Culture

mercredi, 20 février 2013 20:16

Une légende de l’or vert, portrait d’André Dang

C’est une incroyable histoire. Une histoire de mémoire et de revanche sur le destin.
Elle commence en 1935, sur les quais du port d’Hai-Pong. Une jeune femme de trente ans, Thi-Binh, fait parti des milliers de Tonkinoises qui s’embarquent pour la Nouvelle-Calédonie, une île où la France a besoin de bras pour pallier le manque de main d’œuvre, et surtout ce que les Français appellent « l’inconstance des indigènes Kanaks ». Cette femme laisse à sa famille trois premiers enfants, pour faire parti de cette cohorte de main d’œuvre asiatique traitée comme du bétail. Sa seule identité est d’être le matricule « A649 ». Comme l’explique Anne Pitoiset, auteur d’ouvrages sur la Calédonie et correspondante pour l’Express, les Echos et l’Expansion sur ce territoire, « l’administration coloniale a mis ce système en place pour ne plus s’empêtrer dans ces noms étrangers à rallonge ».

Trieuse de minerais, Thi-Binh croise Dang Van Than, qui a quitté un village pauvre du Nord de l’Indochine. Lui porte le numéro « 2206 ». Un an plus tard, le couple donne naissance à un petit garçon, mais le 15 novembre 1935, Dang Van est victime d’un accident du travail. Bien évidement, pas de pension, pas d’assurance… la galère.

Des années plus tard, il est repéré par Robert Pentecost, métisse Kanak qui a fait fortune dans l'import de voitures Citroën et qui, fier de sa découverte, envoie Dang à Marseille pour étudier dans un garage. Jusqu’alors, ce fils d’immigré n’a jamais été baptisé. Arrivé à Marseille, son regard se pose sur la devanture d’un magasin de chaussures « André », il a trouvé son prénom.

De retour en Nouvelle-Calédonie en 1955, il cogère les succursales de Citroën.
Il veut aller plus loin. Habile et fin négociateur, il obtient au Japon le monopole de l’importation de Nissan et Toyota pour tout le Pacifique Sud. Il commence à se constituer un réseau dans le milieu très fermé des industriels japonais.

Tout en restant gestionnaire de Nissan, de Toyota et de Citroën, il ouvre une station-service avec sa femme, et engage des Kanaks. Ce geste lui vaut une première réputation d'émancipateur, tourné vers le progrès.

Les années 70 d'André Dang  sont des années d’ascension économique. Mais ses succès commerciaux, alliés à sa proximité avec la communauté vietnamienne de Calédonie vont rapidement devenir suspects. Taxé d’agitateur communiste, Dang est accusé de financer la lutte indépendantiste. Il fait l’objet de menaces de mort. Ses bureaux sont saccagés, sa station-service, brulée. Il s’exile en Australie.

Installé à Sydney, Dang flaire le parfum des roses : très rapidement, il devient le premier exportateur de roses du Pacifique Sud. Il associe ses frères vietnamiens à ce commerce. La plus-value qu’il fait en revendant ces terres lui permet d’amasser une fortune colossale.
André Dang continue de construire une légende, celle d’un homme qui ne cesse de renaître. C’est un homme tenace, joueur d’échec qui emprunte des chemins de traverse, qui passe par où on ne l’attend pas pour atteindre, à force de ténacité, la réussite.

Le 4 mai 1989 le leader indépendantiste historique Jean-Marie Tchibaou est assassiné. Que vont devenir les « accords de Nouméa » qui stipulent le « rééquilibrage » entre la province Sud historiquement riche et blanche, et la province Nord, tenus par les « indigènes Kanaks »? C’est là encore qu’intervient André Dang, mystérieux et fascinant. Ce génie des affaires, habité d’un désir de revanche sur l’histoire qui ne le laisse jamais en paix. Cet homme, accusé de liaisons dangereuses avec le milieu Kanak, qui vient de passer six ans d’exil forcé en Australie va prendre sa revanche sur l’histoire. Cet enfant né sur la mine de Nickel du Koniambo, au « camp des Tonkinois » va mettre à la disposition de la province Nord, toute sa science de négociateur en séduisant ses interlocuteurs par son regard faussement doux, son ton mesuré, et sa grande modestie. Son but : bouleverser l’ordre établi, et continuer à faire fortune tout en s’acharnant à promouvoir une élite industrielle Kanak. André Dang va briser les codes de l’économie de comptoir pour jouer à jeu égal avec les grandes entreprises calédoniennes et européennes : il conçoit et met en place la stratégie de la construction du projet pharaonique de la « Dame de Vavouto », la gigantesque usine du Nord.

Au fait, pourquoi le Nickel Calédonien déchaîne-t-il autant de passion ? La particularité de ce Nickel tient dans ce qu’il donne un acier inoxydable de très haute qualité. Mais, à la différence des mines d’or, ce qui fait la plus value du Nickel, c’est sa fonte, sa transformation en acier inoxydable.

Une fois arrivé à la tête de la SMSP (Société Minière du Pacifique Sud), André Dang dénonce le fait qu’il ne s’agit en réalité que d’une coquille vide. L’usine ne vaut rien s’il n’y a pas de mines. Pendant plusieurs mois, pendant plusieurs années, André Dang, en lien avec ses amis Kanaks va se livrer à un véritable jeu d’échec à la fois avec les dirigeants de l’usine de Doniambo à Nouméa, symbole de la riche province du Sud et de l’Etat français.
Dang qui a plusieurs coups d’avance, élargit son terrain de jeu et prend contact avec des investisseurs de Nickel partout dans le monde.

Dang frappe à la porte de Falconbridge, troisième industriel du Nickel, et fait valoir les avantages d’une exploitation à ciel ouvert sous les tropiques. Si l’audace du « Viet » interpelle, c’est la connaissance aiguë de ses dossiers qui persuade. Ce canadien qui n'a jamais pu mettre les pieds en Nouvelle-Calédonie, jusqu'alors chasse gardée de la Société Le Nickel, de producteurs locaux et de l'état français, voit dans cette proposition l'opportunité de s’introduire dans le monopole du Nickel français.

Grâce à des accords avec des géants mondiaux, il finance puis inaugure fin 2008 une usine métallurgique en Corée du Sud. Une autre, la plus symbolique, la grande usine du Nord, celle que les Kanaks appellent « l’usine de cœur, l’usine du pays », sera elle, inaugurée en juin prochain. Dans quelques mois, du métal en fusion va sortir des fours de l'usine du Koniambo. Elle emploiera près de mille personnes, dont 40% de femmes. Maintenant, grâce à cet homme âgé aujourd’hui de 73 ans, qui a su mener des négociations ardues dans un milieu d’une rudesse exceptionnelle, les Kanaks associés à la multinationale Glenstrata vont vendre leur Nickel au marché japonais et demain au marché chinois.

André Dang, enfant misérable, est devenu l’un des hommes d’affaire les plus riches du Pacifique Sud. Il a à la fois participé à une révolution économique et domestiqué la « montagne du tonnerre », autrement dit, l’énorme gisement de Nickel du Koniambo, ce massif où il est né, et où son père est mort d’épuisement.

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