Environnement

vendredi, 10 mai 2013 11:56

Et si l'arabica venait à disparaitre?

Au moment où des chercheurs nous annoncent que le café n’est pas si mauvais pour la santé, à condition d’être consommé modérément, l’arabica, café le plus consommé au monde, pourrait disparaître à l’état sauvage d’ici 2080 : un marché évalué à 16 milliards de dollars. Aujourd’hui, c’est toute la production d’Amérique centrale qui se trouve menacée par la rouille orangée causée par un champignon.

Au sommet de Davos, il y a peu de temps, les participants n'ont pas seulement évoqué la crise, ils ont aussi parlé du café. C’est dire si l’épidémie de rouille inquiète le monde du continent sud américain, puisqu’elle menace 14 % de la production mondiale. L’alerte a été publiquement portée par les présidents du Guatemala et du Costa Rica.




Les enjeux économiques
La région vit une crise grave. Le secteur emploie plus d’un million et demi de personnes, et fait indirectement vivre des centaines de milliers d’autres. Pour le Honduras et le Nicaragua, le café constitue le premier revenu à l’exportation. En 2011-2012, l’exportation de 17,5 millions de sacs a permis à l’Amérique centrale d’engranger 3,6 milliards de dollars. Et le Brésil, qui n’est pas atteint pour l’instant par le champignon, présente une production pléthorique.
Cette manne a empêché la spéculation sur la rareté, les cours du marché sont restés bas et n’ont pas encouragé les producteurs à prendre des mesures préventives pour lutter contre la rouille. Les pays touchés trouvent difficilement de l’aide.? En cause, le climat, une mauvaise gestion des parcelles et l’adaptation du pathogène aux nouvelles espèces.


La rouille orangée est bien connue des agronomes. Causée par un champignon, nommé « Hemileia vastatrix », elle avait dévasté la caféiculture de Ceylan (aujourd’hui Sri Lanka) en 1869. En 1976, le champignon est responsable d’épidémies sévères au Costa Rica, au Nicaragua et en Colombie. La maladie est un fléau, car elle est contagieuse. Le champignon est transporté sur les spores par le vent. En 2012, son développement a été favorisé par la chaleur et par l'absence de pluie. L’année 2012 a été une année « del Niño », perturbation climatique liée à un réchauffement de l’océan Pacifique, qui se caractérise principalement par une moindre pluviométrie qui n’a pas permis le lessivage des spores mais a été suffisante pour assurer leur germination. La chaleur a favorisé les attaques dans les zones d’altitude où les producteurs n’appliquent généralement pas de traitement préventif.

L’épidémie est aussi le fait de l’appauvrissement génétique des plantations. Les fermiers, en parcelle ou sous serre, utilisent un matériel génétique très pauvre. ?Or, les plants sauvages d’arabica possèdent une « formidable diversité génétique » qui pourrait être utilisée pour l’amélioration des arbres dans l’avenir. Malheureusement, selon une étude britannique alarmiste conduite par les chercheurs de la Royal Botanic Gardens de Kew (Royaume-Uni), et publiée dans la revue américaine Plos One, le réchauffement climatique menace l’arabica à l’état sauvage. Il faut faire vite.


Les solutions
Côté recherche, on se soucie d’abord du court et moyen terme.? L’objectif : arracher les plants contaminés, fertiliser, replanter des arbres sains et acheter des graines résistantes à la rouille. Un coût estimé par la filière à 300 millions de dollars.? Les chercheurs du CIRAD proposent la grosse artillerie : « À court terme, il faut reprendre les traitements phytosanitaires qui ont été négligés », notamment certains fongicides préventifs, explique Jacques Avelino, chercheur au CIRAD. « À moyen et long terme, il faudra renouveler le parc caféier vieillissant et sensible avec les variétés résistantes, et pour cela, conseille l’utilisation des hybrides ». Et trouver des souches résistantes !? Depuis 1991, les pays d’Amérique centrale et de la Caraïbe, unis au sein du réseau de recherche Promecafé, en coopération avec le CIRAD, l’Ird, le ministère français des affaires étrangères et le Catie, financent le projet de création de variétés mieux adaptées à la caféiculture régionale que les variétés traditionnelles. La diffusion massive des meilleurs candidats peut se faire par embryogenèse somatique, en utilisant le bioréacteur RITA® pour une multiplication à grande échelle. ?Il faudrait cependant être attentif à ne pas se tourner vers une solution qui uniformise et fragilise encore les plantations?. La solution n’est pas seulement le recours aux hybrides.? Un retour à une agriculture plus raisonnée est nécessaire.? Les caféiers sont fragilisés on l’a vu, par le climat et le manque de diversité génétique mais aussi par une intensification trop forte de la culture. Trop de fruits, pas assez de feuilles : le caféier devient fragile.

L’extension incontrôlée des arbustes a accéléré l’invasion. L’arbre a besoin d’ombre. Le CIRAD l’a démontré, l’ombrage permet de diminuer les attaques de rouille, par son action régulatrice de la charge fruitière. ?Collecter les espèces sauvages avant qu’elles ne disparaissent, créer des vergers et des collections, et enfin, produire un matériel végétal durablement résistant demeurent des axes de recherches importants. « Il est encore possible d’améliorer la résistance des matériels cultivés. Toutefois, les ressources génétiques que l’on peut utiliser dans l’amélioration végétale ne sont pas inépuisables, et il ne faut pas sous-estimer la capacité d’évolution des pathogènes », conclut Jacques Avelino. C’est pourquoi dans les collections végétales de Guyane, le CIRAD veille avec beaucoup de soin sur son parc de caféiers.

 




Les collections du CIRAD à Combi forêt (commune de Sunnamary) Photos Y. Lagoyer

Les collections du CIRAD en Guyane et en Guadeloupe pourraient être bien utiles
La France est un vrai pays producteur grâce à ses territoires Outremer.
Le café est arrivé d’abord en Martinique. En 1786, le français Gabriel De Clieux introduit deux à trois plants de café en Martinique. Ces premiers plants seront à l’origine de tous les caféiers des Caraïbes et d’Amérique Latine, dont le fameux “Blue Mountain” de la Jamaïque. Aujourd’hui encore, Guadeloupe, Martinique et Nouvelle-Calédonie possèdent de petites plantations, et depuis des années, les centres de recherches veillent attentivement sur les collections, tentant régulièrement de relancer une production locale.
En Guadeloupe le café ne représente plus maintenant qu’une culture marginale, comparé à ce qu’il fût au cours des siècles et décennies passées. Il n’en constitue pas moins un levier de développement potentiel, car son nom est attaché à une forte notoriété, le « bonifieur ». A ce titre, il a une valeur patrimoniale indéniable, et est maintenant promu par une profession organisée et dynamique.
En Guyane, c’est à Combi-forêt, sur la commune de Sinnamary, que l’agronome Jean-Pierre Thévenin aime dévoiler les collections de cacaoyers et caféiers du CIRAD. Au bout d’une piste de latérite rougeâtre et mouvementée qui sinue à travers des futaies humides, voilées de vapeurs, on découvre le verger des baies jaunes ou rouges qui brasillent. « Des caféiers arabica, robusta,

arabusta... Les premiers proviennent des montagnes d’Ethiopie, les seconds du bassin du Congo, les troisièmes, issus de leur croisement, combinent l’arôme des premiers à la vigueur des seconds ». L’ingénieur tente de développer ici son projet de cafés AOC Guyane. ?Le CIRAD, l’Inra et l’IRD se sont associés, au sein d’Inter-TROP, le réseau des Centres de ressources biologiques (CRB) de Plantes tropicales, aux Antilles, en Guyane, à la Réunion et à Montpellier. Son rôle se résume en deux points : conserver les collections constituées depuis des décennies par les organismes de recherche, et fournir du matériel végétal aux utilisateurs qui en font la demande.

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