Outremerlemag : Votre musique est plutôt intimiste, vous parlez par exemple du gwo-ka que vous écoutiez petit dans la nuit noire ?
Jacques Scwartz-Bart : Tout art doit partir d’une intimité, d’une confrontation à sa propre solitude ou à ce que qui nous lie avec autrui. Toute musique part du silence, toute vision doit partir de l’obscurité. Cette intimité dirige mes pas et créé ce besoin que j’ai d’aller vers l’autre. Probablement que si je n’avais pas eu cet autisme à ma naissance je n’aurais pas choisi la musique qui est en fait le moyen de communiquer avec les autres sans presque jamais leur parler.
Outremerlemag : C’est assez paradoxal, parce que vous parlez d’ombres et de lumières. Qu’est-ce qui prédomine ?
Jacques Schwartz-Bart : En fait parmi les langages non verbaux il y a ce que j’appelle la charge mystique. Toute musique qui ne véhicule pas du mystique ne me passionne pas, ne m’émeut pas même si elle peut m’intéresser. C’est pourquoi je fais le choix de musiques connectées à ma plus tendre enfance. C’est à ce stade de perception initiale finalement crue que se dépose les émotions les plus fortes. A cet âge là moi j’ai reçu par ma mère les chants vaudous, le gwo-ka et le jazz que l’on écoutait à la maison. Et c’est à ce bassin premier que je me réfère pour mon inspiration.
Outremerlemag : Pourquoi ta mère chantait t’elle spécifiquement des chants vaudous, ça aurait pu être des ballades créoles ou des biguines ?
Jacques Schwartz-Bart : En fait, elle a reçu en cadeau lorsqu’elle faisait ses classes à Paris, un disque de chorales de chants vaudous et elle a compris qu’il y avait une autre dimension mélodique de l’âme caraïbe. Il y a dans ces chants un degré de sophistication extrême que l’on ne retrouve dans aucune autre chanson populaire. Ce rapport avec le silence et l’utilisation de l’espace entre les phrases en font quelque chose d’unique qui nous connecte à des sensations extrêmement profondes.
Outremerlemag : Quel est votre rapport physique à Haïti au-delà de la voix de votre mère ?
Jacques Schwartz-Bart : En fait on a toujours été entouré d’Haïtiens. Maman avait créé une association d’Antillais lorsque nous habitions la Suisse et parmi ceux-ci beaucoup d’Haïtiens. Et depuis 20 ans, j’habite la « troisième capitale d’Haïti, New-York. D’ailleurs dans cette grande cité, j’ai pu creuser plus intensément le terreau des chants vaudous. J’en ai découvert beaucoup auxquels nous n’avions pas accès… en écoutant des enregistrements que les amateurs de chants vaudous se passent les uns les autres. J’ai bâti ainsi ma bibliothèque personnelle, ma connaissance et mon appréciation dans la Grande Pomme.
Outremerlemag : A quel moment alors pensez-vous véritablement à cet album Jazz Racine Haïti ?
Jacques Schwarz-Bart : Ah, c’est une longue histoire. Lorsque j’ai écrit l’album Soné Ka la, j’avais déjà songé à ce Jazz Racine Haïti mais je ne pensais pas en avoir la légitimité en tant que non Haïtien. Mais j’ai eu l’occasion de jouer avec des prêtres Nadwa, cette religion née au Maroc et dont les souches religieuses remontent du vaudou. L’expérience m’a transporté loin et je ne percevais plus la musique de la même façon. J’étais désormais connecté avec le vaudou et me suis senti porteur légitime du projet tel qu’il est. Nous étions ainsi tous de la Caraïbe liés au vaudou, c’est surtout ce que j’ai réalisé. Le signe du vaudou était désormais omniprésent dans ma vie. J’ai commencé dès lors à reconnaitre les signes du vaudou dans tout. Le sermon par exemple des messes des Noirs américains, la façon de recevoir, de parler en langue par exemple. Le chanté blues est du vaudou.
Outremerlemag : Cela a-t’il changé beaucoup de votre personnalité ?
Jacques Schwartz-Bart : Véritablement oui ! Cela m’a donné de l’assurance, du bien –être. J’ai une meilleure énergie et je suis capable de surmonter des choses bien mieux qu’avant. Cela a boosté ma manière de jouer de mon instrument, ma capacité thoracique est plus élevée.
Outremerlemag : Quels sont ceux qui sont au fait de ce dernier opus ?
Jacques Schwartz-Bart : Deux hommes ont accompagné ce projet. Il y a d’abord Gaston Jean-Baptiste dit Bonga. C’est d’abord lui que je connaissais depuis longtemps. On a eu l’occasion souvent d’échanger sur des scènes différentes à New-York et de parler de vaudou et de jazz. Je savais que ce projet passerait obligatoirement par lui, et ma rencontre avec Erol Josué, artiste et prêtre vaudou me confirmait une assise vocale. La puissance du vaudou avec le Jazz devenait à mes yeux une évidence. J’ai donc pris rendez-vous avec ces deux talentueux artistes afin de choisir des chants qui pourraient faire partie de l’album. II y a eut un signe encourageant parce que sans leur présenter ma première sélection, je constatais que tous leurs chants préférés étaient sur ma liste. Je me suis attachée dès leurs validations à l’écriture jazzistique.

Outremerlemag : Que dire de ce Jazz Racine Haïti ?
Jacques Schwartz-Bart : Dans cet opus, il y a quatre originaux sans voix, quatre morceaux de chants vaudou combinés aux originaux, et deux morceaux d’arrangements de chants vaudou. Tout cela inspiré par les énergies de la culture haïtienne vaudou.
Outremerlemag : Quel est l’impact du chant vaudou (malgré tout sacré) sur le public occidental ?
Jacques Schwartz-Bart : Je ne savais pas quelle serait la perception des gens par rapport à ma vision. Cependant j’ai constaté que la plupart de mon public comprenait qu’il s’agissait avant tout de partager et de guérir ensemble. Dans beaucoup de chants tant en créole haïtien, qu’en yoruba ou en portugais on parle de guérison par la musique, par le son, par l’esprit et tout cela est très essentiel. Ceux qui participent aux concerts de Jazz Racine semblent ressentir cet effet de thérapie. Moi je me soigne en la jouant et je tente de la partager sincèrement ainsi.
Outremerlemag : Plutôt qu’à un musicien j’ai l’impression de parler à un « porteur de parole », qu’en pensez-vous ?
Jacques Schwartz-Bart : C’est un peu comme ça que Bonga m’avait perçu. Chaque fois il m’évoque la fois où je suis arrivé un jour en scène avec un signe de prêtre vaudou, que j’avais pourtant fait inconsciemment mais cela témoignant encore que cela m’habitait depuis toujours.
Outremerlemag : Quel est le projet que portent actuellement votre mère, l’écrivain Simone Schwartz-Bart et vous ?
Jacques Schwartz-Bart : Parmi les nombreux projets que nous avons ensemble, il y a celui plus connu que nous avons déjà présenté en scène. C’est celui des contes créoles mis en musique et qu’elle interprète merveilleusement bien. Nous avons beaucoup avancé et nous devons faire de prochaines prestations, j’attends simplement qu’elle sorte son livre à la rentrée prochaine et nous retournerons ensuite sur la route.

Copyright : Jacques Schwartz-Bart - Simone & Jacques Schwart-Bart à Fonds Saint-Jacques

Jacques Scwartz-Bart en musique
Soné Ka la : http://youtu.be/ts2aRPirPQU
Jazz Racine Haïti : http://youtu.be/GHTYEWo30uQ




