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jeudi, 21 mars 2013 04:36

Jacob Desvarieux: Je re(viens) de loin...

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Jacob Desvarieux: "Je re(viens) de loin...

Porte de Pantin, Paris 19ème

Restaurant "Le Boeuf Couronné", à proximité du Zénith et du studio où s'enregistre en ce moment le prochain album de Kassav
Plat préféré de Jacob Desvarieux: le Tchéboudiene , un plat traditionnel du Sénégal à base de poisson farci, de légumes, de riz en sauce (photo aurablue)
Rien d'africain sur le menu du "Boeuf couronné" à part le Café de Côte d'Ivoire...Petite consolation!

Jacob Desvarieux choisit un restaurant français en regrettant que les restaurants africains et antillais du quartier soient fermés le midi. " C'est pourtant une cuisine trop riche pour le soir", précise t-il.
Entre la salade d'endives au roquefort et le pavé de boeuf à la sauce bourguignonne, le leader de Kassav me raconte le calvaire qu'il vient de vivre.
Pourtant connu pour sa nature réservée, Jacob parle sans tabou de la terrible maladie qui l'a miné pendant 10 ans.
Revenu de cet enfer, l'artiste partage son expérience, exprime sa soif de vivre animée par sa passion pour la musique et l'Afrique auxquelles il doit beaucoup...

 

VP: Tu as perdu tes rondeurs légendaires. Que s'est-il passé?
JD: J'ai eu un grave problème de santé: une insuffisance rénale et j'ai été dialysé pendant 1 an. J'étais en surpoids et au cours de la dialyse, j'ai dû perdre 12 kgs. Ce traitement n'est pas douloureux mais il est épuisant. Physiquement et moralement car pendant tout ce temps là, j'étais en attente d'une greffe. Et il y avait urgence... Avec mes 53 ans à l'époque, je n'étais malheureusement pas prioritaire. Sur la liste des personnes en attente d'une greffe de rein, ce sont les jeunes, les étudiants, les jeunes mamans etc.. qui passent avant. Je n'en pouvais plus d'attendre, je terminais mes concerts assis et ce n'était pas pour frimer. J'étais épuisé. Au bout d'un an, j'ai perdu patience. J'ai fait valoir au Professeur qui me suivait qu'il fallait que je puisse travailler normalement, que des dizaines de personnes risquaient de perdre leur emploi à cause de moi. La chance a fini par me sourire, j'ai enfin eu une réponse et j'ai été greffé d'un rein. Ça m'a changé la vie.

VP: As-tu envisagé à un moment de partir à l'étranger pour subir cette greffe du rein?
JD: Bien sûr! Des parents, des amis, des fans m'ont proposé leur rein mais c'est interdit en France pour éviter les trafics. Ici, la greffe est hyper règlementée, il faut avoir une vie très saine, pas d'alcool, pas de cigarettes, pas de sortie. Et il faut être vraiment motivé sinon tu peux attendre longtemps. C'était mon cas!
Aujourd'hui, je me fais le porte-parole de tous ceux qui sont en attente d'une greffe. N'attendez pas d'être confronté à la maladie ou la mort! De votre vivant, vous pouvez vous inscrire comme donneur d'organe et le faire savoir à votre famille. Lorsque le deuil survient si la famille n'est pas au courant de votre don, elle refuse le prélèvement d'organe, trop accablée par la douleur. Pourtant, ce geste de solidarité peut sauver une vie. Ça a sauvé la mienne.

 

VP: Après une telle épreuve, as-tu l'impression de voir la vie différemment?
JC: Tous les greffés le disent, après l'opération, tu revis. Ça faisait 10 ans que j'étais malade et je ne le savais pas. Je me sentais fatigué, je pensais que c'était dû à mon âge. J'ai tout de suite senti la différence. Je me sens plus jeune. Le même homme mais avec 10 ans de moins. Je vois la vie différemment. Avant l'opération, j'étais renfermé. Depuis que je vais mieux, mon entourage va forcément mieux. J'ai envie de vivre.
Je n'ai plus de temps à perdre, d'ailleurs demain je pars travailler en Côté d'Ivoire.

VP: Enfant, tu as vécu au Sénégal. Quels souvenirs gardes-tu de l'Afrique?
JD: L'Afrique m'a beaucoup marqué. Ma mère qui était couturière de métier et très curieuse de nature, fréquentait des intellectuels africains quand nous vivions à Paris. Ses amis lui conseillaient de découvrir l'Afrique dont l'image était déformée par les médias de l'époque. C'était les sauvages dans Tarzan, la misère dans des huttes, les guerres tribales, les catastrophes, autant de clichés qu'ils voulaient combattre.
J'avais 10 ans quand elle a pris sa décision, nous avons pris le bateau et débarqué à Dakar. J'y ai vécu de 1966 à 1968. Je suis allé à l'école là-bas et j'en garde des souvenirs très précis. Quand adulte, j'y suis retourné, j'ai reconnu tous les lieux de mon enfance, ma maison, mon école. J'ai retrouvé des copains.
Il fallait croire que j'étais prédestiné pour cette rencontre avec l'Afrique. Ce sont mes origines. Dès le 1er contact avec ce continent, je me suis senti chez moi, comme aux Antilles. À part la grandeur du pays, j'ai retrouvé la population noire, la même végétation, les mêmes maisons de style coloniale, la même ambiance. Je n'étais pas un étranger là-bas, pas plus qu'en France.

 

VP: Comment les africains t'ont-ils accueilli, toi le jeune antillais venu de France?
JD: Très bien! En Afrique, les gens sont culturellement, traditionnellement, accueillants. Tu es noir, tu es le bienvenu. Les africains te l'expriment en parole en t'appelant "mon frère". Cela dit, ils m'appelaient "le blanc". C'est bien plus tard que j'ai compris pourquoi. À leurs yeux, nous, antillais, nous comportons comme des blancs, nous avons été éduqués dans les écoles françaises. Nous sommes conditionnés donc nous voyons les choses avec le regard des blancs. Mais il n'y avait, de leur part, rien d'agressif dans ce qualificatif.
J'ai beaucoup appris de mes amis africains (Jacob comprend quelques mots de wolof). Je pense que tous les antillais devraient aller, au moins une fois en Afrique. Car culturellement, les africains sont plus riches que nous et voient la vie différemment.

 

V P: Tu te sens complètement en phase avec la mentalité africaine?
JC: Je suis africain.... J'apprécie leur sagesse, le respect qu'ils ont pour les aînés.
Les africains sont moins hypocrites que nous. Par exemple, la polygamie est interdite en France alors que beaucoup d'hommes ont plusieurs femmes. Au fond, nous sommes tous polygames. En Afrique, dans les pays islamisés, les femmes trouvent ça normal et y voient même des avantages, notamment le fait d'élever les enfants ensemble. Mais, je ne sais pas si je pourrais avoir plusieurs épouses car il faut assurer financièrement, traiter toutes les femmes à égalité pour éviter les conflits, participer à l'éducation de tous les enfants.
Il faut aussi pouvoir assurer physiquement avec chacune d'entre elles (rires).
Pas de tout repos, la polygamie!

VP: Le groupe Kassav dont tu es le leader a un énorme succès en Afrique, comment expliques-tu ce phénomène?
JD: Les africains se reconnaissent dans le zouk parce cette musique caribéenne a des origines africaines. Avant nos premiers concerts en Afrique, nous n'étions connus que de la communauté antillo-guyanaise. C'est en voyant les images de notre incroyable tournée à Abidjan, que les radios et télévisions françaises ont commencé à parler de nous. Depuis, nous avons fait des concerts dans le monde entier mais c'est bien en Afrique que notre carrière a pris une tournure internationale.

 

VP: Et c'est en Afrique que tu as vécu l'épisode artistique le plus marquant de ta carrière?
JD: Oui! Notre arrivée à l'aéroport d'Abidjan! Incroyable!
Des milliers de personnes nous attendaient dehors en hurlant. Il a fallu que l'armée intervienne pour nous permettre de quitter les lieux. Nous ne savions pas que nous étions aussi populaires là-bas. Notre 1er concert a rassemblé plus de 70 000 personnes, le public chantait, dansait, criait, pleurait. Le journal local a titré en couverture: "Jacob Desvarieux, le Dieu vivant!"
Après coup, nous en avons reparlé entre nous. Mais quand nous sommes rentrés aux Antilles, impossible de raconter ça! Nous étions persuadés que personne ne nous croirait.
Autre souvenir: un concert phénoménal en Angola avec 100 000 personnes.
Kassav doit beaucoup à l'Afrique.

 

VP: Et bientôt, l'Afrique va vous ouvrir les portes de l'Asie...
JD: Et oui! Kassav s'est produit dans tous les pays francophones du monde, tous les pays où on parle portugais, dans la plupart des pays hispanophones, aux USA mais à part le Japon, nous n'avons pas encore fait de concert en Asie.
La communauté chinoise très présente dans les pays d'Afrique a découvert notre musique et du coup, nous commençons à recevoir des sollicitations de tourneurs chinois.
Ca devrait donc se faire bientôt! Encore une fois, merci l'Afrique!

 

VP: Le succès ne t'est jamais monté à la tête?
JD: Non, parce que je vois beaucoup d'artistes qui montent très vite et redescendent aussi vite. Ce métier t'apprend l'humilité . Les plus grands artistes que j'ai rencontrés sont souvent très simples parce qu'ils savent que du jour au lendemain tout peut s'arrêter.

 

Jacob Desvarieux participera le mois prochain au tournage d'un court-métrage en tant que comédien, film produit par sa compagne et réalisé en Guyane.

"Je n'ai pas de vélléïté à devenir comédien et n'accepte que les petits rôles qu'on me propose grâce à ma notoriété. Le cinéma noir a du mal à se faire une réelle place en france et y participer permet ( j'espère ) à d'autres comédiens  de travailler. Ces collaborations sont des aventures amusantes, alors pourquoi pas ?"


Jacob est actuellement en studio avec son groupe pour la sortie du prochain album de Kassav " Mawonaj Tour ".

Kassav sera en concert au Zénith du 7 au 9 juin 2013.

 

Les 7 pêchés capitaux de Jacob Desvarieux

Gourmandise: C'est pas un pêché, ça! Manger des ignames, c'est un pêché?
Avarice: Quand on vit dans un pays pauvre, qu'on est riche et qu'on est avare, c'est un pêché!Paresse: Ça, c'est un pêché! Si on est paresseux, quelque soit ce qu'on fait, on n'y arrivera pas. Et quand on y arrive pas, on sanctionne tous ceux qui nous entourent.
Colère: C'est pas bien! C'est une perte d'énergie inutile.
Envie: C'est pas très bien dans l'absolu mais dans la réalité, c'est ce qui motive, qui fait avancer.
Orgueil : Ça aussi, ça fait avancer.
Luxure: C'est un terme extrémiste qui regroupe tout ce qui touche au sexe. Tout n'est pas à jeter...il y a des trucs sympas dans le sexe (rires).

 

Lu 17539 fois Dernière modification le mardi, 16 avril 2013 18:52
Véronique POLOMAT

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