1. Outremerlemag : Qui t’a donné l’envie de faire ce métier ?
Meddy Gerville : Ca a toujours été ma passion. Depuis mon plus jeune âge. J’avais seulement neuf ans quand je chantais dans les chorales avec mon père, sur les bancs de l’église. J’avais une grande facilité à assimiler les paroles, les mélodies des chansons. Puis, papa m’a initié à la musique. Il a commencé par me faire jouer au saxophone avant de me conseiller de m’exercer au piano. Comme je suis un peu autodidacte, j’ai étudié avec des cassettes, et j’ai ensuite pris quelques cours pour maitriser mon jeu, connaître les accords, les gammes, la position des doigts.
2. A quel moment découvres-tu le jazz ?
J’avais déjà joué dans des orchestres locaux et mes propres groupes, on chantait alors de la variété. J’ai joué avec le groupe phare réunionnais « Basse-Terre », avec lequel j’ai enregistré quelques disques. Mais ce qui m’importait c’était devenir un musicien professionnel. A 18 ans, j’ai opté pour l’école de Jazz CIM à Paris où vraiment j’ai compris combien le jazz était mon univers. J’y ai pratiqué le chant jazz, le ska jazz avec Marc Thomas*, un prestigieux saxophoniste et chanteur d’origine antillaise. Totalement emballé, j’ai perfectionné mon apprentissage. Et il était alors évident que c’était ma voie. Quelques années plus tard, de retour à la Réunion, j’ai poursuivi ce chemin en créant mon nouvel ensemble musical avec le label « jazz », et le mélange de ma musique d’origine.
3. Comment as-tu concilié ta passion du jazz à la musique traditionnelle réunionnaise ?
C’était simple et naturel. La musique traditionnelle réunionnaise est une empreinte que je porte en moi depuis ma plus tendre enfance. J’avais entendu les rythmes du séga toute ma vie. Lors des cérémonies, des bals, des réunions familiales, j’entendais les tambours malbars* et les rythmiques si particulières de la musique réunionnaise. Elles se sont ancrées dans ma mémoire. J’ai appris le maloya d’origine malgache plus tard, même si je l’avais en résonnance du fait de mon identité. Ce fut alors de manière innée que je les ai introduits dans mes créations.
4. De quoi t’inspires-tu pour créer ?
Je m’inspire de tout. De mes rencontres, de ce que je vois ou entends lors de mes voyages, des faits de société à la Réunion ou ailleurs. Je suis sensible et je reste à l’écoute des autres où qu’ils soient dans le monde. Je m’inspire beaucoup de musiques différentes qui me touchent.
5. Quel est l’artiste qui reste ta référence musicale ?
Il y en a plusieurs. J’écoute énormément Sting, avec qui je suis encore aujourd’hui en accord avec sa musicalité et son aisance de créateur. Il y aussi des musiciens comme Chick Correa, Miles Davis, un de ses accompagnateurs, Don Kelly, Charlie Parker, Herbie Hancock. Je n’oublie pas un groupe antillais comme Sixun*. Je puise aussi mon inspiration chez des artistes modernes tels que Richard Bona, un artiste mauricien avec qui j’ai beaucoup joué, Linley Marthe. Bien évidemment, mes plus grandes influences sont les musiciens de la Réunion, même si on n’en parle pas suffisamment.
6. Est-ce aisé d’exporter la musique de la Réunion ?
Malheureusement non. A l’instar de musiques comme la salsa, le reggae ou le jazz qui reflètent les cultures de différents peuples, la musique réunionnaise devrait nous représenter tel un phare dans le monde. Certains d’entre nous, avec le soutien de la Région, commencent à sortir assez régulièrement de l’île. Cependant, il reste difficile de faire voyager notre musique, alors que de nombreux artistes méritent d’être vus et entendus. Il reste beaucoup à faire, à l’image de Cuba et des Antilles. La musique est porteuse d’une image d’un pays, et la musique réunionnaise pourrait faire circuler cette culture identitaire qui m’est chère.
7. A quoi est due cette difficulté ?
Il me semble qu’il y a un souci de communication. Au niveau national, il y a encore quelques préjugés dus à la méconnaissance des cultures des territoires lointains d’outre-mer. En France, on fonctionne avec un système prédéfini, qui n’est pas très ouvert vers l’extérieur, sous des prétextes qui parfois me chagrinent, quand on nous reproche de « ne pas rentrer dans le format ». Il faut également avoir des moyens, connaitre le terrain, et surtout, dénicher les bons contacts. A mon niveau, j’ai la chance d’être souvent sollicité pour jouer sur différents continents où j’ai envie de mettre en lumière « mon petit bout de terre » et sa musique.
8. Que peux-tu nous dire au sujet de ton trio de Jazz avec lequel tu viens de finir une tournée ?
Avec Emmanuel Félicité à la batterie et Michel Alibo, à la basse, nous formons un groupe tout en osmose. Nous avons partagé des moments privilégiés avec notre dernier public en Martinique. Il y a encore des échanges à établir afin que nous soyons plus liés au niveau des DOM. A Sainte-Lucie, où nous étions la semaine précédente, ce fut le même enthousiasme. J’ai en mémoire de très bonnes « vibes ». Entre nous trois, l’entente est excellente.
9. Hors du jazz, quelle est ta passion ?
Cela s’éloigne véritablement du milieu artistique. C’est le Rallye, un sport mécanique. J’ai la chance de pouvoir assouvir ma passion de la vitesse, et de courir le Championnat du Rallye de la Réunion. J’ai gagné quelques courses. Depuis des années, à peu près 20 ans, le rallye me porte un plaisir certain. Malgré le coût, grâce aux sponsors validés à mon humble notoriété, je peux continuer à faire des compétitions.
10. Quel regard as-tu sur le tourisme et comment vendrais-tu « ta » Réunion ?
Le tourisme est une fenêtre ouverte sur les autres, cela consiste à faire aimer notre région. Avant toute chose, je dirais que la Réunion, c’est d’abord une multitude d’endroits uniques. Il y a les magnifiques montagnes avec des points de vue sans pareil. Il y a le « causé créole », le climat, le patrimoine culinaire. La Réunion c’est un melting-pot de sensations extrêmes, et je souhaite que beaucoup de gens découvrent cette île originale.
11. Une salle mythique française t’accueillera à la rentrée 2013, quelle est-elle ?
C’est une salle que j’aime beaucoup. L’Olympia est prévu le 6 Octobre 2013. J’y serai avec mes couleurs musicales : un mélange de jazz et de musique réunionnaise. C’est une performance que j’attends avec impatience. J’y serai dans le cadre d’une rencontre exceptionnelle : le concert-anniversaire pendant lequel Dominique Barret* et moi-même fêterons respectivement nos 30 et 15 années de carrière dans le métier.
* Marc Thomas : Il est surnommé le « crooner français », au même titre que les Sinatra ou Nat King Cole. A 16 ans il débute le saxophone et le chant à l’école CIM. Il a joué aux côtés de musiciens comme Sonny Rollins, Lee Konitz, Henry Guédon ou encore Jerôme Savary.
* Tambours malbars : originaire du sud de l’Inde. Il est joué dans les cérémonies, les mariages. En 1703, on suppose qu’il s’est introduit en Inde par le biais d’une traite officielle établie avec le continent.
* Dominique Barret : pianiste, musicien, arrangeur, auteur-compositeur-interprète, est une grande figure de la musique réunionnaise.
Pour mieux connaître Meddy Gerville :
Site officiel : www.meddygerville.com
Lamour - clip officiel extrait de l’album 7ème Ciel - http://youtu.be/3lYmWe0rqrk
Meddy Gerville Trio – Festival Jazz de Sainte-Lucie 2013 - http://www.youtube.com/watch?v=H_DAsVGxTeg&feature=share&list=PLvt-lAurttIjTAveVzmo7XOuY6AKdL8Lk