Société

jeudi, 05 décembre 2013 13:53

« Marchons contre le Racisme » : interview de Serge Romana, Président du CM 98

« Marchons contre le racisme... Avant que le racisme ne nous marche dessus ! ». A l’initiative du Collectif Dom et du CM98, une marche antiraciste rassemblant organisations de défense des droits de l’homme, syndicats et associations a eu lieu le samedi 30 Novembre à Paris et dans de nombreuses villes de France. Outremerlemag a rencontré le Président du Comité Marche 98, Mr Serge Romana, qui a bien voulu répondre à nos questions.


Outremerlemag : Serge Romana, vous êtes « initiateur » du CM98 (Comité Marche 98), qui naît à partir de la revendication autour des dates historiques  pour célébrer au niveau national «  l’abolition de l’esclavage ».  Le gouvernement a fait le choix de la date du 10 mai alors que le CM98 est resté campé sur ses positions pour revendiquer le 23 Mai  comme votre date et LA bonne date. Même si les faits historiques vous donnent raison de préférer cette date du 23,  ne vaut-il pas mieux amplifier cette commémoration le 10 mai au lieu de donner le triste spectacle de contestation de trop car l’objectif avant une question de date, est bien de faire reconnaître par l’Etat Français, l’esclavage comme crime contre l’humanité ?
Serge Romana : le CM98 naît en octobre 1999 et commémore le 23 mai depuis l’an 2000, bien avant que le gouvernement mette en place en 2004  le Comité Pour la Mémoire de l’Esclavage à qui il est demandé de proposer une date pour la commémoration de l’abolition de l’esclavage colonial. Notre objectif est d’honorer  la mémoire de nos aïeux qui ont souffert de l’esclavage. Qui dit crime contre l’Humanité, dit victimes. Il est normal que les descendants les honorent avant toute autre chose (c’est le cas de tous les peuples dont les aïeux ont été victimes de crimes). C’est d’autant plus important pour les Antillais dont les parents étaient considérés comme des marchandises (article 44 du code noir).
En faisant reconnaître leur statut de victimes et en honorant ces dernières, nous leur restituons leur statut d’Homme. La date pour les honorer s’imposait d’elle-même. Ce ne pouvait qu’être le 23 mai. En effet, la première commémoration en mémoire des victimes de l’esclavage colonial avait été le 23 mai 1998. Je rappelle que, ce jour-là, 40 000 personnes avaient défilé en silence, pacifiquement, de République à Nation, une première nationale et une première mondiale. La marche du 23 mai avait fait la démonstration que les Antillais au-delà de leurs convictions politiques ou religieuses ou de la couleur de leur peau pouvaient être unis autour du souvenir de leurs aïeux esclaves. Ce jour-là nous avons marché sans revendication contre quelqu’un ou contre un gouvernement. Nous avons marché pour nous rapprocher de nos parents que nous avions laissés dans l’oubli depuis bien trop de temps. C’est cela l’âme du 23 mai 1998.
C’est donc tout naturellement que nous avons considéré que le 23 mai 1998 était fondateur d’une communauté antillaise fière de son histoire et pouvant enfin être respectée par les autres communautés. Nous nous devions alors de mettre en place un rituel visant d’une part à honorer tous les ans la mémoire de nos parents, et d’autre part à nous souvenir de cette date fondatrice. Durant 10 ans, nous nous sommes battus avec la quasi-totalité des associations antillaises de l’île de France pour que cette date, le 23 mai, symbolisant la mémoire de nos parents, notre identité de descendants d’esclaves, notre dignité retrouvée, soit reconnue par le gouvernement. Nous avons tenu contre vents et marées, car il s’agissait de faire respecter notre histoire et une identité, celle de Français descendants d’esclaves, que nous avions choisie. Personne n’a le droit de vous dire où, quand et comment honorer la mémoire de vos aïeux !
Notre démarche a été parfaitement comprise par les autorités gouvernementales. Elles y ont vu une démarche permettant de traiter une mémoire douloureuse, honteuse et pleine de ressentiment. Elles y ont vu également une démarche profondément citoyenne qui interpellait la république sur la capacité à protéger la mémoire d’une partie de ses citoyens. Le 29 avril 2008, le gouvernement de Nicolas Sarkozy a émis une circulaire qui faisait du 10 mai, la date de commémoration nationale de l’abolition de l’esclavage et du 23 mai, celle dédiée à la mémoire des victimes de l’esclavage. Il faut à ce propos signaler le rôle important que joua Patrick Karam qui fut un relais efficace du monde associatif antillais au sein du gouvernement. Le 10 mai 2013, le président François Hollande rendit hommage au travail du CM98 qu’il qualifia d’artisan de la mémoire. Il demanda au ministre des Outre-mer de participer au nom du gouvernement aux cérémonies du 23 mai.
Aujourd’hui, le 23 mai est un moment de fierté où différentes institutions de la République honorent la mémoire des esclaves. Il s’internationalise avec la présence de délégations venues d’Afrique et des Amériques. Il nous permet aussi de rassembler au moins un jour toutes les énergies antillaises dans des domaines aussi différents que le mémoriel, la culture, la politique, l’entreprenariat, l’aide à la parentalité, le social, la santé… Ce faisant, il donne à nos jeunes l’envie de connaître leur Histoire et de continuer à construire leur communauté en France hexagonale.
Aujourd’hui, les deux dates de commémoration de l’esclavage (celle qui honore le mouvement abolitionniste et l’autre les victimes de l’esclavage) cohabitent, se complètent, s’additionnent comme le font les 3 dates officielles de commémoration des victimes de la Shoah.
Le monde antillais se doit d’être fier d’avoir deux occasions pour parler au plus grand nombre de son histoire. C’est le fruit d’un combat qu’il a mené dignement et avec constance.

Outremerlemag : Vous êtes un homme d’engagement, vous défendez la cause des ultramarins sur toutes les thématiques dès lors qu’il s’agit de discriminations, d’inégalités de traitement… Le 30 novembre  dernier, vous avez marché contre le racisme. Cette marche est subséquente  aux attaques que la Garde des Sceaux Christiane Taubira a subies.  Pouvez-vous nous expliquer l’incohérence de cette marche  alors que le gouvernement, le PS et toutes ses huiles, ont organisé dans une salle confortable à la Mutualité, une belle manifestation  permettant à Madame Taubira de s’exprimer et de montrer la France unie autour d’elle ?
Serge Romana : C’est le collectif DOM qui le premier a envisagé l’organisation d’une riposte face aux propos racistes proférés à l’encontre de Christiane Taubira. C’est lui qui a allumé l’étincelle. Nous avons, quant à nous, travaillé à ce que cette étincelle ne soit pas qu’une petite lumière des originaires d’outre-mer. Nous pensions qu’il fallait que la réponse antiraciste vienne de la société civile française. Le 11 novembre nous nous sommes réunis au local du CM98, avec le CollectifDom et SOS racisme qui a accepté immédiatement le principe d’une manifestation de rue. Notre objectif était de mobiliser non pas pour soutenir Christiane Taubira, mais contre le racisme décomplexé qui s’adresse à des millions de personnes. Nous souhaitions également être indépendants des partis politiques. Enfin, nous voulions éviter les manifestations calfeutrées dans des salles avec des artistes sur scène et des spectateurs bien au chaud. Il fallait un cri public antiraciste. SOS Racisme a contacté les autres associations antiracistes et la mobilisation a fait boule de neige. Le 13 novembre nous nous sommes réunis au local du CollectifDom avec la ligue des droits de l’Homme, les syndicats CFDT, FSU et CGT, des organisations de jeunesse, dont la FIDEL et l’UEJF. Finalement en 15 jours, plus d’une centaine d’organisations ont signé l’appel pour une marche antiraciste.

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Outremerlemag : Quels sont les chiffres réels des manifestants de la marche contre le racisme car selon les média ils diffèrent ?
Serge Romana : Les médias n’ont pas dénombré les manifestants. Il y a comme dans toute manifestation les chiffres de la police (3900) et ceux des organisateurs (25 000). Réunir en 15 jours 25 000 personnes, plus de 100 organisations, sans aucune campagne de presse, pour réagir à des écrits ou des paroles venant de l’extrême droite ou d’enfants de famille contre le mariage pour tous est une performance rarement atteinte en France. Je rappelle que les grands rassemblements conte l’antisémitisme et antiracistes (on devrait dire antixénophobie) l’ont été à la suite de profanation de cimetières ou de meurtres (celui d’Ilan Halimi le 13 février 2006 ou d’Aziz Madak le 22 mars 1985 à Menton et celui ne Nourredine Hassan Daouadj le 30 mars à Miramas).

Outremerlemag : Christiane Taubira a préféré aller à la Mutualité au lieu d’honorer les ultramarins de sa présence. Quelles leçons en tirez vous ? Quel décryptage faut-il y voir ?
Serge Romana : La manifestation du samedi 30 novembre n’était pas une manifestation d’originaires d’outre-mer mais de la société civile française. En ne venant pas à la manifestation, elle a préféré éviter que l’on personnalise le combat. Elle a eu raison. C’était aussi notre point de vue.

Outremerlemag : A l’arrivée sur la Place de la Bastille, les manifestants ultramarins s’attendaient à une prise de parole de certaines figures emblématiques, telles que Claudy Siar, l’ancien Délégué Interministériel à l’égalité des chances des français d’outremer, ou encore George Pau-Langevin, représentante du Ministère de l’Education Nationale, pourquoi n’ont-ils pas eu leur mot à dire sur le podium ?
Serge Romana : Les intervenants au micro étaient les responsables des Associations antillaises et anti-racistes, les syndicats eux-mêmes ont cédé leur droit de parole afin que s’expriment les initiateurs de cette marche, les 2 associations antillaises, les 4 associations anti-racistes et la jeunesse. Une jeune lycéenne de 16 ans est intervenue au nom des associations de jeunesse. N’oublions pas qu’il s’agissait avant tout d’une manifestation de la société civile Française avec 101 associations qui ont défilé dans 80 villes de France. Nous avons tenu à ce que ce ne soit pas une manifestation antillo-guyanaise, une réponse civique à une agression était primordiale.

Outremerlemag : Harlem Désir, présent à cette marche a été très actif dans le PAF ces derniers jours, ce qui a donné l’impression que cet événement a été repris à des fins politiques.
Serge Romana : Il faut savoir que le Parti Socialiste à la base était contre cette manifestation car ils avaient prévu d’organiser la « marche des Républicains » le 8 Décembre, j’ai personnellement adressé un sms à Harlem Désir aux alentours du 20 Novembre qui m’a demandé de lui faire parvenir le dossier afin de sensibiliser ses sympathisants. Les associations anti-racistes ont adressé un courrier aux 4 partis politiques (UDI, UMP, PS, Front de Gauche) dans le but d’obtenir un minimum de soutien. Seul le PS a répondu lors de son meeting du 27 en prenant position et en demandant aux militants de participer. En tout état de cause, la politique étant ce qu’elle est, il ne faut pas être surpris que certains partis utilisent des collectifs populaires pour leurs arguments politiques. C’est une première en France d’arriver à rassembler autour du monde antillais, la Société Civile de France, c’est ce qu’il faut retenir.

Outremerlemag : Plus largement, pensez-vous que nous les français des Outre-mer sommes audibles au niveau national ? Si non Pourquoi ?
Serge Romana : Les Antillais sont audibles lorsqu’ils ont des revendications claires et lorsqu’ils les expriment avec force c’est à dire dans l’unité. Ce fut le cas pour le combat pour l’obtention du 23 mai afin que leurs aïeux soient enfin honorés. Ils furent entendus.

Outremerlemag : Pourquoi revenir au « communautarisme » au lieu de faire en sorte que le droit rien que le droit à une francité parfaite soit  appliqué ?
Serge Romana : Je ne comprends pas le terme « francité parfaite ». Je revendique le droit à ne pas être dépossédé de ma culture, de mes ancêtres et à connaître mon histoire, car je ne veux pas être un être sans racine. Je revendique le droit de mettre en place des dispositifs spécifiques d’aide aux familles matrifocales, car le régime général ne connait pas ce système de parenté qui est le nôtre. Je revendique le droit à l’organisation de réseaux économiques des originaires d’outre-mer, car s’ils n’existent pas, nos jeunes entrepreneurs ne s’en sortiront pas. Je revendique le droit de mettre en place des stratégies politiques afin d’avoir des élus originaires d’outre-mer. Je revendique le droit de chercher à renforcer les médias antillais, leur indépendance financière pour que nous puissions informer au mieux nos compatriotes antillais de ce qu’ils construisent, de leur combat pour exister dans ce pays. En le faisant, je ne fais que ce que font de nombreux groupes culturels en France hexagonale. Si je reconnais et respecte les lois de la République, je considère que cette attitude est la meilleure qui puisse servir le renforcement de la citoyenneté en France.

Outremerlemag : Les Français dans leur majorité semblent bien loin des préoccupations des communautés tant la crise économique est  dense.  Pensez vous que ce ne sont que des prétextes et que la France est profondément raciste ?
Serge Romana : Les Français, quels que soient les groupes auxquels ils appartiennent, subissent la crise économique de plein fouet. C’est leur principale préoccupation. C’est de plus en plus « la lutte pour la vie ». Cette situation fractionne la société en de petits groupes qui se surveillent les uns les autres. Les anciens migrants voient d’un mauvais œil les nouveaux migrants qui bénéficient des aides de l’État. Cette situation est propice au développement des théories populistes et xénophobes du front national auxquelles adhèrent toutes sortes de Français, dont de nombreux Antillais.
Mais je récuse l’affirmation selon laquelle la France serait raciste. Outre le fait que je ne sache pas ce que cela veut dire « la France », je sais qu’en 15 jours, nous avons mis autour de nous, CollectifDom et CM98, toutes les grandes associations de la société civile française pour la réalisation d’une marche antiraciste, c’est un symbole fort !

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