Économie

jeudi, 21 mars 2013 04:36

TSA en Outre-mer : la grande arlésienne

A l’heure où le printemps du cinéma bat son plein, et à quelques mois du festival de Cannes, il semble important de faire le point sur la situation ubuesque du financement du cinéma en Outre-mer.


Instituée en 1948 en France métropolitaine, la Taxe Spéciale Additionnelle (TSA) est une taxe de 10,72 % prélevée sur le prix de chaque billet de cinéma. Elle est ensuite reversée tous les mois par les exploitants de salles au Centre National de la Cinématographie (CNC), ce qui les oblige à déclarer leur recette.

 

Cette TSA alimente un fond de soutien au cinéma et bénéficie :

  • Aux exploitants : aides à l'exploitation automatiques et sélectives pour la modernisation, la création des salles de cinéma, aides à la programmation de films d’Art et d’essai.
  • Aux producteurs et distributeurs : aides automatiques à la production et à la distribution.

En Outre-mer, ce dispositif n’est pas applicable. D’abord parce qu’à l’origine, le code de l'industrie cinématographique créé en 1956 ne s’étendait pas aux départements d’Outre-mer, ensuite parce que malgré l’application de ce code en Outre-mer à compter de 1993, la TSA en a toujours été exclue, tout comme le visa d’exploitation cinématographique (autorisation préalable de diffusion délivrée par le ministre de la culture afin de protéger le spectateur). En Outre-mer, allez donc savoir pourquoi, le législateur considère que le spectateur n’a pas besoin d’être protégé.
Autre différence notoire : contrairement à la métropole où distributeurs, producteurs et ayants droit sont rémunérés au prorata des recettes générées lors de la projection d’un film, en Outre-mer les exploitants n’appliquent aucune redistribution des recettes.

Alors que la proposition relative à l’application graduelle de la TSA en Outre-mer était sur le point d’être adoptée en 2010, la commission mixte paritaire l’a soudainement retirée dans le cadre d’une Loi de Finance Rectificative, provoquant l’ire de l’ARP (Société civile des Auteurs, Réalisateurs Producteurs).

Pour comprendre les raisons de ce revirement, il faut s’intéresser à la situation de monopole que connaissent les Antilles et la Guyane dans l’exploitation des films. Les sociétés détenues par la famille Elizé (Filmdis et Cinésogar) y concentrent les droits d’exploitation. C’est pourquoi les rares exploitants indépendants doivent passer par ces sociétés pour se procurer les copies des œuvres qu’ils souhaitent programmer.

Dans une décision rendue le 15 septembre 2004, le Conseil de la Concurrence a été on ne peut plus clair : « est abusive la clause par laquelle la Société Filmdis interdit aux exploitants de salles de traiter avec un producteur, un distributeur ou un autre programmateur sans l’accord préalable de Filmdis ».

Et cette même décision de conclure que le contrôle exercé par le CNC en France métropolitaine étant inapplicable aux Antilles, notamment sur la billetterie, « il est, de ce fait, impossible d’avoir un état précis du nombre d’entrées par salles et par films dans les Antilles; il en résulte une absence de régulation du secteur tout à fait dérogatoire au droit commun et une opacité des secteurs de la distribution de films et de l’exploitation des salles de cinéma ».

De là à soupçonner l’existence d’un lobby, la tentation est grande. Il faut pour le moins en reconnaître l’efficacité mais la chose est trop sérieuse pour qu’on puisse en plaisanter. Abus de position dominante, diversification limitée de l’offre, peu de VOST…un constat alarmant qui fait reculer la culture dans nos départements sous des prétextes aussi fantaisistes que « des frais de transport de copies plus élevés que pour les salles de métropole » ce qui fait sourire, à l’heure de la dématérialisation et d’Internet.

Cette situation est intolérable tant en droit interne qu’européen. D’abord parce qu’aucune circonstance ne justifie un déséquilibre fiscal entre l’exploitant de cinéma de France métropolitaine et celui de la France d’Outre-mer. Ensuite parce que l'article 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, « interdit aux entreprises qui occupent une position dominante sur leur marché d'en abuser en créant des distorsions de concurrence affectant les échanges intracommunautaires ».

Faudra-t-il attendre une condamnation de la France par les instances européennes pour que le droit soit appliqué? Est-il besoin de rappeler que Mme Christiane Taubira alors députée, s’était émue lors d’une question orale à l’Assemblée Nationale le 24 janvier 2012 de l’inapplication de la TSA en Outre-mer ? Aujourd’hui Ministre de la Justice elle n’est que mieux placée pour demander son application à ses homologues de la Culture et des Outre-mer.

N’en déplaisent aux partisans d’une fiscalité à la carte, la TSA doit être un régime obligatoire pour le cinéma français dans son ensemble parce qu’elle a une réelle utilité publique. Le temps des études d’impact est passé, à quand celui du recouvrement ?

Partenaires

CANGT NORD GRANDE TERRE
CAP EXCELLENCE

Derniers articles

Les + lus

Rejoignez-nous sur Facebook

Recevez les actus par email

Recevez par mail les dernières infos publiées sur OUTREMER LE MAG'

Rechercher