Outremerlemag : Que veut dire « chambardée » ?
Dominique Lancastre : Pour la petite histoire le titre de départ de ce roman est Cyclone ou les tribulations d’Héléna. Mais, après relecture, j’ai trouvé que ce titre était trop long. J’ai donc cherché un titre court et qui me convienne tout autant. Cette femme est assaillie de toutes parts et plus elle essaye de s’en sortir plus elle « récolte » d’autres problèmes. Nikki Elisé artiste peintre guadeloupéenne a bien saisi le personnage de ce roman et elle a réalisé une toile assez surprenante qui représente Helena : c’est une femme moralement et physiquement blessée. En créole on dirait que sa vie est « chouboulée » donc chambardée ou bouleversée. En anglais on dirait « shamble » qui se traduit par chaos, confusion en français.
Outremerlemag : Pourquoi avoir situé l’action de votre roman pendant « les évènements » de la Soufrière, comme le disent les guadeloupéens ?
Dominique Lancastre : C’est un événement qui me plaît, une période de grand « chambardement ». Comme vous le voyez je tiens à mon verbe : « chambarder ». C’est vrai que c’est une fiction, dont j’ai inventé les personnages mais je les ai placés dans un contexte historique. Je dirais que la clef de voûte de cette île est « la Grande Dame » comme on l’appelle communément. Hawaï a ses volcans et ses plages. Nous avons aussi notre volcan et nos plages. Economiquement, politiquement et socialement cette éruption a eu de très fortes répercussions sur la population et en particulier en Basse-Terre. J’ai voulu faire connaître à ma façon ces répercussions à travers la littérature.
Outremerlemag : Vous citez Gisèle Pineau en guise d’introduction, pourquoi parler d’exil ?
Dominique Lancastre : J’adore l'écriture de Gisèle Pineau même si je ne l’ai jamais rencontrée. Je la trouve un peu énigmatique et cela me plaît. Mais, la plupart de ses romans sont dans ma bibliothèque. (En fait, je n’ai pas de bibliothèque, j’ai des livres partout dans l’appartement.) (Rires). J’ai décidé de lire L’exil selon Julia, j’ai surtout été attiré par le mot « exil ». Je suis moi-même un exilé, toujours entre deux avions ou bien sur une autre terre. Et, puis je suis tombé sur cette phrase :
« Dans chaque départ, on abandonne toujours un peu de soi-même, des poussières de rêves. Ils laissent des vides au cœur, pareils à ces taches claires que déposent aux murs les tableaux décrochés » ?(L’exil selon Julia, Gisèle Pineau)
Je l’ai adopté car j’ai adoré et j’adore toujours cette phrase. Elle résume bien les grands départs. Contrairement aux noirs américains qui sont sur un seul et même continent. L’Antillais est un être en « vadrouille ». C’est un insulaire rattaché à un continent. Il est Français. C’est ce qui est inscrit sur sa carte d’identité mais lorsqu’il arrive en France, il devient un exilé. On rivalise avec le terme exact à donner à ces gens qui flottent entre la Caraïbe et la France. Il y a un titre d’un ouvrage qui résume bien la question « Lettre ouverte à mes compatriotes de l’Hexagone » par Victorin Lurel. Mais, je lis et cela ne regarde que moi « Lettre ouverte à nos « exilés » de l’Hexagone ».
Selon le site Wikipédia : L’exil est l'état (social, psychologique, politique...) d'une personne, l'exilé, qui, volontairement ou non, a quitté sa patrie sous la contrainte d'un bannissement ou d'une déportation, l'impossibilité de survivre ou la menace d'une persécution, et de ce fait vit dans un pays étranger avec ce que cela implique de contraintes sociales spécifiques (langue, insertion, identité...) et de sentiment d'éloignement de la patrie (nostalgie, déracinement...)
Outremerlemag : Quand on quitte la Guadeloupe à 18 ans comme vous, quel regard jette-t-on sur son île ?
Dominique Lancastre : Tout le monde sait que partir est toujours un déchirement. On laisse toujours quelqu’un derrière et dans le cas des Antillais, c’est toute la famille qu’on laisse. L’Ile est petite, les relations familiales étroites et les rapports qu’on a avec la famille aux Antilles sont tout à fait différents de ce qui existe en Métropole. De l’étranger, et ce qui est normal, je crois, on cherche à garder ses racines. Ce n’est pas pour rien que le groupe Akiyo a fait déplacer plus de 4000 personnes lors d'un concert à Paris. L’attachement est fort lorsqu’on quitte le pays. Mais, de l’extérieur, on perçoit aussi beaucoup d’erreurs. L’abandon des valeurs traditionnelles, au profit d’une américanisation ou bien européanisation saute au visage. On garde l’image de l’ile comme on l’a quitté, mais on n’arrête pas le progrès, les choses changent dans toutes les sociétés, en bien comme en mal. Je n'ai pas peur du changement il faut changer nos habitudes, notre façon de percevoir le monde sans nous laisser dissoudre dans une autre culture qui n'est pas la notre.
Outremerlemag : Quel conseil donneriez-vous à un jeune qui veut quitter les DOM-TOM aujourd’hui ?
Dominique Lancastre : L’Europe est en crise, le monde est en crise. La situation qu’a connu nos parents dans les années 60, 70 n’est plus la même. Le chômage est important en France et en Europe en général. Je crois qu’il est préférable de rester chez soi. La France ou bien l’Angleterre que je connais bien, ne sont pas des pays faciles à vivre, particulièrement à l’heure actuelle. S’il y a possibilité d’étudier aux Antilles, il est préférable de rester. Nous avons de très bons enseignants. Nous avons aussi des atouts régionaux. Bien sûr il est nécessaire de les développer, et surtout de vouloir les développer de façon utile à la population locale.
Outremerlemag : Quand on voyage autant que vous, pourquoi se cantonner à situer l’action de ses romans aux Antilles ?
Dominique Lancastre : C’est une erreur de penser cela, car les thèmes abordés dans ces romans sont des thèmes récurrents. Cela a déjà été fait, mais c’est la façon de les aborder qui fait la différence. De plus ce sont des thèmes universels. Les îles sont des petits laboratoires. Ils se passent beaucoup de choses sauf que ces choses échappent à la population. Les événements de 2009 avec Domota sont un bon exemple. En Angleterre on m’a demandé ce qui nous arrivait. Pourtant, ce sont des îles tranquilles. On découvrit avec stupeur que ce n’est pas le paradis. Mais 2009 n’était que l’amorce. Quelques temps après les espagnols, les grecs sont descendus dans la rue et je crois qu’ils vont y redescendre car rien n’a changé et cela empire.
Outremerlemag : Quelle expérience tirez-vous de votre séjour à Londres ?
Dominique Lancastre : Je me suis adapté. Je n'aime pas le terme d'intégration, qui me dérange fortement. J’ai fait une partie de mes études en Angleterre et j’ai enseigné dans le nord dans le Yorkshire. Je me suis parfois demandé « ce que j’étais venu chercher là ». Une autre fois, il a neigé jusqu'à ne plus pouvoir ouvrir la porte d’entrée. Les maisons anglaises sont très mal chauffées. La cheminée ne fonctionnait pas. J’ai passé tout un weekend à boire du Earl Grey en regardant la BBC et en bouchant tous les petits coins de la maison par où le froid s’infiltrait. Les enfants du village balançaient des boulettes de boue sur ma vitre. Ils avaient décidé d’embêter le petit noir. Jusqu’à ce que le petit noir se fasse respecter et ils ne sont plus jamais revenus. L’unique boucherie, l’unique boulanger et l’unique magasin ont fini par me connaître et par m’apprécier. Je me suis promené dans les Moors j’ai visité le site du Haut du Hurle vent, écrit pat les sœurs Brontës. J’ai visité les remparts de York, Leeds, Bradford et ses nombreux Pakistanais. Tout cela m’a été profitable et j’en garde un très bon souvenir. Il faut visiter le monde si on peut mais ne jamais oublier ses racines. J'accorde beaucoup d'importance à la langue créole. Je la transporte avec moi partout où je vais. De temps en temps, cela fait du bien de lancer quelques phrases en créole dans une conversation.
Outremerlemag : D’ailleurs l’antillais lambda a plutôt tendance à aller s’installer en France Hexagonale, pourquoi avoir choisi Londres ?
Dominique Lancastre : Londres est cosmopolite. Beaucoup d’Antillais qui n’ont pas eu leur chance à Paris se sont installés à Londres. Pourtant, c’est une des villes les plus chères du Monde après New York et Tokyo. Très peu de gens vivent au Centre. Il est plus facile de s’installer aux environs de Londres.
Le pragmatique anglais plait aux Antillais. Le système anglais est beaucoup plus facile, moins contraignant. Peu leur importe qu’un employé de banque ait des dreads locks s’il fait bien son travail.
J’ai passé un entretien à British Airways. Il y avait trop de candidats la première fois. Ils ont gardé mon dossier et un jour ils m’ont appelé. En espace d’un mois j’étais embauché, formé et opérationnel. J’y suis encore car cela me plaît.
Outremerlemag : Savez-vous combien d’Antillais des Départements Français d’Amérique sont Installés à Londres ?
Dominique Lancastre : Je ne saurais vous répondre, mais ceux que je rencontre, réussissent bien et arrivent à de très bons postes. Bien sûr, il y a toujours des « cas » mais ils restent dans l’ombre. On peut réussir à s'adapter ou bien sombrer. Mais, cela arrive partout dans le monde.
Outremerlemag : Existe-t-il, à votre connaissance, des associations, des regroupements ou autre chose permettant aux Antillais de rester en contact ?
Dominique Lancastre : Il y en a toujours. L’exilé a besoin de cela. De ce regroupement, de cet attachement à l’île et c’est souvent la musique qui nous réunit. Les concerts, le carnaval. Le carnaval de Notting Hill est très populaire et permet de faire la connaissance d'Antillais installés là bas.
Outremerlemag : Vous arrive t-il d’avoir le mal du pays ?
Dominique Lancastre : Non car je suis beaucoup trop décalé et beaucoup trop occupé pour avoir le mal du pays. Mais c’est un travail que j’ai fait sur moi. La vie est trop courte pour se prendre la tête. Il ne s’agit pas de vivre au jour le jour, mais de vivre sa vie comme on l’entend, sans vouloir se façonner à fin de plaire. Je n'aime pas l'hypocrisie , avec moi c'est soit non soit oui ou bien next. (rires). Zouk la sé sèl médikaman nou ni. N’est-ce pas Jacob Desvarieux ?
Ouvrages en vente ici:
Une Femme chambardée aux Editions Fortuna
La Véranda aux Editions Fortuna
On peut trouver sur place les romans:
Fnac St Lazare
Fnac forum des Halles
Librairies Payot Montparnasse
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Librairie Antillaise Martinique Guadeloupe
Librairie Alexandre Martinique
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