Imprimer cette page
jeudi, 07 mars 2013 05:44

Chantal Loïal: La danse m'a sauvé la vie!

Écrit par
Évaluer cet élément
(0 Votes)

Portrait de Chantal Loïal*, danseuse professionnelle et leader très charismatique de la compagnie de danse afro-antillaise contemporaine Difé Kako.

*En spectacle dans « On t’appelle Vénus » le samedi 16 et le dimanche 17 mars à 18 h à Confluence (Paris 20ème)

Paris 13ème arrondissement

« La bonne humeur », restaurant végétarien bio à la devanture modeste, choisi par Chantal Loïal pour l’optimisme de cette enseigne en phase avec sa bonhomie et pour le menu étonnamment savoureux.



Au menu de cet entretien entre rire et larmes: Une soupe de lentilles rouges, un curry de légumes et une compote de pommes à la cannelle et au poivre de Sechuang.
Chantal Loïal est végétarienne…sauf quand elle revient aux Antilles et se régale de plats traditionnels à base de viande.

VP : Pourquoi dis-tu que la danse t’a sauvé la vie ?
CL : Compte tenu du milieu très basique dont je suis issue et la vie très dure que j‘ai eue en Guadeloupe et à Paris, la
danse m’a permis de m’en sortir et de m’épanouir.
Sans père, ni mère, j’ai été placée à l’âge de 3 mois chez une nourrice puis chez ma grande tante.
Mariée très jeune, ma mère était une femme maltraitée, qui a eu une vie décousue et 6 filles. Elle était incapable de m’élever. Je devais avoir 8 ans, quand elle a décidé de me récupérer. J’ai vécu 3 mois d’enfer avec elle! A ce moment là, j’ai compris qu’elle était malade. Obsédée par la
sorcellerie, elle criait, elle délirait, elle me malmenait, elle errait dans les rues. Au bout de 3 mois, la police, alertée par son comportement, m’a récupérée et placée à la DASS. Une décision salutaire ! Je n’ai jamais voulu revenir chez ma mère, malgré son insistance. Elle est morte en 2008. Je ne lui en veux pas, je pense qu’elle était schizophrène. Contrairement à l’une de mes soeurs, je n’ai pas eu la chance de connaître mon père.

VP : Tu n’as plus de famille ?
CL : J’ai des soeurs que j’ai connues très tardivement, j’ai des cousines avec lesquelles je partage quelques souvenirs familiaux. Chez moi, j’ai le portrait de ma grande tante et de mon oncle qui m’ont élevée. Mais aujourd’hui, ma famille, ce sont aussi mes meilleurs amis, ceux sur qui je peux compter lorsque j’ai des problèmes…Ghania Taleb, ma trésorière et amie, Alex de Chadirac, mon Président sans oublier les gens de ma compagnie Difé Kako qui m’entourent au quotidien.

VP : A quel âge as-tu commencé à danser ?
CL : Depuis toujours, c’est inné ! Petite, j’étais déjà l’attraction dans les fêtes familiales en Guadeloupe.
Quand à 8 ans, je suis arrivée en France, j’ai découvert la Télé. Et là, j’ai eu mon premier coup de foudre : Claude François. Il dansait comme un Dieu et me renvoyait une image de métissage culturel en dansant avec ses Clodettes noires et blanches. Drôle de coïncidence, j’habite actuellement dans le même immeuble qu’une Clodette. Mon 2ème coup de coeur fut la série Fame avec le danseur Leroy !
Je garde en mémoire ses magnifiques chorégraphies et ses locks. Je voulais danser comme lui mais le foyer de la DASS n’avait pas les moyens de me payer des cours de danse.


VP : Quel a été le véritable déclencheur de ta passion pour la danse ?
CL : Lorsque le foyer a changé de direction dans les années 80, la nouvelle Directrice a élaboré un projet éducatif. Dans ce cadre là, nous sommes partis avec les éducateurs en Yougouslavie, en Albanie, dans des pays où il était si rare de voir des noirs qu’on me prenait en photo par simple curiosité. Ces voyages m’ont ouvert de nouveaux horizons.
Au retour, le foyer m’a inscrite dans une MJC et là j’ai rencontré un professeur de danse congolais Assaï Samba qui m’a initiée à l’afro-jazz. Il s’inspirait d’Alvin Halley, du courant Afro Sugar. J’étais enfin dans mon élément ! C’était l’époque où les artistes noirs se retrouvaient au Bataclan et à la Main jaune et moi, j’avais 14 ans et je vivais tout ça avec passion, comme une véritable groupie.

VP : A quel moment as-tu décidé d’en faire ton métier ?
CL : Sans doute en observant Aissaï Samba, mon professeur…Il était très exigeant concernant la technique, j’ai énormément travaillé et beaucoup appris de sa pédagogie. Sur ses conseils, je me suis inscrite dans des stages de danses africaines, il considérait que j’étais faite pour ce type de danse.
Au cours d’un de ces stages, Lolita Babinedamana, chorégraphe du ballet national du Congo, m’a proposé d’intégrer sa troupe de danse et nous sommes partis au Festival de Tunis à Carthage. J’avais tout juste 17 ans. C’était la belle époque de Zaïko Langa Langa, d’Aurlus Mabélé…Comme

j’adorais la danse zaïroise, je dansais avec des orchestres dans les banquets, les soirées privées. J’ai également eu le privilège d’être coachée par Kanda Bongo Man, un grand artiste africain. En parallèle, j’ai obtenu tant bien que mal un BEP Commerce et mon bac. Des notions bien utiles aujourd’hui pour gérer ma compagnie. Mais ma technicité dans la danse, je l’ai principalement acquise en intégrant la compagnie Montalvo-Hervieu, une excellente école et sans doute, ma meilleure carte de visite. Depuis le début de ma carrière de danseuse, j’ai eu de la chance de faire de nombreuses tournées en France et à l’étranger.

VP : Que t’a apporté la danse africaine ?
CL : Une belle rencontre culturelle avec l’Afrique ! Et c’est grâce à l’Afrique et à la danse, que j’ai retrouvé les Antilles. Je suis revenue en Guadeloupe dans le cadre d’une tournée avec ma compagnie et c’est avec un bonheur immense que j’ai retrouvé mon île que j’avais quittée à l’âge de 8 ans.
J’ai éprouvé tout le contraire de ma mère qui avait totalement rejeté les Antilles où elle avait tant souffert…
Ce premier contact avec mon pays a quand même été un choc car tout avait changé. Je ne reconnaissais rien. La modernisation était passée par là.
Bien que très imprégnée par la culture africaine, j’ai toujours été influencée par les Antilles dans mon travail, lors de la création de ma compagnie de danse Difé Kako créée en 1994 et dans toutes mes créations artistiques.

VP: En Afrique où tu t'es rendue plusieurs fois, t'es-tu sentie chez toi?
CL : Oui, parce que pour les africains, j’étais une des leurs. Ils étaient fiers de moi, à la fois parce que je leur ressemblais mais aussi parce que j’étais antillaise. Les africains m’ont réconciliée avec mon corps…Tu as, m’ont-ils dit, le corps idéal pour la danse africaine…des rondeurs et des fesses cambrées que les européens et les antillais que j’avais rencontrés avaient toujours rejetées...C’est aujourd’hui en grande partie grâce à ce corps que j’interprète « On t’appelle Vénus », l’histoire de la Vénus Hottentote, esclave d’Afrique du Sud dont le physique hors norme lui a valu d’être exposée comme une bête de scène en occident.* Ce spectacle a justement été créé pour interroger le regard de l’occident sur la différence.

*Spectacle « On t’appelle Vénus » le samedi 16 et le dimanche 17 mars à 18 h à Confluence (Paris 20ème)

VP : Comment définis-tu ton identité?

CL : J’ai une identité créole, je suis issue d’une triangulaire Afrique-Europe-Antilles.
C’est une parfaite illustration du tout-monde d’Edouard Glissant.

VP : Quel est le projet qui te tient à coeur?
CL : Je mène un combat permanent pour faire reconnaître l’identité créole en France. Je suis dans la transmission et j’essaye avec ma psychologie et mon sens de l’observation d’initier les jeunes aux spectacles vivants. L’art est un accompagnement important pour ceux d’entre eux qui ont un parcours difficile. A l’école, c’est un moyen de les intéresser à d’autres matières comme le français. Je rêve de diriger un centre chorégraphique national de danse pour offrir à d’autres
danseurs la chance de se perfectionner et de réussir dans ce domaine.

Les 7 pêchés capitaux de Chantal Loïal

Gourmandise : Le plaisir, le partage…j’adore les dragées.
Envie : Le désir, le besoin d’affection !
Avarice : Ca m’énerve…Je n’aime pas l’ingratitude.
Luxure : Dans le sexe, rien ne me dérange…à part la sodomie (rire).
Orgueil : Il doit être bien placé, sinon, il peut vous pourrir la vie.
Colère : La mauvaise foi , l’égoïsme, l’injustice ; ça peut me faire exploser
Paresse : pour le plaisir, de temps en temps mais ça a ses limites car ça peut se transformer très vite en angoisse.

Lu 10403 fois Dernière modification le jeudi, 07 mars 2013 05:47
Véronique POLOMAT

Dernier de Véronique POLOMAT