Nous nous sommes entretenus avec Mimie Barthélémy* chez elle, dans une maison « nichée » dans un quartier populaire du Nord de Paris. Et lorsque vous y pénétrez c’est véritablement comme dans une cour de nos maisons créoles, avec toutes les couleurs et les formes du pays originel et l’aventure alors commence. (…) Vous voilà dans le « ventre du « Péyi chéri–Ayiti ». Mimie Barthélémy nous a parlé de son dernier spectacle : le Code Noir et de ses musiques* qu’elle joue jusqu’au 21 avril au côté du musicien haïtien Amos Coulanges.
Au sujet du Code Noir : « Ce qui a conforté mon envie de le revisiter c’est de constater encore de nos jours une grande ignorance sur ce sujet et ce à tous les niveaux. Bien que Greg Germain ait beaucoup travaillé, et excellemment, autour de ce thème à Avignon. Ma première idée était de lire le Code Noir et de m’accompagner de la musique savante d’Amos Coulanges. Mais il y avait trois parties dont la première concernait Versailles, Louis XIV et Colbert (il faut savoir qu’à l’origine c’était un Règlement pour les esclaves des Iles d’Amérique en 1685). Il fallait souligner le paradoxe qui existait entre Civilisation et Barbarie, pour ce faire nous avons choisi de porter des perruques qui soulignent cette évidence entre Louis XIV censé être très cultivé alors qu’il est un barbare, et celle du Noir considéré comme sauvage alors qu’il est cultivé et joue de la musique savante. Dans la deuxième partie nous avons mis en scène Saint-Domingue et les Colons et la dernière partie c’est la Cantate qu’a dédiée Amos à Toussaint Louverture qui nous menait vers l’Abolition de l’Esclavage. Dans un premier temps des gens de théâtre ont trouvé cela austère.

Nous avons alors repensé le spectacle et la Lettre du Colon Bérault devenait son support. J’avais moi, la fameuse lettre que mon ex-mari Gérard Barthélémy avait découverte lors de ses recherches. Cette lettre du Colon Bérault parle de mon ancêtre Armand. C’était un témoignage dans laquelle il a écrit : « mon Nègre Armand a marronné, ça fait 24 ans qu’il est avec moi nous n’avons jamais eu de problème, je m’apprêtais à l’affranchir lorsque le Gouverneur Blanchelande l’a rencontré et soulevé à marronner. » A partir de cette lettre où Armand se révolte, au côté de Martial on suppose que ceux-ci ont commencé l’Insurrection avant le Bois-Caïman. J’avais cette missive et toute l’histoire d’Haïti ancrée en moi. Alors avec la nouvelle mise en scène on a donné plus d’importance à cette lettre pour mettre en lumière le rapport entre esclaves et colons jusqu’à ce que l’esclave dise au maître « Monsieur le Colon, la page est tournée maintenant. » Je raconte alors l’histoire de Toussaint Louverture, celle de Santonax entre autres, et nous témoignons Amos Coulanges et moi de la mémoire d’Haïti.
Il y a l’idée d’un avenir lumineux, l’idée du métissage qui est en fait un plus puisque nous avons des liens, que nous pouvons marier. Ce n’est ni une revendication ni une vengeance mais un inventaire de nos apports multiples.
Partout où je passe, dans certains pays les choses me raccordent à Haïti. Si je suis à Cuba par exemple c’est le fait que nous avons été les îles phares des Caraïbes. II y a aussi le même culte des ancêtres, du vaudou, et tous les travailleurs haïtiens qui ont coupé la canne à sucre à Cuba. Enfin mon histoire personnelle parce que mon mari était cubain. Il y a également les mêmes goûts culinaires. Si c’est en Afrique il y a des points communs continuels au Congo Brazza, en Guinée Konakry, avec la même nature qu’à Port-au-Prince. Et si je suis dans des pays qui ne sont pas d’origine noire, je vois les relations plus humaines, plus proches, le problème de l’exil, ceux qui quittent des pays qui sont alors vidés de leur force. Et s’il s’agit du conte, c’est la leçon qui montre la spécificité d’un pays mais qui révèle l’universalité de l’humain. Je m’enrichis de tout ce qu’il y a à l’extérieur.
A propos du conte et du théâtre à Haïti, il y a mille richesses à découvrir. L’imaginaire haïtien dans le milieu théâtral est encore riche, comme il l’est dans l’art plastique, dans la littérature. Imaginez que l’an dernier nous avons eu douze prix littéraires ! Nous avons James Noël à la Villa Médicis, parmi tant d’autres belles figures. 1
Nous avons à ce jour un pays occupé par les forces internationales, nous sommes « injectés » par l’argent étranger. Nous devons faire avec parce que nous n’avons pas été préparés. Ce ne sont pas des excuses, il nous faut apprendre à gérer notre pays.
Je voudrais que mon pays émerge et qu’il devienne vraiment indépendant. Que toutes les armées étrangères en sortent, que toutes ces ONG innombrables qui vivent sur le pays et entretiennent des fonctionnaires très bien payés soient reprises par les haïtiens sous leur coordination. Il nous faut un état et que nous devenions un pays digne. Lorsqu’un pays dans la Caraïbe tombe, il entraîne tous les autres, et c’est un mauvais exemple.
Cependant Haïti est un pays merveilleux qui mérite de se relever. Nous sommes nombreux dans tous les domaines, il faut le désir de reconstruire et de mettre comme on dit « tête ensemble ». Il nous faut devenir aussi riche dans la gestion de l’Etat faite par l’Etat, que nous le sommes au niveau culturel. »
By Migail Montlouis-Félicité
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*Mimie Barthélémy – La Voix d la Conteuse - Pour le film "la voix de la conteuse", le grand public peut le visionner (au prix de 4,99 euros) en VOD via le lien :
http://www.theatre-video.net/dvd/Mimi-Barthelemy-la-voix-de-la-conteuse-DVD -
*Le Code Noir et ses musiques – Spectalce écrit par Mimie Barthélémy & Amos Coulanges, Mis en scène par Anne Quésemand -Scénographie – Elodie Barthélémiy.
Au théâtre de l’Epée de Bois du 9 au 21 avril - Cartoucherie
Route du Champ de Manœuvre - 75012 – Paris - 01 48 08 18 75
Extrait : http://youtu.be/PQgoGypIgrM
1 Autre témoignage de la vitalité littéraire haïtienne : Louis-Philippe Dalembert, autre auteur haïtien, fut aussi pensionnaire en tant qu’écrivain de la Villa Médicis à Rome en 1994-1995.




