Culture

jeudi, 28 mars 2013 04:29

Livres - Le coup de cœur de la semaine

Mes Météores
Combats politiques au long cours
Christiane Taubira
(Flammarion, 553 pages)

Une foule dense d’admirateurs et d’admiratrices se pressait le 24 mars sur le stand Flammarion du Salon du Livre de Paris, attendant de pouvoir faire dédicacer leurs exemplaires du dernier ouvrage de Christiane Taubira, l’actuelle Garde des Sceaux dont la notoriété est au zénith, depuis sa campagne courageuse en faveur du « mariage pour tous ». Un livre de mémoires, publié avant que ne lui soit proposé le portefeuille de ce ministère, en passe de devenir un phénomène de librairie. Retour sur une trajectoire exemplaire…
… Rien ne prédestinait la petite Christiane, née en 1952 à Cayenne et issue d’une famille modeste, à devenir l’une des rares femmes à se présenter à une élection présidentielle.
Elle nous révèle pourtant, dans une langue inventive, d’une richesse lexicale peu commune, de quelle manière son éducation politique s’est forgée au feu de l’adversité ; nous explique les aspirations qui furent les siennes, nous raconte son irrésistible ascension dans le paysage local, son accession, —au départ presque malgré elle, à la députation ; puis l’expérience accumulée au cours de ses différents mandats nationaux et européens.
Elle ne nous cache ni les défaites, ni les victoires et l’on mesure ce que lui a coûté son engagement sur le plan personnel : une certaine solitude parfois, un divorce, quelques tenaces douleurs physiques, le sentiment aigu du temps qui passe sans avoir accompli tout ce que l’on s’était promis… 

 
Cet engagement, elle nous en suggère aussi la grandeur lorsqu’elle nous dévoile ce que la volonté d’une femme déterminée peut obtenir, qu’il s’agisse de faire reconnaître la traite négrière et l’esclavage comme un crime contre l’humanité, de contraindre l’Etat à rendre des parcelles de son domaine foncier, ou, plus prosaïquement, à rembourser les médicaments antipaludéens...
Des choix qui en disent long sur cette élue du peuple lorsqu’elle nous confie ses luttes contre la bêtise et la corruption qu’elle dut combattre en Guyane. Mais aussi quand elle nous introduit, spectateurs privilégiés, dans les coulisses de la campagne électorale présidentielle qu’elle mena en 2002. Dans cette chronique édifiante, elle se révèle une mémorialiste lucide et talentueuse. Sa savoureuse galerie de portraits des principaux acteurs politiques de l’époque, se dévore. Elle fait également le point sur les reproches qui lui furent adressés au lendemain de la défaite de « la Gauche », le 21 avril 2002, par certaines personnes de l’entourage de Lionel Jospin qui ne manquèrent pas de lui attribuer la responsabilité de l’échec du parti socialiste à l’élection présidentielle.
Cette femme debout ne connaît pas le renoncement. Elle en fait l’aveu : « Je porte en moi une sommation intime et irréductible, dire ce qui doit l’être, quoi qu’il en coûte. » Cette maxime résume à elle seule l’esprit de ce livre qui plus qu’un recueil de souvenirs est aussi un testament politique. Une œuvre intergénérationnelle, susceptible de passionner le plus grand nombre.
Une fois sa lecture achevée, ce livre ne vous quittera pas, car le beau portrait de femme qu’il dresse vous rendra Christiane Taubira plus proche. Vous ne l’écouterez, ni ne la regarderez plus jamais de la même manière. Elle vous sera plus intime. D’ailleurs vous vous rendrez compte que vous avez tourné les pages, comme l’on tourne celles d’un roman dont on veut connaître la fin, tout en souhaitant prolonger le plus possible son bonheur de lecture. Cette magie-là est d’un écrivain.
Christian Séranot (écrivain et éditeur)

 

Lire Mes Météores pourquoi ?
Afin de tout savoir ou presque sur la trajectoire enchantée racontée avec bonheur, (gravité, profondeur et humour), de l’une des personnalités politiques françaises les plus populaires er éminentes de ces vingt dernières années : née à Cayenne en 1952, diplômée d’économie et d’agro-alimentaire, devenue présidente du parti Walwari (« éventail » en amérindien), puis députée européenne du 19 juillet 1994 au 19 juillet 1999, députée de la première circonscription de Guyane depuis le 2 avril 1993, auteure de la loi visant à reconnaître la traite négrière et l’esclavage comme crime contre l’humanité, conseillère régionale depuis le 22 mars 2010 et candidate PRG à l’élection présidentielle de 2002 dont elle relate aussi la chronique avec humanisme et lucidité.  
Pour la formidable bande originale qui pourrait être vendue avec ce livre, tant il est truffé de références musicales, chères au cœur de l’auteur. Un livre attendu par tous ceux qui considéraient que Christiane Taubira était déjà entrée dans l’Histoire avant d’être nommée ministre de la Justice, de par la nature des lois qu’elle avait déjà contribué à faire voter et ils sont nombreux.

Extraits choisis

Prologue
« On perd son innocence par inadvertance. Le temps n’y est pour rien. Il peut faire grand soleil comme un lundi d’octobre. Il peut faire maussade comme un vendredi saint. Il peut même faire joie comme à mardi gras. Rien qui soit à la fois plus indifférent et plus personnel que le temps. Une petite fille regarde sa Maman. Ce n’est pas un roseau qui plie. Ni un chêne que le vent déracine. En Amazonie, le premier façonne des flûtes, le second ne réside point. C’est un wapa qui craque. Il fait un bruit de fin du monde. Le soleil a détalé. A hauteur de petite fille, cette femme imputrescible paraissait indestructible. Et voilà sa parole qui déraisonne. Dépression, disent-ils. Quelques semaines et elle revient toute neuve. Les médicaments n’y ont aucun mérite. Pas plus que les remèdes créoles, les rituels et incantations. Maman a décidé seule de revenir prendre soin de ses enfants. C’est l’intuition que j’en ai alors, c’est la conviction que je conserve. En même temps qu’un insaisissable sentiment de friabilité. Et un devoir d’invincibilité. »

« Parmi les portes d’entrée dans le monde, il y a celle du statut social. Plus il est élevé, plus le monde vous est complaisant et conciliant. Il vous passerait même d’être femme et noire. Effrontée de surcroît. J’ai grandi dans la pauvreté. Pas la misère, qui vous donne une espèce de peur organique de manquer, non la pauvreté, la frugalité, avec sa culture, son équanimité, sa dignité, sa propreté, sa générosité paradoxale, sa fierté, son humilité, pas la modestie, l’humilité, sa joie de vivre.
Femme, noire, pauvre, quel fabuleux capital ! Tous les défis à relever. Une vie d’épuisement en promesse. »  

Chapitre 2 : Malraux (1958)
« Monsieur Malraux sera ministre de la culture. La culture, vous savez, explique l’animateur c’est aussi bien la littérature, la peinture, le cinéma, le théâtre, les musées, l’opéra, la revue et les french cancans, et même le cirque, les mimes et les ballets, le travail de monsieur Malraux, sera de s’occuper de tout cela. Quelle chance, je me dis ! »

Chapitre  5 : Maelstrom (1982-1992)
« Cette chronique, qui a duré un an et demi, était diffusée sur RFO radio tous les matins puis bientôt rediffusée le soir du fait de son succès d’audience. J’y rendais simplement intelligibles les enjeux du développement et j’ouvrais des perspectives par l’agriculture et la pêche en présentant les choix possibles et leurs conséquences ; le développement comment, pour qui, pour quoi. Et le citoyen le moins érudit sur ces sujets comprenait que les choix de politique économique ne sont pas indifférents, et s’il est facile de faire rêver avec de grands projets pour les multinationales ou les chasseurs de primes, ces projets sont souvent les moins durables, les moins recruteurs, les plus budgétivores, les moins redistributeurs, les plus polluants. »

Chapitre 5 : Maelstrom (1982-1992)
« Et ces techniques de pêche collective, la nivrée empruntée aux Amérindiens, la barrière chinoise reçue des Annamites ; et la fabrication de ces canots creusés à plusieurs mains dans le tronc d’un grignon franc, transmis par les Bushinengue ; et ce piquage artisanal du riz que nous tenons des Javanais qui venaient non de Java mais du Suriname, depuis la lointaine colonie néerlandaise de Sumatra… fallait-il peut-être quelques dispositions au dialogue, une discipline commune, une relation solide pour recueillir ces savoirs, les exercer, les préserver, les  féconder… »


Chapitre 8 : Man Ces (1964)
« Mais pour te dire, si tu veux vraiment qu’un bois il chante pour toi, pour toi seul comme ton horoscope, qu’il accepte ta main derrière la scie, tu le prends tout vert, tu le laisses sécher et se corer derrière ta maison pendant le temps qu’il faut pour que le carnaval recommence à empiéter sur le carême, ça fait cinq ou six ans, là tu commences à lui donner des courbes, des rondeurs, des pointes, des traits, des angles, des moulures, des ajours, il chante pour toi sans faire radin. Ebéniste, ce n’est pas un métier pour ignorants. »

Chapitre 11 : Contrée périlleuse (2002)
« Dans ce pays de France où la couleur de la peau a la vertu mystérieuse et déconcertante de rendre invisible, ce fut une belle prouesse que d’être une saison sur l’estrade, à être vue…et un petit peu entendue.
On pense à cette jeunesse qui soudain se redresse, plus sûre d’elle-même, elle se tient plus droite, mesure son potentiel, aperçoit ses talents, découvre ses ressources, cette jeunesse pour laquelle on vient d’abattre un mur, un de plus.
On est seule, avec ses élancements sûrs et ses joies incrédules… comme une bête blessée on lèche ses écorchures… puis on s’élance vers d’autres conquêtes. »

Epilogue
« Ces expériences provinrent pour la plupart d’évènements qui ont percuté ma vie comme des météores. »

Météores / Table des matières commentée par l’auteure :

Cet ouvrage est composé d’un  prologue, de quatorze chapitres et d’un épilogue.

Prologue
I/ Chapitre 1 : Angela… Allende (1969-1980)
« Ce chapitre commence par les phrases suivantes : Je suis devenue Noire à Paris. C’était en 2005. Dans ce chapitre sont relatés mes années lycée (1969-1971), mes premiers contacts avec la question de couleur à travers les luttes afro-américaines, puis mes premières années estudiantines, la mobilisation autour des causes chilienne, argentine, et ma découverte du monde depuis Paris. La toute première phrase fait écho avec le dernier chapitre qui traite de l’année 2005 et des débats autour des lois de 2001 et 2005 (esclavage et aspects positifs de la colonisation). Lors de la rédaction de ce chapitre, j’ai réalisé que c’est durant ces années-là que j’ai jeté les bases de mon éthique personnelle, que je me suis imposé des interdits personnels, que mes loyautés se sont constituées, que se sont installées ma liberté de conscience et la conscience de ma liberté… » 

II/ Chapitre 2 : Malraux (1958)
« J’y raconte la visite d’André Malraux en 1958 en Guyane pour convaincre les partis de gauche de voter oui au referendum sur la constitution de 1958. L’ambiance est à l’agitation populaire avec des manifestations à la clef. Il prépare aux certitudes que j’évoque dans le dernier chapitre… »

III/ Chapitre 3 : Edouard (fin des années 1950-début des années 1960)
« Souvenir d’enfance à travers l’engagement militaire de mon frère aîné. »

IV/ Chapitre 4 : Catayée (1962)
« Mobilisation populaire contre l’installation de la Légion étrangère en amont de l’implantation de la base spatiale (déménagement de la base française du désert d’Hammaguir suite aux accords d’Evian.) »

V/ Chapitre 5 : Maelstrom (1982-1992)
« En 1992, un mouvement de grève rassemble toutes les forces sociales, il est opiné. Il est inopiné. Effervescence culturelle sur la décennie 1982-1992 et références historiques d’éclairage… »

VI/ Chapitre 6 : Zébrure (1993)
« L’ambiance ébouriffée autour de ma candidature aux élections législatives ; cette candidature est sollicitée par des initiatives populaires. Mouvement de masse contre la classe politique. »

VII/ Chapitre 7 : Zones sombres (1996)
« Dernières grandes grèves lycéennes. Comment mon fils s’y trouve impliqué et devient une cible pour m’atteindre. »

VIII/ Chapitre 8 : Man Ces (1964)
« Quelques personnages marquants de mon enfance, un incident déterminant à l’école des sœurs de saint-Joseph de Cluny m’ayant révélée à moi-même. »

IX/ Chapitre 9 : Embardée (1998)
« Entrecroisements d’un conflit politique et d’une rupture conjugale. »

X/ Chapitre 10 : Abysse I (1998-2001)
XI/ Chapitre 11 : Abysse II
XII/ Chapitre 12 : Abysse III
« Le combat législatif pour la reconnaissance de la traite et de l’esclavage comme crime contre l’humanité. Un chapitre scindé en trois parties… »

XI/ Chapitre 13 : Contrée périlleuse (2002)
« Chronique de ma candidature et de ma campagne pour l’élection présidentielle. »

XII/ Chapitre 14 : Insurrections (2005)
« Un chapitre qui fait écho au premier et au second et d’une manière générale, à tous ceux qui précèdent. Les débats autour de la loi de 2005 stipulant l’enseignement des bienfaits de la colonisation, les émeutes de banlieues, la question d’être « étranger chez soi ». J’y sais définitivement qu’il ne faut laisser aucune chance à l’enclavement ethnique. »

Epilogue
Précisions de l’auteure : « Des références musicales ponctuent, sobrement, les souvenirs et les faits, dans la seule mesure où elles ont accompagné soit les évènements soit, plus souvent, mon éveil ou mes recours, ou qu’elles me soient venues à l’esprit au moment où j’écrivais… Elles me sont familières. »

Propos recueillis par CS

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