Économie

jeudi, 08 août 2013 04:23

Michel Rocard répond en exclusivité à Dominique Martin Ferrari « Négociations diplomatiques très particulières pour la Nouvelle Calédonie »

Outremer le mag’ : A l’occasion du sommet de Copenhague sur le changement climatique en 2009, vous m’aviez déclaré «  sous la pression médiatique, Copenhague ne pouvait réussir. La clé de la réussite pour une négociation, c’est le secret », prenant ainsi  appui sur vos succès en Nouvelle Calédonie vingt ans plus tôt. J’aimerais que vous nous rappeliez les règles de cette négociation et les leçons que vous en tirez.

«  Je maintiens cette phrase. Le secret est une condition majeure de toute recherche de compromis entre collectifs en conflit. Même si ce n‘est pas la seule. La seconde condition est que les gens soient mandatés, afin que les extrémistes qui veulent que cela échoue à tout prix, aient été écartés.
 
Quelle était la situation en Nouvelle Calédonie quand je suis arrivé en 1988? Personne ne voulait se parler. Les caldoches refusaient de faire confiance à un gouvernement de gauche et les kanaks pensaient qu’ils n’existaient pas pour la France. Surtout, ils se méfiaient d’un gouvernement qui leur avait menti par deux fois, non pas sur de simples promesses électorales, non, mais aussi sur de vrais engagements de gouvernement.

En 1958, De Gaulle comme à Alger fait en sorte que la Nouvelle Calédonie soit régie par la loi du front républicain qui donne aux colonies françaises leur autonomie territoriale avec un gouvernement pris dans la majorité et dirigé par le préfet. L’assemblée territoriale est dument élue. Mais en 1963, pendant la nuit, le Parlement est saisi d’un vote par surprise qui supprime l’Assemblée élue et retransmet tous les pouvoirs à un haut commissaire. Premier gros mensonge. Certains kanaks prennent le maquis.
 
En 1981. François Mitterrand est élu. Pisani est nommé ministre en charge de la Nouvelle Calédonie. Il a l’idée d’un nouveau statut de « souveraineté association » copié sur le modèle québécois. L’idée fait son chemin sous une majorité caldoche avec un haut commissaire protégé par l’armée. Quand en 1986 la gauche perd les législatives, Chirac devient premier ministre et prend Pons comme ministre afin d’organiser un scrutin en 1987. On sait qu’il sera forcément source de problème, car les kanaks donnent un ordre de boycott actif. Les kanaks ont toujours  refusé de participer aux élections. Ils ne sont donc pas représentés. Ce scrutin conduira tour droit à l’inégalité. Alors s’engage une négociation confidentielle, via les circuits coutumiers. Il leur est fait dire « on ne sait pas qui vous êtes. Un boycott vous confond avec les pêcheurs à la ligne. Si l’on veut mesurer vos forces, il faut les faire connaître ». Les kanaks se persuadent peu à peu de l’intérêt du scrutin et posent une condition : il se déroulera un jour où il ne se passera absolument rien dans la République.
L’accord se fait. Et voilà que Chirac fait de ce dimanche de 1988 le jour du premier tour des présidentielles !
C’est la deuxième violation de parole du gouvernement français.

Dix-neuf gendarmes seront enlevés à Houvea. Chirac veut intervenir militairement et prépare l’assaut avec un état major consentant. On laisse passer une fausse information comme quoi tout va bien se passer. Mitterrand lance l’ordre d’assaut malgré une mise en garde d’un capitaine de gendarmerie locale.
La suite, on la connaît : c’est le massacre,  deux jours avant le deuxième tour du 8 mai 1988.

C’est alors que je suis nommé premier ministre. Pour relancer la parole, j’invente la mission du dialogue composée d’un évêque, d’un chef de l’église protestante, d’un maître du grand orient, d’un magistrat, d’un préfet et de deux sous préfet. Nous auditionnons 600 personnes. Du jamais vu !

L’un des sous préfet est l’ancien conseiller DOM TOM de Raymond Barre car il ne fallait pas un groupe de gauche uniquement.
Six semaines plus tard, à force de circulation de messages privés, l’idée prend forme « d’imaginer un statut temporaire avec de meilleures conditions ». Selon ce statut temporaire les mairies – où les kanaks ne sont pas représentés - sont supprimées. L’État reprend le pouvoir et dix ans sont prévus pour que par délégations, ses pouvoirs soient transmis aux communautés territoriales. Même si l’on ne dit pas le mot, on va vers une gestion fédérale. Ces années permettent aux kanaks d’apprendre à gérer. Ce statut provisoire fonctionne. Aujourd’hui les deux territoires se développent. Demain, la province Nord qui gère déjà son nickel, va avoir sa mine d’aluminium, son usine, son port.

Nous entrons donc dans une nouvelle phase historique pour la Nouvelle Calédonie. Quelle-est vôtre analyse de la situation ?

Nous sommes dans la phase où l’état doit se dessaisir complètement au profit des provinces, nous sommes sur le choix central de l’indépendance. Tous les deux ans les transferts  de compétences se sont déroulés sans encombre. Dans quatre à cinq ans nous aurons acquis le principal de l’indépendance. Reste un secteur difficile, celui de l’éducation. Que vaut un bachelier de Nouméa par rapport à celui de Paris ? Mais tout cela est possible. Je partage le vœu que nous y arriverons.
Mais cette phase est bizarre. Pour atteindre une véritable indépendance au sens onusien du terme, il faut désormais décréter l’indépendance monétaire, juridique, militaire. Trois questions qui restent en suspend :
Car le FNLKS n’a jamais demandé la sortie du franc ;  ensuite, le secteur de pêche calédonien est étendu sur 1M et demi de kilomètres carrés, que braconnent les coréens, les chinois, les japonais. La surveillance de ce territoire ne peut être faite que par une grande puissance équipée. Et reste plus complexe la question de la justice. Le droit coutumier poursuit son adaptation au droit moderne. Notamment en terme de développement économique et de droit à la terre. Il se peut qu’à un moment les deux provinces soient en conflit de droit et que cela nécessite une évolution judicaire jurisprudentielle. Il faut donc maintenir une instance suprême : une cour d’appel ? une cour de cassation ? Pour éviter les divergences entre les ministres de la justice des deux provinces. Où sera t elle localisée : en terrain neutre ? à Paris ? 
J’imagine les yeux des bureaux onusiens recevant une demande d’indépendance, sans monnaie propre, en lien avec la défense nationale française, et avec une cour de justice à Paris ! Ainsi formulé, le concept d’indépendance perd de sa netteté aux yeux de l’ONU : il faudra que ces fonctionnaires réussissent à admettre et à dire : nous avons une indépendance aux 9/10°.

Et puis, restons prudents. Vu le nombre de chômeur, l’économie reste celle d’un pays sous- développé. Quand sur le port autour d’une question de conteneurs se déclare une grève moderne entre salariés et direction, il serait très facile d’en refaire un conflit ethnique. La Nouvelle Calédonie reste fragile. »

Propos recueillis par Dominique Martin Ferrari le 7 Aout 2012

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