Politique

dimanche, 10 mars 2013 17:16

Chavez est-il de Gaulle et Blum réuni ? Petite leçon de chose historique

Première précaution de circonstance, il n’est pas dans mes intentions de fabriquer ex cathedra un Saint Lurel. Je n’entends pas non plus excuser les propos pour le moins maladroits du ministre de l’Outremer aux obsèques d’Hugo Chavez sur la fraicheur du cadavre présidentiel : « Il était tout mignon a t-il déclaré, frais apaisé. On avait un Hugo Chavez pas joufflu comme on le voyait après sa maladie ».

Dans les sociétés antillaises, la mort n’est pas un phénomène froid et désincarné, comme c’est maintenant le cas, majoritairement, en Europe. Les mots de M. Lurel sont inexcusables sur le plan politique et diplomatique, mais ils traduisent aussi une représentation différente du mort. Dans de nombreuses sociétés de l’Outremer, les morts sont simplement absents, on en parle encore au présent. Le mort n’a pas tout à fait disparu, il reste dans la communauté. Bref ! Laissons de coté cet aspect anthropologique pour ne retenir que la comparaison politique entre Chavez et d’illustres Français : « Toute chose égale par ailleurs a dit M. Lurel (mutatis mutandis), Chavez, c’est de Gaulle plus Léon Blum. De Gaulle parce qu’il a changé fondamentalement les institutions et puis Léon Blum, c’est à dire, le Front populaire parce qu’il lutte contre les injustices ».  Reprenons calmement les deux pans de cette audacieuse comparaison :

a) Chavez a en effet changé les institutions de son pays puisqu’il a modifié la Constitution pour pouvoir être réélu au delà du terme fixé par elle. Il affirmait régulièrement qu’il resterait au pouvoir pendant  30 ans, sans doute sous forme de provocation ou de bravade. De Gaulle, faut-il le rappeler à M. Lurel a quitté le pouvoir en 1969 sur la base d’un référendum perdu. Le général qui s’était pourtant fait voter les pouvoirs exceptionnels dans la constitution d’octobre 1958 ne jouait pas avec  les règles de la démocratie populaire. La comparaison avec De Gaulle manque de corps historique. Le seul vrai terrain de convergence est celui du rapport à la Nation. Chavez et de Gaulle étaient l’un et l’autre intransigeants avec l’indépendance nationale. Face à la puissance économique et militaire américaine, plus prégnante en Amérique Latine qu’elle ne le fut jamais en Europe,  Chavez et de Gaulle se sont dressés l’un et l’autre pour refuser le droit de cuissage économique du géant nord américain.

b) Venons en maintenant à la comparaison avec Léon Blum, même s’il reste du de Gaulle dans ce qui suit. Tous les socialistes ne se ressemblent pas. Oui, Léon Blum aussi voulait partager  la richesse. Entre la redistribution de la rente pétrolière aux Vénézuéliens et les congés payés, on trouvera une ambition sociale partagée. Gardons nous cependant des caricatures. La gauche internationale, celle de Castro ou celle de Thorez et enfin celle de Blum n’incarnent pas la vertu de la justice à elles seules. Les faits sont têtus qui rappellent par exemple que Chavez ne doit son salut qu’à la seule rente pétrolière. Sa politique de nationalisation et  son hostilité chronique au secteur privé ont tué l’industrie nationale. Quelques millions de Vénézuéliens sont moins pauvres aujourd’hui qu’il y a une génération, mais le pays est exsangue, l’Etat est corrompu et rien ne dit que les hydrocarbures seront toujours une assurance tout risque pour le pays. Blum négociait, dans le cadre d’un rapport de force social, Chavez a brutalement « cubanisé » l’économie de son pays en provoquant aussi son affaiblissement. Non, Chavez n’est pas Blum mais plutôt Thorez.

Bien ou mal fondées, les comparaisons de M. Lurel traduisent un autre phénomène, mal perçu en Europe. L’arc antillais et l’Amérique du Sud forment ce que les géographes appellent le « jardin américain ». Le souffle du géant y est plus chaud qu’il ne l’est partout ailleurs. Chaud et parfois brulant ! L’Amérique a été et demeure dominante et dominatrice. Ses entreprises, ses ambassadeurs et parfois ses barbouzes ne font pas dans la dentelle. L’Amérique écrase ses petits voisins quand elle ne les considère pas comme des colonies ou des condominium. Le trio Chavez-Castro-Morales incarnait la résistance aux puissants. C’est une cause très populaire dans ces territoires encore remplis d’histoires tragiques, de complots, de mise à mort et de coup d’Etat dont celui du Chili est en Europe le plus emblématique (mais pas le seul). Au jour le jour, sans armes de guerre, l’Amérique du Nord, même celle du métis Obama, n’est pas toujours un voisin tranquille et bienveillant. On ne sait pas ici à Paris, ce que représente la posture romantique du héros révolutionnaire. Chavez jouait ce rôle de théâtre avec talent. Il parlait au cœur des latinos et des Antillais et c’est pourquoi, il est encore plus populaire mort que vivant.

Partenaires

CANGT NORD GRANDE TERRE
CAP EXCELLENCE

Derniers articles

Les + lus

Rejoignez-nous sur Facebook

Recevez les actus par email

Recevez par mail les dernières infos publiées sur OUTREMER LE MAG'

Rechercher