Environnement

jeudi, 27 juin 2013 04:29

Des 50 pas géométriques au patrimoine commun de la Nation ?

Un bulldozer, une baraque de planches au bord de la mer et une famille de pêcheur en larmes. C’est le type de situation que tout le monde cherche à éviter, et pourtant aujourd’hui il faut rendre à tous le bord de mer. L’obligation en vient de deux lois, l’une datant de 1986, et l’autre « la loi littoral » de 1996. Les habitants veulent avoir accès au littoral et aux plages, sans rencontrer d’obstacles privés, de barrières, ou d’enclos.

Qu’en est-il dans les faits dans les îles antillaises? Rien qu’en Martinique, 15 000 habitations abritant 10% de la population existent sur la zone littorale.
Pour parvenir à une régularisation des situations, en 1996, avaient été crées des agences des cinquante pas. Le Grenelle de l’environnement prévoyait leur disparition en 2012, pensant que toutes les situations de constructions illicites auraient été réglées à cette date.
Que nenni ! Alfred Marie Jeanne, suivi par Victorin Lurel en Guadeloupe, obtint alors  leur prolongation pour deux ans prévoyant  leur disparition pour le 1° Janvier 2014. Mais c’est déjà demain ! En 2014,  aucun organisme ne sera en mesure de reprendre les missions de régularisation foncière et d’aménagement. Or le travail est loin d’être terminé.  D’où la pertinence du projet de loi défendu la semaine dernière par le sénateur du Morbihan Joël Labbé, en cours de discussion,  demandant leur prorogation.

Pourquoi une telle difficulté ?
Près de 15 ans après la loi de 1996, le nombre des « cessions-régularisations » reste très faible. On se trouve avec un imbroglio de situations des plus complexes et des plus originales, face à des objectifs eux aussi très différents.
Pour protéger le littoral, d’abord interdire toute nouvelle installation illicites «  c’est très difficile à faire respecter, raconte Gilles Bœuf, directeur du Muséum d’Histoire Naturelle qui revient d’un voyage d’études en Martinique. Les maisons poussent comme des champignons sur le littoral et il est très douloureux de les détruire. Une police a été créée, chargée d’arpenter les sentiers et d’intervenir à la moindre édifications de mur. C’est déjà plus facile à faire démonter avant que ne s’installe la famille. »
Ensuite, il faut régulariser la situation foncière d’une population de pêcheurs ou de petits agriculteurs, majoritairement âgée et pauvre,  qui se sont installés en bord de mer depuis longtemps. Souvent ils n’ont pas les moyens d’acquitter le prix qui leur est demandé malgré l’aide financière de l’État. S’ils réussissent à devenir propriétaires, les collectivités doivent leur assurer les équipements publics essentiels : l’eau, l’assainissement, l’électricité.
Restent enfin ceux qui ont squatté des « zones rouges », c’est-à-dire des zones inconstructibles en vertu des plans de prévention des risques naturels. Certaines de ces zones exposées à des risques naturels, aux inondations par exemple comme Volga plage à fort de France, ont été aménagées. Ailleurs, les habitants sont délogés et on leur propose d’être relogés. Mais imaginons le déracinement et la douleur de quitter la mer pour un logement social ! Combien préfèrent leur pauvreté à la promiscuité urbaine ?


Une vielle histoire en passe de trouver une fin ?
Le plus difficile est de faire accepter ces régularisations à ceux qui confondent droit du rivage et droit du littoral. Le droit au rivage pour tous (le rivage n’étant qu’une bande de terre de 81,20 mètres parallèle au rivage) a été fixé par une loi qui date du 3 Mars 1670 , déterminant ce qu’on appelait « les cinquante pas du Roi », destinée à la défense des îles. Des motivations stratégiques en étaient l’origine. Il fallait pouvoir avoir accès au rivage pour construire des fortifications, mouiller, et se ravitailler en eau et en bois.
Plusieurs fois  modifiée, la loi des  cinquante pas du roi  devient celle « des cinquante pas du bord de mer », avant d’être « la zone des cinquante pas géométriques ». Au delà de ces 81m commence le littoral, zone normalement inaliénable et imprescriptible mais dont le régime juridique fluctuant a tantôt permis, tantôt proscrit avec plus ou moins de réserves, l’appropriation. C’est ainsi que se sont mêlés la plupart du temps en toute bonne foi domaine public de l’état et occupation sans titres ni droits.


Le dossier est sensible, car il porte le poids de l’histoire et le conflit latent entre le droit du colonisateur et le droit de l’habitant. Il rappelle aussi que le règlement de la Compagnie des Indes interdisait aux ouvriers agricoles d’avoir accès à la terre. L’abolition de l’esclavage a conduit vers la montagne et la forêt ces ouvriers en quête de terre. Les anciens exploitants ont pu faire valoir leurs droits de propriété sur des façades maritimes quand ils occupaient le sol depuis plus de deux cent ans.
Par ailleurs, les pouvoirs publics ne parviennent pas à faire respecter la loi car l’état apparaît comme un spoliateur puisqu’il a distrait de vastes parties du littoral pour en faire la forêt domaniale du littoral qui a été confiée en gestion à l’office national des forêts il y a plus de trente ans. Cette forêt représente plus de la moitié du linéaire des cinquante pas en Martinique, et un gros tiers en Guadeloupe.


De l’Etat à la Nation
Depuis quelques années un mouvement associatif fort revendique le droit d’accès au rivage. Cela a commencé par la contestation des plages privées des hôtels. Mouvement similaire à celui qui s’est dessiné sur la côte méditerranéenne il y a plus de vingt ans et encore aujourd’hui en Corse. Les hôtels ont rapidement cédé et  donné l’exemple du libre accès comme La Batelière à Fort de France ou comme le Novotel de la plage de Gosier en Guadeloupe. Désormais leur plage jadis réservée à leurs clients est ouverte.



On perçoit dans ces conflits une contradiction non apaisée, qui fait débat, entre l’attachement à un patrimoine naturel accessible à tous, mais protégé et sauvage, et un certain grignotage par les résidences secondaires et les implantations touristiques de toute nature, surtout dans la partie sud de la Martinique et sur le linéaire côtier entre Gosier et la pointe des Châteaux sur la Grande Terre de la Guadeloupe.
Sur les plus belles zones se concurrence la mise en valeur touristique et le souci de préservation. L’objectif est donc de réconcilier aménagement et environnement et aussi de faire un peu de lumière, à savoir qui fait quoi ? Pour l’instant, personne ne sait.
A quel horizon et selon quelles modalités les communes  vont pouvoir  intervenir dans la gestion de l’espace naturel ? L’État a-t-il les capacités à assumer ses responsabilités ? Il prétend conserver la maîtrise des terres mais a-t-il les moyens de leur entretien, de prévenir les occupations illégales, d’envisager la mise en valeur à plus long terme ? Le Conservatoire du littoral devrait aussi être garant de la protection et de la mise en valeur de ces espaces pour tous. Malheureusement il n’en a pas toujours les moyens. On voit très vite que tous ces objectifs relancent la question de la décentralisation.


En savoir plus : la discussion de la loi en cours :
http://www.nossenateurs.fr/seance/9319

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