« J’ai l’honneur de vous demander de bien vouloir prendre en compte ma démission en ma qualité de présidente de la communauté du Grand Sud Caraïbes et de conseiller communautaire, avec effet immédiat. » C’est ce qu’écrit Lucette Michaux-Chevry dans un courrier datant d’hier, au préfet de la région Guadeloupe, Philippe Gustin.
« JE N’AI JAMAIS SU METTRE MON GENOU À TERRE »
Les raisons de ce départ surprenant (mais demandé depuis longtemps par plusieurs associations et adversaires politiques) ont été expliquées dans une lettre ouverte à la population et sur Guadeloupe 1re, dans une interview exclusive accordée à notre confrère Gilbert Pinsemail, sur un ton d’avis d’obsèques : « Ma décision est motivée par le fait qu’il y a plus de 60 ans que j’ai une certaine vision de la Guadeloupe. J’ai un idéal pour mon pays et avec détermination, avec courage, j’ai mené des combats. J’ai toujours refusé de subir la pression des lobbyings. Je n’ai jamais su mettre mon genou à terre quand il s’agissait de m’occuper de la Guadeloupe, de chacun et de chacune de mes compatriotes. »
« CE N’EST PAS UN ACTE DE FAIBLESSE DE MA PART »
Et cet engagement s’est construit au détriment de sa famille, affirme-t-elle : « Mes enfants ont beaucoup souffert de mes combats politiques. Ils n’ont jamais oublié ce soir de Capesterre 1986 (NDLR : période des attentats revendiqués par le mouvement indépendantiste guadeloupéen Arc, de 1980 à 1989). Ils n’ont pas oublié non plus qu’ils ont été obligés de quitter la Guadeloupe parce qu’ils étaient menacés. Ils n’ont pas oublié non plus que la tombe de leur père avait été profanée. Tout cela, ils l’ont accepté. Mais aujourd’hui, où l’on touche à la chair de ma chair, à mes petits-enfants qui n’ont jamais fait de la politique, qui sont pour une grand-mère ce qu’il y a de plus beau et une source pour revivre — ce n’est pas un acte de faiblesse de ma part — les quelques années qui me restent à vivre je dois les consacrer à mes petits-enfants »
« MA FAMILLE A BESOIN DE MOI »
En réalité, ce qui a déclenché sa décision, c’est la convocation, il y a deux semaines, de son petit-fils, Alexandre Penchard, de la mère de celui-ci, Marie-Luce Penchard —maire de Basse-Terre — et d’elle-même, dans le cadre d’une enquête du parquet national financier. Au terme de leur garde à vue tous les trois avaient quitté les locaux de la police judiciaire, sans être mis en examen. « L’épisode judiciaire de mon petit-fils (…) m’a meurtri. Il n’a jamais fait de la politique. Et là, de voir ce qu’on lui a fait subir, je ne peux pas le supporter. Je n’oublierai pas les moments que j’ai passés avec les Guadeloupéens. Je n’oublierai pas ce qu’on a fait ensemble. Mais il y a un moment où l’on sent qu’il faut faire attention à sa famille. Ma famille a besoin de moi. C’est ma famille d’abord. Avant, ce n’était jamais ma famille. C’était toujours la Guadeloupe, pour la Guadeloupe, rien que la Guadeloupe. Mon parti c’était la Guadeloupe. Mon objectif c’était la Guadeloupe. »
SANS REGRET MAIS AVEC AMERTUME
Le 5 mars 1989, Lucette Michaux-Chevry aura 90 ans et désormais elle n’a qu’une envie : « serrer dans [ses] bras [ses] petits-enfants ». Elle part, assure-t-elle, sans regret : « Non, je n’ai pas regret. Ce qui me fait mal, c’est qu’indirectement, par la dureté de mes combats politiques, par ma résistance à refuser certaines choses, j’ai fait souffrir Octave, Marie-Luce, et aujourd’hui je fais souffrir mes petits-enfants. Je crois qu’aucune mère ne peut tolérer cela. Ce dont je suis fière c’est que j’ai fait la démonstration qu’en tant que femme, j’ai émancipé la femme et montré à la femme guadeloupéenne qu’on pouvait gérer la Guadeloupe. Et je l’ai gérée avec excellence. »
Elle retient, malgré tout, de ses combats que la Guadeloupe est une terre « qui vaut la peine qu’on se batte pour elle ». Elle explique « qu’à travers mes longs parcours dans le monde, nous n’avons pas encore perdu — malgré les « malpalan » et tout ça — le sens de la solidarité profonde qui est la source des sentiments guadeloupéens. C’est notre idéal, ça. »
UNE CARRIÈRE DE 60 ANS
Après ce bel exercice de communication de Mme Michaux-Chevry (qui a toujours su, avec talent, prendre son auditoire par les sentiments) c’est donc un livre de 60 ans de combats politiques qu’elle referme. La longue carrière de l’ancien ministre de Jacques Chirac avait débuté par un poste de conseillère municipale dans sa commune de naissance, Saint-Claude, en 1959 et s’achève à Basse-Terre, où elle occupait la présidence de la communauté d’agglomération Grand Sud Caraïbe (anciennement communauté de communes du Sud Basse-Terre) depuis le 1er janvier 2012. Entre-temps, elle aura été successivement :
- conseillère générale de Saint-Claude (1976-1982) et de Gourbeyre (1982-1994) ;
- maire de Gourbeyre (1987-1995) et de Basse-Terre (1995-2014) ;
- présidente du conseil général (1982-1985)
- présidente du conseil régional (1992-2004)
- députée (mars 1986, puis 1988-1993)
- sénatrice (1995-2011)
- secrétaire d’État en charge de la Francophonie (mars 1986-mai 1988)
- ministre de l’Action humanitaire et des Droits de l’Homme (mars 1993-mai 1995).
SA VIE N’EST PAS FINIE
Elle a également été fondatrice du parti Objectif Guadeloupe et membre du bureau politique du Rassemblement pour la République (RPR). La phase de déclin de sa carrière avait commencé par sa défaite aux élections régionales de 2004, face au socialiste Victorin Lurel. Cela dit, si on ne risque pas d’entendre parler de Lucette Michaux-Chevry en qualité de politique — même si elle reste 10e adjointe au maire de la ville de Basse-Terre— il est possible que ce soit sur le terrain judiciaire que l'ancienne avocate devra s’exprimer compte tenu des nombreuses affaires dans lesquelles elle peut être amenée à s’expliquer prochainement. Elle quitte une vie, mais elle reste en vie.
Son parcours l’avait conduit à rencontrer beaucoup de grands hommes dont Nelson Mandela.