« Edson c’est pour le footballeur Pelé. C’est un de ses prénoms. C’est pour moi une légende du football de part son parcours : première coupe du monde à 17 ans et plus de mille buts marqués et le X c’est en référence à Malcom X ». Une part du mystère de l’identité de l’artiste est levée. Mais sous le masque qui ne se voit pas et sous ses habits de gentleman se cache autre chose.

Edson’’ X est adolescent quand il sent naître en lui « l’étincelle de la rébellion » qu’il va exprimer à travers le rap. Il écrit son premier texte à l’âge de douze ans. Des premiers mots qui ont la beauté naïve de la jeunesse. Il s’en souvient encore : « Le ciel pleure aujourd’hui pour dire/ Que trop de crimes ont été commis et cela m’inspire pour dire (…). » « A douze ans, j’étais déjà conscient des choses qui n’allaient pas bien, ailleurs et en Guadeloupe. J’écoutais le rap venu des Etats-Unis en particulier Public Enemy, je traduisais les paroles et j’ai compris l’oppression des Noirs aux Etats-Unis ». Edson’’X s’exprime en français dans une langue presque châtiée, héritée certainement de son passé de « bon élève », le meilleur de sa fratrie et peut-être de sa classe mais quand il évoque sa famille et en particulier sa grand-mère, sa voix gronde et les mots une fois sur deux se font entendre aussi en créole, « an té ka santi soufrans a fanmi an moin*.» Sa colère qu’il tente de contenir. « J’ai grandi à Basse-Terre dans un quartier tranquille mais ma grand-mère habitait dans un ghetto à Boissard, il y avait du crack, j’en ai vu circuler dans le quartier et ce que je voyais était éloigné de l’éducation stricte que j’ai reçue. J’ai aussi vu la souffrance de ma famille, ma grand-mère me racontait le temps Sorin en Guadeloupe, sa vie dure. Elle m’a dit que sa mère l’a retirée de l’école à l’âge de treize ans et qu’elle est allée ensuite travailler chez des gens ». La rébellion d’un petit-fils contre le sort fait à sa grand-mère « qui malgré les difficultés est toujours restée fière et debout. Je l’ai toujours vue se battre ». Son admiration aussi pour elle. Son amour surtout pour elle.
L’inévitable questionnement identitaire quand on est Antillais, Noir et Français et les inepties historiques dont il est nourri sur les bancs de l’école bousculent l’adolescent. « Quand on grandit, on commence à comprendre les choses », assure t’il. « Nos ancêtres n’étaient pas Gaulois ». Et l’adolescent « comprend » qu’il y a un décalage, un fossé entre ce qu’il est, et ce qu’on lui donne à voir de lui. Un miroir dans lequel il ne se reconnait pas. Son rap, ses mots et ses textes se font alors plus virulents et plus interrogateurs. Qui sommes- nous ? C’est la question récurrente qui en substance soutient ses textes. « La télévision ne nous représentait pas. Il y avait tous les jours Santa Barbara, je ne m’y retrouvais pas, il n’y avait pas de Noirs. De temps en temps, il y avait un Latino mais je ne pouvais pas m’assimiler à un Latino ». « Ma rébellion vient aussi de là et je ne me suis pas rebellé pour me rebeller, j’avais des raisons mais peut-être aussi que j’étais plus sensible à ces sujets-là que d’autres adolescents de mon âge ».
Edson’’X reconnait que sa rébellion ne s’est pas faite qu’à travers les mots, qu’à travers son rap. Elle a pris d’autres formes et emprunté des sentiers plus prosaïques. « Même si j’étais bon élève, l’école m’intéressait de moins en moins, et je me disais ; à quoi bon travailler pour finir au chômage ? Je suis allé au bac et je n’ai rien fait ». Ensuite les « petits trafics », les bagarres inévitables dont il porte quelques stigmates sur le visage. « J’avais tendance quand j’étais jeune à me laisser influencer par les mauvaises choses, je croyais alors que c’était par elles que passait ma rébellion et je sais aujourd’hui que j’ai eu tort. C’était juste une mauvaise appréciation de ma part ». Les « mauvaises influences » dont il s’est définitivement éloigné. Mais le rap est là et se pratique sur scène. Celle de L’Artchipel en Guadeloupe, en première partie de Positive Black Soul, groupe de rap sénégalais et de Busta Rhymes ou en studio avec Daly sur son premier album ou encore avec Darkman et Jean Pierre Coquerel sur le titre Welcome to Gwada et aussi Dominique Coco. Et il ya aussi cette autre scène, inespérée « où je me suis senti enfin abouti », ce tête à tête avec le public à la faveur de la grève générale qui a eu lieu en Guadeloupe en 2009. « Le LKP demandait aux jeunes de venir dire sur scène leurs revendications. C’est ce que j’ai fait en tant que jeune et artiste en faisant du slam et il y a eu une osmose avec le public. On s’est vraiment rencontré là. Ce que je disais dans mes textes avait ici une résonnance particulière. Le peuple et moi disions la même chose. Les Guadeloupéens étaient unis, ils ont redécouvert la solidarité et les produits locaux, la richesse de chez eux ».

Le rappeur se désole que la société guadeloupéenne parte à vau-l’eau. La violence galopante, le respect et la politesse qui reculent et la société qui se retrouve étêtée sans les repères essentiels. « Il faut que les gens se respectent. Le respect de l’Autre est essentiel. On n’est pas obligé de s’aimer mais respectons nous. Dire bonjour, savoir remercier, dire s’il vous plait, c’est gratuit. Elle est là la clé. Cela m’a toujours tenu. C’est l’éducation que j’ai reçue ».
Le 13 août prochain, Edson’’X sortira Even when, le clip éponyme de sa nouvelle chanson. La date n’a pas été choisie par hasard. Ce sera le jour de son 35ème anniversaire. Un album, son premier en solo devrait suivre. « 97 X » sortira « si Dieu veut » à la fin de l’année, précédé par une compilation avec Christiane Obydol. L’entretien se termine, Edson’’X propose une autre boisson rafraichissante et nous raccompagne jusqu’au métro. Rappeur et gentleman.
*Je ressentais la souffrance de ma famille
Crédit Photos: Christiane Obydol