Le rendez vous est fixé à son hôtel à proximité de l’Arc de triomphe. Patrice Kancel relève le col de son manteau, « il fait froid chez vous ». L’humoriste est à Paris depuis 24 heures mais on imagine déjà son impatience à rentrer chez lui. En Guadeloupe. Là où les températures sont plus clémentes.
C’est probablement l’enfant « turbulent » qu’il a été, qui explique l’homme qu’il est devenu. Patrice Kancel pas encore Pat reconnait qu’il a été « assez turbulent ». Son énergie débordante qu’il fallait canaliser en même temps qu’il ne fallait pas brimer sa propension à raconter des histoires et à amuser son auditoire. Les camardes de classe du jeune Patrice qui longtemps ont été son premier et seul public. « Je faisais déjà beaucoup rire mes camarades de classe et certains pensaient que ma mère travaillait au collège parce qu’elle était pratiquement tous les jours convoquée à cause des bêtises que je pouvais faire et dire », confesse l’humoriste. C’est au sein de l’association Ri An Kè que Patrice fait ses premiers sketchs. Il a seize ans. Jacques est là. Des petites saynètes naïves qu’ils écrivent et interprètent sur scène. D’abord dans des fêtes de quartier puis le succès aidant dans des fêtes communales.
Une date peut sceller un destin. Une date peut vous faire être. Durablement. C’est véritablement le 13 juillet 1990 que Patrice devient Pat et Jacques, Jak. C’est ce jour-là que naît véritablement le duo. C’est ce jour-là que Jak et Pat deviennent des humoristes à part entière. « Joël Reine, nous a vus en spectacle et nous a dit qu’on devait nous engager de façon plus sérieuse et professionnelle dans cette voie-là. C’est lui notre premier manager et producteur. »
Le propos du duo est de fait rire. Bien sûr. Mais aussi de dire. Dire simplement la réalité de nos sociétés antillaises. La décrire telle qu’elle est juste en grossissant le trait. Etre le « miroir » de nous-mêmes. Jak and Pat comme des sociologues de l’humour. « On est juste un miroir de ce qu’il se passe chez nous », explique l’humoriste. Le spectateur s’identifie, se voit, malgré la caricature, tel qu’il est dans ses bonnes et ses mauvaises mœurs. Dans son humanité et son identité. La scène devient sa psyché et le spectateur ne peut échapper à la vision de lui-même. Le spectateur devient le personnage. Il est à la fois sur scène et dans la salle. Et il rit. De quoi rit-il exactement ? Du burlesque de la situation ou de la gêne qu’il peut ressentir à se voir là, tel qu’il ne s’était jamais vu.
Le succès est immédiat. Partout, sur toutes les scènes. Les spectacles se jouent à guichets fermés à Pointe-à-Pitre, à Fort-de-France à Cayenne et aussi à Paris. Jak and Pat en lettres écarlates sur le fronton de l’Olympia à Paris et en première partie du groupe Kassav. Duo triomphant pendant presque une décennie, jusqu’à une certaine lassitude des deux compères. « J’aime le spectacle mais ce n’est pas le plus important pour moi. Mon équilibre c’est ma famille. Ma femme et mes deux enfants. Je suis avant tout, mari et père de famille. Je participe aux conseils de classe », précise Pat. Le duo se sépare évitant peut-être ainsi le burn out artistique. Mais Pat même si il semble s’en défendre et malgré des études de commerce, demeure un saltimbanque. La scène qui l’appelle, la scène encore, la scène en solo mais à son rythme. « J’étais constamment sollicité pour écrire la suite de Sa ki taw pa taw, j’ai pris mon temps, j’ai mis des années à m’y mettre. » Et comme au temps de son duo, aux Antilles, en Guyane et à Paris, le succès est encore au rendez vous.
Pat assure avoir trouvé son « équilibre » entre sa vie de famille, ses spectacles épisodiques et son émission de radio « Zèy l’émission » sur Guadeloupe première. La radio comme une nouvelle scène qu’il partage avec David Eugène. Un autre duo pour une autre forme d’expression. Leur émission, on serait presque tenté de dire leur show, joyeusement subversive, fait le bonheur des auditeurs et assure à la radio publique de beaux records d’audience. Pat Kancel avale son café, se frotte les mains comme pour se réchauffer et regarde du coin de l’œil le ciel blanc et bas. Comme s’il s’en méfiait. Définitivement l’humoriste souhaiterait être ailleurs.

Sa Ki Taw … Pa Taw 2 de Patrice Kancel avec Christ, Pat’ et Prosper. Les 13,14 et 15 décembre 2013 au Théâtre de la Traversière – 15 rue de la Traversière 75012 Paris.
