des boites de nuit, dont un superbe dancing : « La Plantation », à Ravine Vilaine à Fort-de-France où se retrouvaient les grands de ce monde, comme l’acteur français Jean-Marais ou l’Américain Kirk Douglas lors de ses passages dans l’île.

Au cours de sa longue vie professionnelle, de la musique au tourisme en passant par le sport, il fut un leader de génie. Francisco nous a offert le meilleur de lui. Il a tracé un chemin exemplaire, avec passion, générosité. Il laisse l’empreinte de sa voix exceptionnelle, le souvenir de son allure, de sa vitalité incomparable, de sa grandeur d’âme et de son savoir-faire pédagogique. Il fut un maître de musique, de sport aussi et les Martiniquais perdent un Ambassadeur international de grande valeur qui a ensemencé le monde de sa culture Martiniquaise.

Malgré la maladie des poumons qui l’avait foudroyé depuis 18 ans, l’obligeant à respirer avec  un appareillage médical contraignant, Francisco était resté une force de la nature, et il nous l’a prouvé à maintes reprises, se déplaçant avec grâce sur des plateaux de télévision ou sur la scène de l’Atrium. Sachant qu’il ne disposait à chaque fois que  d’une autonomie de onze minutes, pour respirer sans son appareil de survie, il chantait encore un peu pour témoigner de son attachement à son art. C’était cela, Francisco, la Force de l’homme rempli d’espoir et de courage. N’était-il pas l’auteur de cet hymne : « Enmen la Vi, la Vi a bèl » - il nous faut aimer la vie parce qu’elle est belle !?

« Et pour la première fois sans doute, tu as chagriné ton pays, il t’a veillé tout ce week-end du 21 avril, te saluant avec estime et te laissant cheminer vers d’autres horizons. Il n’oubliera pas les sillons que tu as semés et ceux gravés en studio d’enregistrement. A prononcer ton nom Francisco, c’est encore un sourire qui se dessine. De toi cher Francisco je garderai mémoire de belles créations et prestations. Dépi an chaye tan, je garde un souvenir impérissable où du côté de Schoelcher, j’ai avec toi dansé toute la nuit. Nous avions participé à un concours de salsa par couples et nous avions ravi la seconde place, battus par le couple que formait un de tes amis, dont je ne me souviens pas du nom et de ma cousine, la comédienne Sylviane Enéléda. Ou monté an Filao bèl o revoi (te voilà parti, au revoir) ! »


*Tanbouyè – joueur de tambour traditionnel (en Martinique le Bèlè), en Guadeloupe le Gwo Ka)
*Le Bal Blomet* - Bal Nègre, un haut lieu du Montparnasse créé en 1924. C’est Jean Rézard des Wouves, candidat à la députation qui installe son bureau dans l’arrière salle du bar-tabac du 33 rue Blomet. De réunions en meetings, tout cela se transforme en rendez-vous dancing bien après les élections et c’est ainsi que naît le Bal Colonial.
*La Cabane Cubaine – ouvert en 1930 par le martiniquais Eldège Fortuné et son amie danseuse espagnole Lily. Elle s’appelait auparavant Le Palerme, haut lieu de la musique cubaine à Paris. Puis après la guerre elle fut renommée La Cabane Cubaine. De nombreux grands musiciens des Antilles s’y retrouvaient. Elle fut un temps aussi baptisée  La Cabane Bambou, elle était située au 42 rue Fontaine Paris  9ème.
    
Plus sur Francisco :
Une Japonaise chante du Francisco - FEMME MARTINIQUE DOUX --Made in JAPAN by MAYA- http://youtu.be/9PH2jhx6Zes
 
Francisco en live sur RCI – 1994/ 1ère composition chantée pour la 2èlme fois : http://youtu.be/ZcDYf2I3zVE

FRANCISCO Diplôme "Honneur et Mérite : http://youtu.be/-FAb95Zee1g

HOMMAGE A FRANCISCO SUR ZOUK TV DANS "PALE PA BOUCH" avec Jizèl
Guy BARDOL ancien judoka et Luc RUCORT - Elève de Francisco et Président de la ligue de Judo de Martinique le rencontrent à peine 2 mois avant sa mort dans sa maison du Morne Rouge : http://youtu.be/WIWrEMrgZ5U


Témoignage de Dédé Saint-Prix, artiste et ami de Francisco

Judoka émérite, charmeur, pianiste, chanteur, amoureux de la vie et ambassadeur de la Martinique, Francisco nous a légué tout un répertoire qui dépasse de loin nos frontières. Entendre ses chansons interprétées en chinois ou en espagnol nous a révélé la dimension universelle de cet homme énergique et humain. Innovateur il l’a été et le restera à jamais dans nos cœurs.
Il aimait toutes les couches de la société et se sentait à l'aise aussi bien chez les pauvres que chez les riches. On le voyait flâner à Pont Démostène (entre autres) en quête de vibrasyon-péyi. Il a fait fusionner très tôt la musique de la ville et celle de la campagne. Avec Tonton Simon (Simon Haustant chanteur et tanbouyé ladja) il a choqué certains mulâtres de l'époque qui lui ont dit " Tu nous as trahis... ”) parce qu'il avait osé mélanger le tambour bèlè (rural) avec la biguine (citadine).
Francisco avait aussi créé un "bateau-restaurant-cabaret" le Kontiki pour le grand bonheur des noctambules. Il a beaucoup joué dans un restaurant de la Marina des Trois Ilets où j'allais le voir après chaque répétition de Malavoi avec mon pote le saxophoniste Serge (Bib) Monville.


*Dédé Saint-Prix sera un de nos prochains invités. En attendant vous pouvez l’écouter – Antiyèz la (l’Antillaise) - http://youtu.be/it3xQ01xTMw

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