1-Outremer le mag’– Comment es-tu devenue cette femme multiple ?
China Moses - Pour ce qui est de la femme multiple, c’est probablement le fait que j’ai toujours eu la crainte de m’ennuyer. Je me retrouve surtout dans des situations où on m’a toujours permis de faire ce que je souhaitais. Tout a toujours été, jusqu’à aujourd’hui, des concours de circonstance. Je fais partie des gens chanceux, j’en suis pleinement consciente et je respecte cela.
Mais tout cela me vient avant tout de mon patrimoine familial, j’ai grandi dans une famille recomposée. Mes parents m’ont éduqué de façon à toujours aller vers les autres. Mes grands-parents eux-mêmes étaient des gens très ouverts. Tous les enfants de la famille sont une bande de curieux. Il me semble que cette façon d’agir est ancrée dans mon ADN. Nous sommes tous dans cette même dynamique. Découvrir l’ailleurs et l’autre a toujours été primordial.
2- Dans quelles circonstances a tu fais tes premiers pas à la télévision?
Il s’agit encore une rencontre basée sur la chance, un « accident » en fait. C’est une de mes amies qui m’avait prévenu de ce casting pour une nouvelle émission sur MCM. J’y suis allée presqu’au culot, et d’ailleurs je suis arrivée à la fin de celui-ci. Cependant j’ai osé dire que je souhaitais le passer. Le chargé de production, Michael Blois (qui est aujourd’hui le directeur de programme de Virgin Radio), m’a demandé de parler de musique. Alors je l’ai fait, pendant près de 30 minutes non stop, et ce fut pour moi le début de Blah-Blah Groove où je remplaçais Philippe Krootchey.
3- Que représente pour toi la musique ?
Elle représente tout. J’avais l’habitude d’écrire des chroniques musicales sur des forums de musique, et le rédacteur en chef de Tracklist (label de rap) a demandé à me voir pour collaborer avec La Source, son pendant français. Il était important pour moi de partager la musique sous quelque forme que ce soit. Je chantais déjà depuis l’âge de 15 ans. Et pour ce faire j’ai interviewé chaque mois les gens de l’ombre de ce milieu. Puis ce fut l’expérience sur MTV avec Mouloud Achour que j’avais rencontré, et avec qui j’avais la passion des jeux vidéo. Nous voilà engagés tous deux sur l’émission Sélect. Puis encore la chance, avec la proposition d’une quotidienne sur Jazz Radio. Emission que j’ai du arrêter en décembre dernier faute de moyens.
4- Tu as évolué depuis longtemps dans ce milieu. Selon toi, la musique suffit-elle encore à tout apaiser ?
Bien sûr ! Il est vrai qu’aujourd’hui, on est submergé d’informations négatives, et même si il y a des choses terribles qui se passent dans le monde, je pense que l’on reste « ok ». La musique fédère encore de l’espoir. Evidemment, il y a plus d’offres, beaucoup plus d’artistes qui proposent mille et mille créations. Il faut rester ouvert aux autres, à d’autres cultures, à une sensibilité différente. Selon moi, tout ceci permet non pas d’oublier mais de soulager les maux subits quotidiennement. Il faut rester curieux des choses que la vie nous offre.
5- Tu parles d’ouverture sur d’autres cultures, il y a peu tu as participé à l’émission Génération Kassav, qu’est-ce-ce que cela a signifié pour toi ?
J’étais ravie d’y être invitée. Tu imagines des leaders musicaux comme le sont les membres de Kassav. Wouah ! J’ai l’âge du groupe ! J’ai le souvenir de mon arrivée à Paris avec ma mère. A l’école, nous étions nombreux à être d’origines différentes. Les ados que nous étions, antillais, maghrébins, américains, asiatiques et français, nous réunissions autour de l’opinion que nous avions sur des musiciens-chanteurs, et nous en parlions tous avec ferveur. Je découvrais le zouk, et là on me proposait de chanter devant eux. C’était pour moi un véritable honneur. Même si selon certains, le zouk est cloisonné comme une musique du soleil simplement festive, Kassav est beaucoup plus que ça. On l’entend bien dans leurs arrangements cuivre, dans leurs créations. Ils sont connus dans le monde entier et bien sûr j’ai accepté, parce que en 1986, c’était en France une période mixte. Je rencontrais tant Kassav, que Niagara, il y avait Madonna ou les Négresses Vertes, et tous étaient dans le Top 50. Simplement cela suffit à les honorer, eux qui depuis 35 ans font la part belle au patrimoine musical français. Une musique venue de petites îles et qui fédère tout autant que le reggae de Bob Marley.
6- Dans ton dernier album, tu rends hommage aux dames du blues, où en est-il ?
Eh bien, il est sorti en novembre 2012, et j’en fais la promotion. Depuis peu, il est distribué en Angleterre. Et c’est pour moi la chance de vivre de mon métier. C’est le temps des Festivals et il semble qu’il est plutôt bien reçu. Cet album de jazz m’emmène cette année aux Antilles, et j’en suis ravie. Je passerai par la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane. Depuis des années, je suis attachée à cette musique, j’ai d’ailleurs participé à des albums de zouk avec des amis comme Jean-Michel Rotin, Keysha ou Lynnsha. Avant nous serons à Tahiti, puis à la Réunion.
7- D’où te vient cet amour pour ces femmes du blues ?
J’ai une fascination pour les dames du blues. Elles sont profondément ancrées dans ma culture, et font pleinement partie de mon héritage. En Amérique, nous avons nos lobbies de superstars du blues. On porte de l’importance au symbolisme. Ces femmes représentent beaucoup pour nous. Elles ont chanté nos misères, nos combats, nos espoirs, nos victoires. A une époque elles ne pouvaient pas faire les Unes des magazines et heureusement, cela a changé aujourd’hui. Nous travaillons dans ce sens : les mettre en lumière est vital. Les femmes noires artistes comptent de plus en plus et elles font notre fierté, nous respectons ces personnes qui ont bâti une carrière et qui forcent le respect. Ces personnes sont les leaders d’une communauté qui sont pour nous des exemples et des représentants, il faut s’en inspirer.
8- L’écorchure de ces femmes te conditionne t’elle encore ?
Bien qu’elles soient toutes différentes, elles ont la même folie, la même conviction, une sorte de féminisme. Lena Horne, Dinah Washington (il y a un timbre à son effigie), Esther Philips, Billy Holiday et de nombreuses autres témoignent de cette émotion. Certaines ont aussi marqué l’histoire des Droits Civiques. Elles ont été mes idoles. J’ai vu ma mère reconstruire une carrière à 35 ans dans un pays qu’elle ne connaissait pas, avec ses enfants à charge. Alors bien sûr, j’ai ce repère d’une mère battante et d’autres femmes qui lui ressemblaient comme Queen Latifah, Withney Houston ou Neneh Cherry. Alors je me suis projetée vers elles pour mieux comprendre. Dans les années 20, elles étaient poussées par cette énergie, cette « folie » magique et passionnée qui leur donnait l’envie de chanter toujours.
9- Quelle lectrice es-tu ?
Je suis une véritable passionnée de science-fiction. J’aime les histoires d’étoiles, d’espace, de vaisseaux spatiaux. Quand j’étais enfant, je souhaitais être astronome. C’est encore cette curiosité des autres, de la différence qui peut-être m’enthousiasme et me donne le cœur à raconter des histoires. Je me rappelle aussi de la série Star Strek dans laquelle il y avait une héroïne noire pour la première fois dans l’histoire de la télévision américaine. J’y retrouvais en quelque sorte mon reflet. Mon côté « terre à terre » me fait aimer les biographies. Il y a une d’ailleurs que j’ai envie de conseiller à tes lecteurs, ce serait celle de Quincy Jones qui m’a beaucoup touchée.
Références
*Dee Dee Brigwater : Dee Dee Bridgewater est la première Américaine à être membre du Haut Conseil de la Francophonie. Prix de meilleure actrice du Tony Award pour son rôle de « bonne sorcière du nord » dans Glinda the Good Witch. Elle a reçu également en 1998 : Grammy Award du meilleur album de jazz pour l'album Dear Ella.
*Gilbert Moses : metteur en scène et réalisateur américain pour le cinéma et la télévision. Il est le fondateur de la Free Southern Theater Company qui fut l'une des compagnies pionnières du théâtre afro-américain.
China Moses en spectacle aux Antilles :
14 Juin - Martinique - à L'Atrium - Fort-de-France
15 Juin - Guadeloupe à l'Espace Culturel Sonis – Les Abymes
Ecoutez l'album ici : http://www.youtube.com/watch?v=x-TI59fOW8c
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