Tout avait commencé en 2007. Une annonce internationale bouleversait le landernau de la négociation internationale : l’Equateur, prenant au mot les engagements des Nations concernant la protection de la biodiversité et du réchauffement climatique proposait de ne pas exploiter le pétrole de son pays et ainsi de protéger son immense parc naturel de forêt amazonienne.
En échange du non-rejet dans l'atmosphère de 400 millions de tonnes de CO2, le président équatorien demandait 3,6 milliards de dollars, sur une douzaine d'années, aux plus gros consommateurs de pétrole sur la planète. Il leur proposait de bénéficier de crédits carbone versés en tant que pollueurs ayant signé le protocole de Kyoto (potentiel de 1 200 millions de dollars) , via des certificats déjà nommés « Certificates of Yasuni Warranty » (CYW). Une somme colossale qui représentait la moitié de ce qu’aurait rapporté l’exploitation pétrolière.
Quelle initiative ! Un élan d’espoir se propageait.
Une première mondiale : brader des barils de pétrole contre de la forêt primaire. L’engouement fût immense et permit à l’Equateur de se hausser au top ten des négociations internationales. A Rio en 2012, avec cette initiative, l’Equateur devenait l’exemple d’une solution à tout problème de conservation. De conférences en colloques, chacun y alla de son couplet sur Yasuni. Le nom du parc devint si célèbre qu’il devint un concept. On rêvait de « yasuniser »...
Le projet fût salué par 32 chefs d’État et de gouvernements d’Amérique latine et des Caraïbes Des acteurs tels que Leonardo DiCaprio*, Edward Norton, ou encore l'ancien vice-président des États-Unis Al Gore ont soutenu l’initiative. Partout dans le monde, les ONG ont enfourché le cheval de bataille.
Pour Correa, c’est également une belle promesse électorale. En Février dernier, elle lui permet de se faire réélire en s’appuyant sur les indiens, les écologistes et le mouvement social. Aujourd’hui, sa décision va l’opposer à une partie de son corps électoral. Les peuples autochtones sont très sensibles aux menaces sur leur environnement et ont déjà annoncé leur mobilisation. Ils sortent à peine de l’expérience douloureuse de la catastrophe provoquée par les activités de Chevron/ Texaco dans la région de Sucumbo.
Une catastrophe dont le monde a peu parlé, mais jugée équivalente à l’accident de Tchernobyl et d’un impact cent fois supérieur à la marée noire récente de Floride. Elle a fait naître une grande colère et les peuples autochtones sont dorénavant confortés par leur victoire remportée en Février dernier contre la compagnie, même s’ils attendent l’application du verdict qui a reconnu la destruction sociale et environnementale causée pendant 26 années d'opération de l’entreprise et a condamné Texaco à payer 18 milliards de dollars aux victimes. Faible consolation de l’initiative yasuni avortée : il est évident que l’exploitation pétrolière va se conduire sous les regards du monde et ne pourra, on l’espère, éviter l’utilisation de technologies obsolètes et destructrices comme ce fût le cas à Sucumbo.
Un nouvel échec pour les promesses de développement durable
L’opération yasuni n’a récolté que 13 millions de dollars, même si 116 millions ont été promis sur les 3,6 milliards escomptés. Ce qui a fait dire à Correa : « Nous avons pu commettre des erreurs mais que personne ne se trompe : la raison fondamentale de cet échec est que le monde est une grande hypocrisie » Ces 13 millions , versés par des entreprises privées ou des pays comme la Belgique, le Chili, la France, l'Italie, l'Espagne et l'Indonésie, ont été déposés sur un compte administré par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), qui garanti le retour de l'argent aux donateurs.
Treize millions, c’est trop peu pour faire face à l’entretien de la forêt, un grand recul si l’on écoute les scientifiques qui considèrent ce lieu comme un des plus riches du monde. Outre l’atteinte à la richesse biologique, l’exploitation pétrolière et la création des infrastructures risquent de porter atteinte à l’ensemble du système hydrographique. Mais c’est surtout trop peu pour réorienter et conforter l’espoir de meilleure connaissance et de découvertes de richesses liées à la nature.
Protéger la biodiversité après 2015 ?
Cet échec pointe surtout la difficulté encore non surmontée à mener des politiques de protection dans les pays pauvres et en développement, même si pour Esperanza Martinez, présidente d’Action Ecologiste, l’affaire a été mal menée : « Je crois que la faute absolue est celle du président de la République qui a donné des signaux contradictoires et a formé une commission qui n’a pas été à la hauteur de l’enjeu. Il s’est également trompé de stratégie en cherchant l’essentiel des fonds, non pas dans le grand public, chez les citoyens du monde, mais auprès d’entreprises souvent liées au secteur énergétique et dans des pays où les compagnies pétrolières ont une très forte influence » dénonce-t-elle sur RFI. http://www.rfi.fr/ameriques/20130817-equateur-yasuni-itt-correa-petrole-indiens-conaie-accion-ecologica )
L’échec renforce également la démonstration effectuée par Raphaël Billé (IDDRI) et Gilles Kleist (AFD) dans le chapitre 5 de « Regards sur la Terre 2013 »* : « une certaine égalité économique reste le facteur indispensable à la conduite des politiques de protection », reléguant ainsi certains travaux sur la « valeur » de la nature et le slogan simpliste : je t’échange ma pollution contre la protection de tes forêts. Des modèles plus complexes sont à imaginer, et cette réflexion sera au cœur des négociations des objectifs du développement durable, les post 2015.
*http://blog.lefigaro.fr/amerique-latine/2011/02/les-indiens-equatoriens-obtiennent-la-condamnation-du-groupe-chevron.html
*http://m3m.be/news/condamnation-historique-de-chevron-texaco
* http://controverses.ensmp.fr/public/promo11/promo11_G19/Histoire1.html
* « regards sur la terre 2013 » : réduire les inégalités : un enjeu du développement durable. Ed Armand Colin
*Leonardo Dicaprio [archive], Contactmusic
*http://naturealerte.blogspot.fr/2013/04/03042013lequateur-envisage-de-vendre.html : sources non validées