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jeudi, 28 mars 2013 04:29

Kevin O Brian, Styliste et Créateur de mode

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Quand j'habille une femme,
j'ai sa vie entre les mains.

 

 

Place du Châtelet, brasserie Sarah Bernhardt.

Au menu, un grand classique de la cuisine française, une entrecôte-frites accompagnée d'un grand classique des fast food américains, un coca-cola.

Aucune privation pour Kevin O Brian styliste et créateur de mode, un comportement alimentaire plutôt rare dans cet univers impitoyable où s'entretient le culte de la maigreur.

Aucun artifice chez cet artiste qui revendique sa simplicité tout en sublimant les femmes qu'il habille.

 

VP: Il est de notoriété publique que l'alcool et la drogue se consomment sans modération dans le milieu de la mode. Serais-tu une exception?

KOB: Je ne bois pas d'alcool. Pourtant j'adore observer le rituel du punch aux Antilles. Je suis presque jaloux des personnes qui dégustent ce mélange de rhum, de sucre de canne et de citron si parfumé. Ca me donne envie mais je sais que je n'apprécie pas. Je trouve ça amer. En fait, l'alcool m'agresse.
Mon seul vice, c'est la cigarette. J'ai déjà fumé 1 ou 2 pétards dans une soirée, histoire de ne pas mourir bête. J'ai essayé une fois la cocaïne mais ce n'est vraiment pas mon truc.
Mes expériences avec la drogue s'arrêtent là. Tout ce qui détruit me fait peur.


VP: Comment parviens-tu à rester sain dans ce milieu malsain?

KOB: Je travaille dans un milieu que je ne fréquente pas. Je ne sors que très rarement le soir. Je n'ai pas vu cette débauche dans les défilés ou les shooting-photos et si ça se passe, c'est uniquement dans les soirées.
Je pense que la situation a bien changé. Ces excès concernaient davantage l'ancienne génération, celle des années 70-80. A mes débuts, j'ai vu certains photographes ou stylistes complètement ravagés par les effets de la drogue et qui travaillent encore dans le milieu. Hors de question pour moi de finir comme une loque sous prétexte d'être un artiste! Aujourd'hui, je côtoie une autre génération beaucoup plus saine et la plupart du temps anti-tabac et adepte du végétarisme.

VP: Tu as hérité de la machine à coudre de ton arrière grand-mère. Tu étais donc prédestiné à travailler dans la couture...

KOB: Pas vraiment! Ma mère ne savait pas coudre un bouton. Il y a une part de hasard dans cette orientation. J'ai grandi en Martinique où j'ai eu une scolarité tout à fait normale et je n'étais pas spécialement doué en dessin. Quand j'ai eu 17 ans, pour me protéger des dérives de l'adolescence, ma mère a pris la décision de venir s'installer à Paris. Elle était persuadée que je ne pourrais pas m'épanouir aux Antilles. Elle ne s'est pas trompée, elle me connaissait bien.
A cette époque, je me suis mis à dessiner des modèles et à créer des vêtements. J.ai rencontré par hasard un styliste très connu qui a apprécié mes croquis. Je tais son nom car nos relations se sont dégradées mais c'est vraiment lui qui m'a fait prendre conscience du métier auquel je me destinais. Il m'a appris l'exigence et m'a conseillé de faire une école de stylisme pour transformer ce talent en savoir-faire. Il m'a donné les clefs pour ne pas être un "tchoqueur" (amateur).

 

VP: Quelles sont les clefs pour devenir un professionnel de la mode?

KOB: Ne pas s'enfermer dans un ghetto! Je déteste les étiquettes. Je sais que je suis antillais, je le serai toute ma vie, je mourrai antillais et probablement chez moi aux Antilles car la France, ce n'est pas chez moi et ça ne le sera jamais. Mais j'ai vite compris qu'il fallait que je me positionne à un niveau international pour gagner mes galons et être reconnu au plan national. Si vous exigez une reconnaissance avant d'avoir fait vos preuves au plus haut niveau, on vous catalogue, on vous met dans une case et moi, je ne supporte pas ça, je suis trop libre pour ça. Je me suis battu pour qu'on me considère comme un styliste à part entière. Je précise que je n'ai aucun problème avec les Antilles, ma clientèle est principalement antillaise mais je travaille pour l'international.

VP: Pourquoi es-tu aussi discret sur tes activités? On te voit rarement dans les médias.

KOB: J'ai grandi sans les médias et c'est volontaire. Le petit garçon de la campagne de Saint-Joseph en Martinique que j'étais n'aurait jamais imaginé consacrer sa vie à la mode. J'ai côtoyé les plus grands mannequins de la planète, voyagé, participé à des défilés prestigieux, comme la fashion week aux Bahamas et à la Jamaïque. J'étais en Inde en 2011 pour représenter la France dans un show de mode et j'ai eu la surprise en sortant de l'aéroport de voir mon nom sur un panneau publicitaire en 4x3.  Pour autant, je n'oublie pas d'où je viens. Je garde en mémoire un événement marquant de ma carrière, ma première collection "Jersey noir". Il y avait un tel enthousiasme, une telle mobilisation dans mon atelier...A ce moment là, j'ai compris que j'étais devenu un "petit grand".

 

VP: Tu es créateur de mode, tu as ta propre ligne de vêtements, as-tu l'impression d'avoir atteint ton objectif professionnel?

KOB: En partie seulement! J'ai compris que j'étais devenu un professionnel quand mes clientes ont commencé à me commander des vêtements pour des moments personnels intimes, leur mariage, le baptême de leurs enfants...Là, j'ai reçu une gifle et j'ai ressenti une énorme pression. Il fallait que je sois à la hauteur de leurs espérances et des événements les plus importants de leur vie.
Les grands voyages, les personnalités rencontrées ne m'impressionnent pas, je navigue entre le luxe et la simplicité de ma vie quotidienne sans aucun problème.
Ce qui est prioritaire pour moi, c'est la satisfaction de mes clientes.

 

VP: Est-ce que tu sélectionnes les femmes que tu habilles?

KOB : Je n'ai pas la prétention de pouvoir habiller toutes les femmes, sinon j'aurais inventé le jean... (rires). La sélection se fait tout naturellement. C'est une question de feeling, d'amour, de confiance. La femme qui aime mon travail, rentrera sans problème dans mes vêtements. Je ne fais pas de sélection par l'argent, je m'adapte à tous les budgets et à toutes les femmes quelque soit leur morphologie. Il faut juste que le courant passe entre ma cliente et moi. Ce qui est rédhibitoire en revanche, c'est la vulgarité. Une femme extravagante, d'apparence négligée, qui parle fort,  je refuse de l'habiller sans hésiter. Ca m'est déjà arrivé...


VP: Quel regard portes-tu sur les femmes que tu habilles?

KOB : J'ai leur vie entre les mains. A partir du moment où les femmes me sollicitent, c'est comme si elles se déchargeaient. Cet échange se fait dans un climat de respect et de confiance totale.
Quand elles se déshabillent, ce n'est pas que leur corps qu'elles dénudent, elles mettent leur âme à nu. Elles se confient...Je les écoute...Je les vois sans maquillage, sans artifice, en sous-vêtement. Aucune gène entre nous! Elles se dévoilent, se racontent comme un livre ouvert. J'en sais beaucoup plus que les compagnons de ces dames...ce qu'elles veulent cacher, ce qu'elles ont envie de valoriser, ce qu'elles ressentent au plus profond de leur être. Ma relation avec mes clientes n'a rien de commercial. C'est vraiment une question de feeling! J'aime les femmes, mais les vraies femmes.


VP: C'est quoi pour toi une vraie femme?

KOB : Mes références sont ma mère, une femme "doubout", une maîtresse-femme que je n'ai jamais vu abattue,  capable de taper du poing sur la table et ma grand-mère, ma colonne vertébrale, celle qui me tient en vie, une femme douce, sage, aimante. Je suis attirée par les vraies femmes, féminines, courageuses, capricieuses aussi mais tellement adorables. J'aime les femmes qui ne se prennent pas pour des hommes et qui savent leur laisser la place qui leur revient. Je ne suis pas coach de vie donc je ne leur donne pas de conseils, d'ailleurs, elles n'en ont pas besoin. Elles veulent juste entendre ce qu'elles savent déjà, pour être rassurées.

VP: Aurais-tu aimé être une femme?

KOB: Pour rien au monde! Mais vu de l'extérieur, leur vie semble tellement plus excitante.
Si j'étais une femme, je serais allé beaucoup plus loin. Les femmes ont tout pour réussir. Elles sont intelligentes, malignes, subtiles et peuvent jouer de leur physique. Quand elles sont conscientes de la puissance de leur mental et de leur pouvoir de séduction, rien ne leur résiste. Derrière tout homme qui réussit, il y a une femme. Qu'elles soient dans l'ombre ou la lumière, elles contrôlent tout. Les femmes ont le monde entre leurs mains.
Leur faiblesse, c'est leur sensibilité, leur côté fleur bleue qui les rend vulnérables.
Elles se laissent manipuler par amour.


VP: Ton travail te passionne mais est-ce qu'il te rapporte suffisamment pour en vivre?

KOB: Je n'ai fait que ça depuis 18 ans, du stylisme et de la création de vêtements. Toutes les fins de mois sont difficiles, encore plus dans la conjoncture actuelle. J'ai fait un choix que j'assume, celui de ne pas être salarié pour ne faire que ce que j'aime. J'ai choisi de travailler en France, malgré les lourdeurs administratives et les charges qui étouffent les artisans. Et je n'ai jamais regretté. J'ai la chance d'avoir un carnet de commande qui s'auto-régule (les hauts corrigent les bas) et j'ai surtout des clientes fidèles.
J'ai toujours pu payer mon loyer, me nourrir, voyager et continuer d'initier des projets. Je ne m'arrête jamais d'entreprendre. J'aime prendre des risques, c'est mon côté fou. Même si on essaye de me mettre des bâtons dans les roues, je persiste. Au contraire, l'adversité et les obstacles me rendent encore plus déterminé. Je suis comme cette espèce de bactérie qui se développe quand on la combat. Le secret de ma longévité, c'est que je ne vis pas au dessus de mes moyens.

VP: À quoi ressemble ton dressing? Un styliste est forcément très stylé...

KOB: Je n'ai aucun problème avec mon apparence, pas de complexe de supériorité, ni d'infériorité. Je ne me crée pas de vêtements, je les commande sur internet, peu m'importe la marque. J'achète des lots de chemises, de pulls, de chaussettes, l'essentiel pour moi, c'est le confort des matières. Je ne suis pas fan de mode, je donne tout aux femmes.

Kevin O Brian crée ses collections dans son atelier à Montrouge. Il vient d'inaugurer sa boutique Epysod en Guadeloupe. Prochaines étapes: la Guyane et la Martinique. Autre projet: sa ligne pour hommes KOBOY.

 

Les 7 pêchés capitaux de Kevin O Brian

Gourmandise: Tout ce qui est bon et interdit

Orgueil : Je suis très orgueilleux quand j'ai mal. Je ne pardonne pas.

Envie : Une folle envie de vivre!

Avarice : Pas du tout avare mais je gagnerais à l'être.

Colère : Ma colère me fait peur. Elle peut être extrême, au point d'avoir une partie de mon corps paralysé...

Paresse: C'est un mot qui n'existe pas dans mon vocabulaire... C'est incompatible avec ma personnalité.

Luxure : Toute débauche démesurée avec une grande mesure n'est que bonne.

 

Le clin d'œil vidéo de KOB

 

Crédit photos
-Ernest Collins
-Xavier Dollin

Lu 11516 fois Dernière modification le jeudi, 28 mars 2013 04:57
Véronique POLOMAT

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