Culture

mercredi, 27 février 2013 17:23

Gauguin. Le méconnu: le mystique (première partie)

La première fois ou j’ai été confronté à Paul Gauguin dans mon monde gamin de l’Océanie, il n’évoquait que ce nom qui trônait depuis peu sur le frontispice de l’Ecole Centrale à Papeete, rebaptisée Lycée Paul Gauguin.
Cette nouvelle notoriété dépassait formellement celle du Général de gaulle dont la visite à Papeete en 1958 à la lointaine île de Tahiti dans ces possessions des Etablissements Français de l’Océanie allait, on le comprendra plus tard, annoncer les essais nucléaires français dans le Pacifique.

Mon savoir n’allait pas plus loin. Je ne savais pas ce qu’était un lycée ni ce que ce nom de Gauguin manifesterait pour les écoliers, à l’instar de l’Ecole protestante des garçons qui était, lui,  entièrement dédié aux enfants des protestant comme moi.
Gauguin, mystèrieux blanc dont la tranche de vie aux îles Marquises reste encore pour le moins anecdotique pour nous Polynésiens.
Je vous propose ma vision de Gauguin: un pauvre hère que consolait, à la fin de sa vie, le seul ami qui lui restait: Tioka, un Marquisien.


Gauguin, le mystique:

La proximité du monde des morts dans le périmètre immédiat des habitations ne laisse aucun doute sur les rapports entre les Tahitiens et la dimension de l´invisible, auquel Gauguin ajoutera sa touche de mysticisme. Sitôt la nuit, l´espace cognitif est enhavi par les tupapaus. Ceux-ci côtoient assidument de Gauguin , se jouent de de sa perception de Blanc

Irrémédiablement, ses œuvres s´empêtrent  de ses interprétations du Malin, un concept qu´il ne trouve pas en Océanie, mais qu´à cela ne tienne, il choisit des allusions, des allégories inspirées  de la Bible.
 Elles ramènent vers La Tentation, la tentation toujours présente.. Une fille nue qui se voile le pubis semble défier un Varua Ino qui attend son heure pour déflorer la pucelle- Un évènement qui introduit une part d´immoralité délibérément provocatrice dans son regard.

Aita parari Tamari Vahine Judith, une annale de ”La vierge Judith n´a pas été déflorée ” pas encore déflorée , s´empresserait-on de rajouter, hâle le fantasme de pédophile d´un esprit torturé par les besoins sexuels du mâle toujours en manque, au sein d´une société qui vaut pour Gauguin un vrai calvaire du bas ventre. C´est en fait un délire bâti autour du corps juvénile nu de Anna la Javanaise, une vagabonde qui deviendra sa maîtresse.

Et lorsqu´il ne toise pas la société avec ses femmes nues, il sublîme la nudité exotique, provocateur, en posant des ” mahu ” les transexuels de la société tahitienne encore aujourd´hui  en activité sous le nom de ” raerae ”, un mot issu de l´argot américain qui signifie vagabond, SDF.

Tandis que les raerae de Papeete que Gauguin dès lors peindra comme un leitmotiv obligé animent ses nuits délurées, il transfigure cette faune d´hommes éfféminés à la chevelure remontée à mi-épaule qui offrent plus leurs charmes que les vendant, en ce coin habituel, place de la Mutualité, près du quai de Papeete, à deux pas du marché où il couchera sa célèbre toile  tahitienne: Te Matete, le Marché.
Dans un menu dessiné à la hâte sur un carton, il se joue des mots, proclame intentionnellement des plats qui seront servis sans doute par des mahus, coulé dans le lait de coco. Tout le monde comprenait l´allusion.

Les filles impubères de Tahiti vivent presque déshabillées dans ce district lointain de Mataiea, mais prêtes déjà au moindre déchirement ” parari ” accompli par l´homme. Elles sont initiées au sexe par le ” motoro ”, rituel du consentement qui se déroule dès le coucher du soleil auquel se livrent jeunes garçons à peine pubères qu´initient.

C´est  la tradition du passage de la génération de l´enfant vers celle  de l´adulte. On vit l´acte sexuel , mais il est décliné comme ” un jeu ”, le ” haùti ” qui sublîme l´hédonisme océanien dont Bougainville  fabrique un mythe.
Remplacé depuis l´invasion par les militaires français du CEP par un laconique ” draguer ”, c´est le rideau qui est tiré sur un état d´esprit.

Feint-il d´ignorer le pudibonderies imposées par la religion? La société tahitienne abonde de coucheries de grands-pères et d´oncles encore plein de vigueur auquels sont offertes tout naturellement des vierges en vertu du droit de cuissage, tradition des îles. Gauguin en premier jouit d´une Tehaamana qu´il connaît bibliquement alors qu´elle a 13 ans. D´ailleurs les rôles entre hommes sont déclinés tout simplement : le père, l´oncle, le grand-père, l´arrière grand-père, le voisin âgé, se disent en tahitien : Metua, le père.

On comprend mieux alors le sens mystérieux de son tableau, Merahi metua no Tehamaana, que d´aucuns considérent comme une traduction linéaire de ” Tehaamana a beaucoup de parents ” ou ” l´ange, père de Tehaamana ”, une sorte d’hommage magistral  à l´adolescente qu´il prit pour compagne.

Gauguin suit les rites tacites perpétrés tout naturellement partout en Océanie. Sa compagne partagera impartialement l´intimité d´autres hommes, puisque c´est la règle, de nombreux hommes qui seront tous des ” pères ” pour elle, les missionaires de droit du motoro.

La semaine prochaine, je reviendrai sur les rapports des civilisations océaniennes avant l’arrivée des missionaires.

A la semaine prochaine.

Michel Yiengkow. Journaliste, ancien correspondant du journal Le Monde installé au Danemark.

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