A Paris, au cours des dernières années, là aussi les divergences ont été très fortes pour choisir une date de commémoration de l’abolition de l’esclavage. Chacun voulant pour des raisons, toutes nobles, telle date plutôt que telle autre. Finalement, le principe d’unité dans la diversité a prévalu : chaque département d’Outre-mer célèbre son jour anniversaire. Le 27 avril à Mayotte, le 22 mai en Martinique, le 27 mai en Guadeloupe et à Saint-Martin, le 10 juin en Guyane, le 9 octobre à Saint-Barthélemy et le 20 décembre à la Réunion, et le 10 mai à Paris.
Je me permets de retenir, dans toute la richesse des commémorations du 10 mai dans l’Hexagone, deux évènements qui traduisent un ton nouveau pour cette célébration.
La première se tiendra à Quimper, avec un « lancer de fleurs » dans l’Odet, ce fleuve qui se jette dans l’océan Atlantique. Max Relouzat invite les Quimpérois et les bretons en général à se munir de fleurs qu’ils jetteront dans le fleuve en hommage aux millions d’esclaves de la traite négrière. Max Relouzat veut se livrer à un autre combat : libérer les dix-huit millions d’enfants esclaves, exploités de nos jours, et de façon honteuse, dans le monde du travail.
L’autre manifestation que je souligne aura lieu à Paris. Elle sera signée Luc Saint-Eloy. Luc Saint-Eloy, comédien, auteur, metteur en scène veut rendre hommage, à tous les ultramarins de l’Hexagone qui se sont mobilisés au cours des dernières années, pour qu’existe une date de commémoration de l’abolition de l’esclavage. Qu’il soient d’ici ou d’ailleurs, qu’il s’agisse des animateurs de la marche du 23 mai 1998, de l’Appel du 21 juin lancé par le Théâtre de l’Air Nouveau, de tous ceux qui, derrière Christiane Taubira, députée à l’époque, ont permis d’ouvrir la voie, par la loi de 2001 (reconnaissant l’esclavage comme crime contre l’humanité), au travail de mémoire à l’échelle de toute la nation.
Luc Saint-Eloy nous dévoile, au cours d’une interview exclusive, les caractéristiques de l’exposition déambulatoire qu’il nous présente pendant trois jours, dans les Jardins du Luxembourg.
Interview de Luc Saint Eloy, réalisateur / Astrid Siswanker, productrice de l’évènement
Par Luc Laventure
Luc Laventure - En quoi la célébration du 10 mai est-elle originale cette année?
Luc Saint-Eloy et Astrid Siswanker - Nous souhaitons donner, cette année, un vrai sens national à cette journée grâce à la modernité de l'exposition. L'autre originalité est que cette célébration ne se concentre plus sur une matinée, mais s’étale sur trois jours. Elle permet ainsi à tous les publics de partager l’écriture d'une page de la mémoire entre ceux qui savent, ceux qui savaient et ceux qui veulent savoir.
Cette année, nous inscrit cette exposition du 10 mai dans une dimension Nationale et Internationale : d’où la création de panneaux sonores disséminés à travers le Jardin du Luxembourg, et marqués par des flashcodes. Des flashcodes qui renverront au site internet « leséchosdelamémoire.com ». Ainsi, même les gens qui ne seront pas présents dans les jardins du Sénat ces jours là pourront partager cette page de mémoire, grâce à internet, et également grâce aux partenaires de cette exposition, les radios d’Outremer 1ères. Cette année, cette célébration ne sera donc pas seulement parisienne. Tous ceux qui le veulent auront la possibilité d’accéder à cette connaissance de l’histoire via les réseaux radios et internet.
Autre chose, auparavant, la parole était donnée aux érudits, aux historiens et aux spécialistes. Cette fois, nous libérons la parole.
Le support artistique prendra le pas sur le discours universitaire. Nous allons utiliser des matériaux comme des fûts de chêne. C’est-à-dire que nous allons mettre en exergue le génie créateur de ces peuples métissés qui se sont servis des matériaux qu’ils avaient sous la main, ces barriques, qui se trouvaient dans les cales des navires négriers. Nous avons choisi de mettre la mémoire en valeur par les arts, dans le cadre d'une promenade ludique, pédagogique et enrichissante.
Cette exposition est aussi dédiée à Aimé Césaire, puisque nous célébrons cette année le centenaire de sa naissance.
Nous avons parlé des tuyaux, de la forme de l'exposition. S'il fallait, en une phrase, définir la pensée qui sous-tend cette exposition, comment pourriez-vous synthétiser cette pensée?
En un mot : Renaissance. Cette exposition va permettre d'aborder cette histoire pas seulement sous l'aspect polémique. À titre très personnel, j'en ai assez que l’on expose notre mémoire sous des aspects négatifs, polémiques, et qui divisent.
Nous ne sommes pas d'accord sur tout et tout le temps. Chacun a sa vision, son vécu, par ses ancêtres, de cette page d’histoire. C’est normal ! Mais nous devons nous appuyer sur un socle commun. Ainsi, cette journée nationale des mémoires nous permettra de nous inscrire définitivement dans le paysage national. Il s'agit, à travers cette exposition, de tenter de dire merci à toutes celles et ceux qui ont tout fait pour honorer la mémoire des victimes de cette tragique histoire. Il faut que dans un même espace, on puisse reconnaître les combattants de cette tragédie : les abolitionnistes, les humanistes. Quelles que soient les origines, les couleurs de peaux, des hommes se sont dressés contre cette abomination. Cette exposition rend donc hommage non seulement aux victimes de la traite, mais elle dit également merci à celles et ceux qui se mobilisent pour animer cette mémoire, qui font en sorte de ne pas oublier. Ce projet a pour but d'unifier autour de cette célébration.
Cette commémoration sera donc une commémoration non pas sur le génocide, mais sur tous ceux qui ont participé à la construction d'une humanité nouvelle?
On peut penser que chacun peut trouver sa place au cœur d'une exposition participative comme celle ci. Etre issu des territoires d'Outre-mer ou non, la n'est pas la question. Nous inscrivons cette exposition dans une démarche 100% citoyenne. Et j'espère que tout le monde pourra dire "oui, c'est véritablement une page de l'histoire de France".
Dans vos recherches, vous vous êtes tout de même appuyé sur des historiens?
J'ai fait le choix d'un historien qui s'appelle Godwin Tété, né en 1928, de parents togolais. C'est un historien que j'avais rencontré en 1998 et qui avait un discours de paix : un discours rassembleur. Ce discours nous a réunis autour de l’urgente nécessité de partager cette mémoire. Nous voulions la rendre accessible au monde entier, et que ceux qui l'ignorent puissent enfin la connaitre. Encore une fois, avec Godwin Tété, nous nous inscrivons dans une volonté commune de partager, d'apprendre, et de faire apprendre.
Quelles figures emblématiques peut-on retrouver dans ces installations du jardin du Luxembourg?
Il y a deux pans dans l'exposition : tout d'abord, le côté sonore qui raconte, comme dans un feuilleton dramatique, en vingt six épisodes, l'histoire de la traite négrière et de l'esclavage. Cette histoire s'appuie sur les travaux de Godwin Tété. Les illustrations, que l’on retrouve sur les panneaux, sont présentées sous la forme d'un abécédaire. Nous avons fait ce choix pour que le plus simple des mortels puisse comprendre et lire tout ce qui se dit ce jour là. L’autre pan, c’est le visuel : les panneaux d’histoire sont catégorisés sous la forme d’un abécédaire. A travers l'abécédaire et le visuel, on illustre tout ce qui est fait, et a été fait, on honore ceux qui se sont battus pour cette cause dans le paysage national et international. On retrouve à la fois Toussaint Louverture, le Fort de Joux, la Maison de la Négritude de Champagney, le cahier de doléances de Champagney, les héros de la Caraïbe comme Solitude, Harriet Tubman, les hommages rendus en Martinique au diamant à travers les œuvres de Laurent Valère. Chaque panneau illustre les initiatives prises, ici ou ailleurs. L'abécédaire permet de regrouper un ensemble le plus complet possible de l'histoire de la lutte contre l'esclavage. Le monde entier est représenté a travers le visuel qui illustre ce qui a été fait.
Y a-t-il un parcours imposé dans la visite de l'exposition, ou le public est libre de se balader?
C'est très intéressant d'utiliser le mot ballade car au départ nous voulions vraiment nous adresser à tous les promeneurs du jardin. Le choix du jardin du Luxembourg pour raconter cette histoire de façon pédagogique signifie que nous n'avons pas pris la voie du discours universitaire. L'idée étant de dire qu'il n'est pas forcément nécessaire de faire des études pour apprendre ou rattraper le temps perdu à travers cette mémoire, pour qu’elle soit accessible à tous. A travers la beauté d'un jardin comme celui-ci, asseoir une scénographie sonore et visuelle à la fois veut simplement dire que nous avons envie de nous adresser à tous. Chacun pourra s'approprier cet espace de mémoire. Il n'y a pas d'ordre chronologique particulier à suivre. Par n'importe quel chemin, on apprendra forcément quelque chose, et on en sortira encore plus enrichi.
Cette exposition s’arrêtera-t-elle le 12 mai 2013, ou a-t-elle une vie après sa mort?
Nous caressons l'espoir que cette exposition puisse voyager. Nous espèrerons qu'elle sera demandée, et ce sera avec le plus grand plaisir que nous ferons en sorte qu’elle puisse tourner dans tous les territoires ultramarins, Antilles, Guyane, Réunion, Mayotte, mais aussi dans toutes les autres provinces françaises, je veux parler de l’hexagone. Mais je le rappelle, cette exposition voyagera déjà pendant les trois jours de l'exposition, au jardin du Luxembourg grâce au site internet.
Une conclusion?
Si il doit rester quelque chose de cette exposition, c'est peut-être laisser ce sentiment que nous, ultramarins, faisons partie intégrante de la nation française. Inscrire la célébration de la commémoration de l'abolition de l'esclavage au cœur du jardin du Luxembourg n'est pas anodin. L'outremer c'est partout. Dans les territoires d'Outre-mer, mais également dans l’hexagone. L'Outre-mer fait pleinement parti du patrimoine de la nation. Cette exposition a été rendue possible grâce à la volonté et au courage des politiques, de tous les politiques, de l’hexagone et de l’Outre-mer. Ils nous ont accompagnés tout au long de notre démarche.
Qui est Luc Saint-Eloy?
Comédien, auteur, metteur en scène, Luc Saint-Eloy est directeur artistique, fondateur de Toit Monde Production et du Théâtre de l'Air Nouveau, une compagnie antillo-guyanaise basée en région parisienne, qui a aujourd'hui plus de trente ans d'existence. Il est également membre du premier comité d'experts pour le Théâtre crée en Guadeloupe en 20001.
Créateur d'évènements, il met en scène en 1998 une grande fresque historique à Paris, "les Echos de la Mémoire", "Les Milans du Temps" avec plus de 450 personnages en costumes, représentants l'histoire des peuples d'Afrique, de la Caraïbe, de l'Océan Indien, et des Amériques, pour la commémoration du 150ème anniversaire de l'abolition de l'esclavage. Plus de 60 000 personnes ont pu assister et participer au défilé spectacle, en présence de la Ministre de la Culture, madame Catherine Trautmann.
Le site de l'exposition à retrouver les 10, 11 et 12 mai 2013 : www.lesechosdelamemoire.com



