Ce temps-là, c’est celui des premières revendications et c’est aussi celui de Jean-Claude Barny. « Je viens de la banlieue et je fais partie d’une génération où il y avait beaucoup de revendications urbaines. Tous les malaises de la banlieue s’exprimaient par les arts urbains, le hip hop, le graffiti, le rap et comme j’étais depuis tout petit assez fan de cinéma, quand j’ai senti que j’avais des choses à partager, à dire et à revendiquer, le cinéma s’est naturellement imposé ». Mais l’adolescence, c’est aussi le temps des excès et le jeune Jean-Claude n’y échappe pas. La démesure presque obsessionnelle, d’aucuns diraient déraisonnée. « A 14 ans, j’apprenais par cœur, les fiches de Monsieur Cinéma ». Et c’est peut-être là, c’est peut-être ainsi que se forge un destin.
Il y a aussi cet autre temps. Plus doux. Celui de la pleine enfance. Les sorties au cinéma avec les parents, la découverte du monde sur la toile colorée, le pop-corn, les glaces, les doigts qui collent et les images qui s’animent et qui racontent une histoire. « Dès l’âge de six ans, mes parents m’emmenaient au cinéma ». Jean-Claude Barny aime le cinéma mais pas tous les cinémas. Il aime le cinéma qui dit, qui dénonce, qui revendique. Celui qui raconte la réalité telle qu’elle est, sans joliesse ni exotisme. Le cinéma qui dit les gens dans leur réalité, leur vérité. Celle des autres et peut-être aussi la sienne. Jean-Claude Barny est né en Guadeloupe et arrive avec ses parents à l’âge de six ans à Argenteuil en banlieue parisienne. « J’ai le souvenir des sols carrelés, d’un grand appartement très clinique, très propre. Je venais de Pointe à Pitre où les chiottes étaient dehors, là on avait accès à quelque chose de confortable mis à la disposition des fonctionnaires. Ma mère était fonctionnaire. La fracture n’était pas que psychologique, elle était aussi sociale ». Le cinéma de Jean-Claude Barny sera celui-là. Ce ne sera pas un cinéma de fiction fait de fantasmes mais bel et bien celui du réel. « Quand j’avais 14 ans au lieu de regarder des films lambdas, j’attendais minuit pour regarder des films d’auteur, le cinéma italien de l’époque. J’étais friand de la question sociale, des films engagés ». Sa rencontre avec Mathieu Kassovitz est déterminante. L’entente entre les deux jeunes hommes est immédiate. Nous sommes au milieu des années 1990, Mathieu Kassovitz prépare La Haine un long-métrage et demande à Jean-Claude Barny de s’occuper du casting. Sur le tournage, Jean-Claude Barny observe et apprend le métier de réalisateur.
Jean-Claude Barny a trouvé sa voie et part en marronnage. Il entend se libérer des clichés et des fantasmes que les « autres » lui prêtent. Son positionnement se veut clair et sans ambiguïté. Il veut dénoncer les « préjugés », dire « l’exclusion » et décrire le monde qui l’entoure et les siens sans fard ni trahison. Se dire sans se nier ni se minorer. « Avoir des propos qui sont liés à notre intrinsèque mais qui parlent à l’universel ». La responsabilité du réalisateur est de décrire la réalité même si elle est laide, la décrire puisqu’elle est laide et Jean-Claude Barny déplore que « le cinéma ne traite pas des vraies questions, des questions de fond. Il ne montre pas toujours le dysfonctionnement de la société française et quand il le fait c’est sous la forme de la comédie. Le spectateur rit et oublie ». Et c’est justement ce qu’a fait Jean-Claude Barny dans NEG MARON son premier long-métrage sorti en 2005, décrire la déliquescence de la société antillaise, la dérive de sa jeunesse, l’éclatement de la famille, l’absence du père. Les Antilles sans doudouisme et sans le rêve. La carte postale qui n’en est plus une.
Le réalisateur guadeloupéen prépare son second long métrage : Le Gang des Antillais d’après le livre éponyme de Loïc Léry. Le tournage devrait débuter à la fin de l’année 2013 malgré des difficultés de financement. Les chaines de télévision françaises qui traditionnellement financent le cinéma ne soutiennent pas le projet. « Elles n’ont pas envie de faire un film comme celui-là, politiquement et culturellement, il est trop éloigné d’eux ». Jean-Claude Barny déplore le « manque de courage » des chaînes, leur « frilosité » et leur « manque de curiosité ». Selon lui, à l’instar de la société française, les chaînes de télévision pratiquent « l’exclusion ». Mais il se réjouit de la « solidarité de la communauté antillo-guyanaise qui l’a toujours soutenu ». Voilà qui pourrait être l’objet d’un prochain scénario.
Photos : Willy Gassion
Filmographie de Jean-Claude Barny (Principales réalisations)
Putain de Porte (court-métrage) 1994
Traces à Vieux-Habitants (documentaire) 2003
Nèg Maron (long métrage) 2005
Tropiques Amers (série télévisée) 2007
Vidéos clip
Kassav, Tonton David, Jane Fostin, Poetic Lovers, Doc Gynéco, Melgroove, Nèg Marrons…
Site : jcbarny.com