Un bel envahisseur
Le Ptérois volitans a fait son apparition il y a moins de dix ans. En quelques années, il est devenu une de ces espèces que l’on dit « envahissantes », un fléau pour la pêche et la biodiversité en Martinique et encore plus en Guadeloupe.
Il est originaire de l’océan indo-Pacifique, et la rumeur colporte que suite à l’ouragan Andrew en Août 1992 dans le sud de la Floride, un aquarium endommagé aurait laissé s’échapper six spécimens. Les scientifiques penchent pour plusieurs sources génétiques. L'espèce est repérée à partir des années 2000 près des côtes du Venezuela et de Cuba, mais sa population a véritablement explosé depuis 2008. La colonisation des îles s’est faite très rapidement, les larves de Ptérois empruntant le courant de Guyane qui balaie l’Arc Antillais. L’invasion fût si rapide que très rapidemen,t les scientifiques se penchent sur ce cas.
En Novembre 2009, un congrès lui est consacré à l’initiative du Gulf and Caribbean Fisheries Institute (GCFI), à Cumanà au Venezuela. Les premières données sont échangées : les juvéniles colonisent les récifs coralliens et les autres fonds rocheux, mais également les mangroves et les herbiers de Phanérogames marines. Ils y effectuent une partie de leur croissance avant de gagner les récifs ou autres fonds rocheux pour y passer leur vie adulte. Les Pterois sont des prédateurs nocturnes. Ils se mettent en chasse à la tombée du jour. Leur croissance est de l’ordre de 0,5 mm par jour, ce qui produit un poisson de 197 mm en un an. Et c’est ainsi qu’aujourd’hui, les pêcheurs relèvent des poissons lion de 4 à 5kg dans leurs filets et casiers.Un fléau pour l’écosystème et pour l’homme
L’espèce, si belle, aurait pu plaire. Mais elle a deux défauts. D’abord, dès qu’elle s’installe sur les récifs coralliens, elle devient très prédatrice. Pour chasser, les pterois déploient leurs grandes nageoires pectorales en forme d’éventail, s’en servent pour rabattre leur proie, bondissent, et la gobent. Ils déciment les poissons brouteurs de corail. Résultat, le corail est très vite envahi par les algues, et peut en mourir. Une étude a été menée, prouvant qu’un massif corallien soumis à la présence de pterois voit son recrutement en jeunes poissons diminuer de 79%.
Autre calamité, sa dangerosité. Le poisson lion est dangereux Les symptômes généraux d’une piqûre évoquent la morsure par un cobra qui se traduit par une douleur immédiate et intense pouvant provoquer un choc. Les piqûres de pterois doivent donc être prises très au sérieux. Les premières victimes sont les pêcheurs, quand ils doivent démêler les filets, mais aussi les baigneurs, car le poisson lion affectionne les fonds peu profonds, les roches, les herbiers.
La lutte : de la chasse sous marine au court bouillon
Le club de plongée de La Batelière a tué 95 poissons lion cette année
Les autorités ont permis dans un premier temps des « battues » sous marines, autorisant les plongeurs à poursuivre la rascasse jusque dans les eaux protégées. Le Comité Régional de Plongée (COREGUA) a organisé secteur par secteur et de manière périodique des chasses avec des plongeurs volontaires. Insuffisant. Le seul prédateur possible étant l’homme, la stratégie de lutte se tourne vers les pêcheurs. Et si l’on se mettait à manger les poissons lion ?
Fin Mars, la Direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DEAL) et le comité régional des pêches maritimes et des élevages marins (CRPM) de Guadeloupe se sont réunis pour arrêter une stratégie de lutte en trois phases. D’abord, réhabiliter médiatiquement le poisson diabolisé à juste titre. Ensuite, conduire la phase d’étude : le pterois semblerait exempt de la toxine de la ciguatera, mais il vit dans les eaux contaminées par la chlordécone. Les analyses sont obligatoires. Pour l’instant, on attend le retour des dizaines d’échantillons envoyés à l’Institut de recherche espagnol, l’IRTA, et d’autres qui sont partis à la Réunion. Fin Juin, on saura donc si le poisson lion est commercialisable. Car il est comestible, et même délicieux aux dires des quelques pionniers qui en ont déjà fait le test : des dizaines de dégustateurs volontaires l’ont essayé frit, en blaff, grillé. Seul bémol, « bientôt, évidemment débarrassé de ses épines et écaillé, il sera au même prix que les meilleurs poissons vendus sur nos étals » prédit Jean Claude Yoyotte, président du Comité des pêches dans une interview à France Antilles.