Culture

jeudi, 23 mai 2013 04:42

Jocelyne Béroard, se rappeler qui nous sommes !

©Xavier Xavibes Dollin

Pendant deux à trois heures, peu d’entre nous (journalistes) ont été conviés à la répétition de Kassav. Les leads Jacob Desvarieux, Georges Décimus, Jean-Claude Naimro, Jocelyne Béroard, les musiciens Thomas Bellon (batterie), Philippe Joseph (claviers), Patrick Jean-Elie (percus), les cuivres Claude Pironeau (saxo), Hamid Belhocine (trombone), Fabrice Adam (trompette), les choristes Marie-Céline Chroné, Marie-José Gibon et Jean-Jacques Séba sont là. Un seul manque à l’appel, Jean-Philippe « Pipo » Marthély, celui qui a écrit et interprété « Sonjé », le premier titre extrait de l’album.


1/  Migail Montlouis-Félicité : « Sonjé » est le titre du 16ème album de Kassav, pourquoi ?
Jocelyne Béroard : La raison principale est qu’il est le premier depuis la mort de Patrick, il était normal qu’on lui rende hommage. « Sonjé » c’est aussi donner une part au rêve, c’est croire que demain peut être meilleur. C’est donner une impulsion à nos vies. C’est aussi le temps de la réflexion. C’est se dire surtout que les choses sont possibles, c’est le « Yes we can »! C’est surtout se rappeler qui nous sommes et ne pas se perdre.

2/ M. M.-F. : Combien de temps a t-il fallu pour le boucler?
J. B. : On a commencé depuis juillet 2012 à écouter des bases rythmiques. Et le travail sur le CD en studio a débuté en janvier dernier. Le mixage s’est fait en Grèce, à Santorin, où il y un magnifique studio. Il était entièrement à notre disposition, on y a logé pendant tout le temps du mix, ce qui nous permettait de rester ensemble. Partager la même table, Georges (Décimus) cuisinait, de temps en temps on allait au restaurant. On regardait la côte, la mer ensemble et cela change tout.

3/ M. M.-F. : Le nouvel album contient douze titres. Quels sont ceux que tu as écrits ?
J. B. : J’ai écrit les trois titres que je chante et un texte pour Jacob.

4/. M. M.-F. : « Mawonaj ! » Cela signifie t-il que l'engagement culturel de Kassav est toujours lié à l'histoire de nos archipels ?
J. B. : Mais bien sûr, on vient de là, on ne peut se séparer de nos identités. « Mawonaj » parce qu’aujourd’hui c’est « tendance ». On m’a dit par exemple que Kassav ne faisait pas une musique majeure. J’avais envie de répondre « qu’est-ce qu’une musique majeure? ». Je connais les gammes majeures ou mineures, et il y a simplement une musique qu’il faut arrêter de stigmatiser. Et ici, en France, on a trop l’habitude quand on ne comprend pas une culture de la confiner dans le grand panier de la world music. Nous avons choisi de ne pas faire de compromis, et de façon volontaire on « mawone » toutes les tendances, tous ce que l’on veut nous imposer. Notre musique est belle et forte,  et nous continuons à la défendre. C’est notre façon de « marronner ».

5/ M. M.-F. : Les concerts « Zénith » sont pour toute l'équipe un super rendez-vous, comment t’y prépares-tu ?
J. B. : On est sans cesse, extrêmement occupés par les répétitions, je ne suis pas disponible pour l’instant. On s’y prépare déjà musicalement, il y a la promo pour le dernier « bébé ».  Je commence seulement à penser aux tenues de scène, mais je serai dans l’urgence comme d’habitude (rires).

6/ M. M.-F. : Kassav : ce sont des chiffres étourdissants entre albums et concerts,  l’aurais-tu imaginé lors de ton arrivée dans ce groupe ?
J. B. : Peut-être mais je ne me souviens pas vraiment y avoir pensé, en avoir rêvé. Au départ on espérait que nos chansons plairaient au public. En 1982, ça a commencé doucement avec « Zanmi calculé » et en décembre1984 quand l’album de Jacob Desvarieux et Georges Décimus est arrivé, c’était la folie et l’adhésion de tous. Ce qui importait c’était de satisfaire notre public, les nôtres en particulier.

7/ M. M.-F. : Que représente pour toi la maison du Zouk inaugurée en Angola ?
J. B. : Jacob peut mieux y répondre. Je ne l’ai pas encore vue c’est lui qui nous a représentés lors de l’inauguration. Mais il y a déjà eu des maisons du Zouk ou nommées « Kassav » en Afrique* et je trouve cela fabuleux.

8/ M. M.-F. : Vous n’arrêtez pas de tourner et « Sonjé » vous remet à nouveau sur les routes du monde ?
J. B. : Comme dit Jacob notre tournée est à 70-/80% à l’étranger*. On est le groupe français qui se produit le plus à l’étranger. Depuis vingt ans nous sommes toujours dans des avions. On n’a pas cessé de voyager. Nous tournons aussi beaucoup dans les villes de la France hexagonale, surtout lors des sorties de nos albums.

9/ M. M.-F. : Quels sont le dernier film, la dernière pièce que tu aies vus ?  Le dernier livre que tu aies lu ?
J. B. : Le dernier film c’est Flight avec Denzel Washington. La pièce je l’ai vue au Théâtre Aimé Césaire en Martinique il y a quelques temps. Quant aux livres, j’en bouquine plusieurs à la fois.  En ce moment, je lis un pavé sur l’empathie « Une nouvelle conscience pour un monde en crise », un autre plus facile « La Liste de mes envies *» qui raconte l’histoire d’une femme qui a gagné une énorme somme au loto. Au départ elle le cache à tout le monde parce qu’elle est en panique. Et je vais certainement me plonger dans IQ84. En fait, c’est au hasard de mes inclinations, de mes humeurs dans l’avion que je choisis celui que je vais lire.

*La liste de mes envies de Grégoire Delacourt – Adapté pour le théâtre par Anne Bouvier -  http://youtu.be/TffCcm5MXD4
*Kassav en Afrique – Extrait  B.World Connection - http://youtu.be/7o3R0a3ynWE
*A l’étranger - Kassav performing live @ Prospect Park in Brooklyn NY
http://youtu.be/ASj8kOtJCkg



Jocelyne Béroard  et nos lecteurs !
La Rédaction a donné l’occasion à des fans de Kassav de poser quelques questions à Jocelyne Béroard, et c’est avec plaisir qu’elle y a répondu sans détour.

Gaël : Comment expliques-tu l’exceptionnelle longévité de Kassav et de son inspiration créatrice ?
J. B. : L’exceptionnelle longévité est due au fait que nous aimons faire cette musique ensemble. Nous ne sommes pas un groupe qui reprend les musiques des autres. Nous avons créé un style que nous avons vu naître et évoluer. Cela créé des liens. C’est ce qui importe plus que jamais pour nous, et non les choses futiles qui pourraient provoquer des remous entre nous. Nous apprenons toujours les uns des autres, tant du point de vue musical, que sur un plan plus personnel. On se complète assez. Quant à l’inspiration qui touche encore les gens, c’est que nous parlons réellement de nous. Nous sommes Antillais, nous avons une base rythmiques et même si on a invité les autres cultures dans notre musique, la nôtre et nos origines comptent par-dessus tout. Nous sommes conscients de la richesse de notre culture, nous y mettons tout notre amour  et notre énergie.

Gaël : Comment est apprécié Kassav par des non-Antillais ? 
J. B. : En fait ça dépend des gens.  Il y a des gens qui rythmiquement nous ressemblent, comme en Afrique, en Amérique du Sud ou dans le bassin caribéen. C’est un peu plus difficile pour les Européens.

Geneviève : Si tes grands-parents revenaient, qu’est-ce qui, selon toi,  le stupéfierait dans ce monde moderne ?
J. B. : Ah ! s’il s’agit de mes grands-parents, ce serait probablement Internet et l’ordinateur. Pourvoir communiquer avec des gens qui sont au bout du monde, voir leurs images à travers l’écran, tout ça est fabuleux. Ma mère à une époque était étonnée et n’avait jamais imaginé qu’à travers un fil on pourrait parler à quelqu’un.  Même si ça semble si aisé aujourd’hui.

Geneviève : Maintenant il est recommandé de porter une valise de vingt-trois kilos dans les airs. Que mets-tu dans ta valise, comme cadeau pour les êtres chers ?
J. B. : Les êtres chers, je les ai énormément gâtés (rires).  Et comme j’ai beaucoup de choses je les ai dit maintenant c’est fini. Quand ma valise n’est pas pleine, je prends ce que je peux. Certains collectionnent des assiettes par exemple, alors quand je suis dans un pays nouveau, je prends une petite assiette du pays et des choses plus petites. Maintenant il y a des petits-enfants, alors  j’offre des vêtements qui sont plus légers à transporter.

Emilie : Quel est ton plus beau souvenir d’enfance ?
J. B. : Mon plus beau souvenir d’enfance (réflexion)… Peut-être quand j’ai gagné la première fois une compétition de natation. Mais j’en ai tellement ! J’ai des souvenirs d’enfance très heureux. Toutes les fêtes familiales pour moi sont d’excellents souvenirs.

Emilie : Si tu as un regret quel est-il ?
J. B. : Le regret évidemment de ne pas avoir eu d’enfant bien que je m’en sois guérie aujourd’hui.
Patricia : Si tu devais vivre une autre vie que changerais-tu ?
J. B. : Mon caractère peut-être (rires). Je suis trop spontanée, je m’énerve un peu trop vite. J’essaie d’avoir de la rigueur mais quelquefois on en a plus pour les autres que pour soi-même.
(Plus légèrement) Je suis contente d’avoir mes deux jambes et en bon état, mais j’aurais tendance à dire que je leur donnerais une plus jolie forme. (Eclats de rires).
 
Thierry : Que penserais-tu d’une émission comme the VOICE aux Antilles avec des chansons de notre patrimoine ?
J. B. : Ce serait pas mal, mais les jeunes connaissent-ils assez bien les chansons du patrimoine ? J’ai participé il y a deux ans à un concours de chants, en tant membre du jury et  je leur ai demandé de bien choisir des chansons avec de vraies mélodies. Parce qu’ils chantent « a cappella » ou juste accompagnés d’un piano. Et cela est une véritable difficulté. En écoutant le deuxième album d’Empreintes, on se rend compte combien Fernand Donatien est une grande figure de notre musique. Non seulement ses mélodies sont peaufinées note par note, mais il faut être capable de véritables prouesses vocales pour les chanter. De plus ses textes sont d’une telle beauté et c’est dommage que nos jeunes passent à côté de cela ! Ce serait l’occasion de les encourager à aller fouiller dans cet héritage. Il faudrait aussi leur choisir des chansons, parce qu’il y a des merveilles dans notre patrimoine.


Thierry : Comment vois-tu l’évolution de Kassav, qui reste pour nous le groupe mythique à l’instar des groupes anglophones ?
J. B. : Quand on vit la chose on ne le voit pas clairement, ce sont surtout les autres qui  le disent. Il y a eu cette période d’engouement, parce que c’était nouveau, ça surprenait et rendait fiers.  Les gens s’y sont habitués et il y a l’attitude de dire : « Oui ils ont eu un parcours exemplaire ! Oui ils nous représentent !» mais ça ne signifie pas qu’ils aiment nécessairement nos disques. Malgré tout il y a la reconnaissance que le travail de Kassav est essentiel, qu’il a permis d’ouvrir des portes. Que l’existence du groupe a fédéré et permis la réunion de gens différents.

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